Le cartel de l’OPEC n’avait jamais dit aussi fortement sa volonté de faire alliance avec la Russie et d’autres producteurs de pétrole rivaux pour ralentir la production et tenter de mettre fin à la chute des cours. Le marasme des investissements dans le secteur, a prévenu le secrétaire général de l’OPEC, Abdullah al-Badri, prépare des jours difficiles. Il plaide pour un compromis devenu urgent alors que les cours ont chuté de 72 % depuis la mi-2014, affirmant que la situation actuelle laisse prévoir un douloureux retour de balancier à moyen terme : celui qu’attendent les spéculateurs ?
« Les temps difficiles exigent des choix difficiles. Il est impératif que tous les grands producteurs s’assoient autour d’une même table et proposent une solution », a déclaré al-Badri lors d’une conférence à Chatham House – l’Institut Royal des Affaires internationales – à Londres, lundi.
L’OPEC propose une alliance à la Russie pour faire baisser la production
Selon le secrétaire général de l’OPEC, les champs de pétrole actuellement exploités vont s’épuiser et il serait urgent d’investir à hauteur de 10.000 milliards de dollars pour les remplacer et satisfaire une demande accrue en 2040, qu’il évalue à 17 millions de barils par jour, à l’heure où de plus en plus de projets d’investissements sont au contraire mis au placard. Par rapport aux prévisions de 2014, ces projets remisés représentent déjà 1.800 milliards de dollars qui ne seront pas dépensés pour trouver ou exploiter de nouvelles sources de pétroles.
Le résultat est parfaitement prévisible, selon Abdullah al-Badri : au surplus actuel répondra la pénurie et une remontée spectaculaire des cours qui n’a d’intérêt que pour les « spéculateurs » : « Il est vital que le marché agisse contre l’excès de stocks. »
Du côté russe, le vice-président du groupe Lukoil, Leonid Fedun, a déclaré que la politique de l’OPEC avait déclenché la débandade – comme un « troupeau de cheptel se ruant pour échapper à un incendie ». Il a lui aussi appelé le Kremlin à traiter avec le cartel pour en finir avec le surplus de pétrole : « Il vaut mieux vendre un baril à 50 dollars que deux barils à 30 », a-t-il déclaré à l’agence Tass.
Les spéculateurs sur le pétrole attendent la pénurie mondiale
C’est nouveau : Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph souligne qu’on pensait jusqu’ici que la Russie pouvait difficilement maîtriser son calendrier de production en raison du froid en Sibérie et que de toute façon, ses compagnies pétrolières ne répondent qu’à leurs actionnaires, pas au Kremlin. Fedun s’attend à ce que l’OPEC baisse de toute façon sa production, avec ou sans accord avec ses rivaux, d’ici à mai ou au plus tard à l’été, « après quoi nous verrons un rétablissement rapide ».
Comment tout cela finira-t-il ? C’est l’OPEC qui est largement responsable de la situation actuelle, puisque c’est en maintenant les robinets du pétrole ouverts – ceux de l’Arabie Saoudite notamment – que le cartel a pesé sur les prix, espérant venir à bout de la coûteuse production de gaz de schiste aux Etats-Unis. Mais celle-ci résiste bien grâce aux importants achats sur production future qui ont permis de subventionner cette industrie à hauteur de 150 millions de dollars par jour tout au long de 2015, selon Fedun, et l’empêcher de sombrer.
Tel est pris qui croyait prendre : c’est l’OPEC qui a fait chuter les cours
Mais cette situation ne durera pas et l’OPEC rêve sans doute du moment où la majorité des sociétés d’extraction actives aux Etats-Unis devront rendre les armes, comme l’annonce déjà Leonid Fedun.
Selon Claudio Descalzi, du groupe pétrolier italien Eni, le marché du pétrole est aujourd’hui dominé par les « forces financières » qui échangent des « barils de papier » dont le volume représente 80 fois celui du nombre de barils actuellement disponible, alors que les réserves sont à un niveau « de l’épaisseur d’un papier à cigarette » : pas plus de 2 %, selon Descalzi.
Bref, la rumeur est à la remontée des cours et les incendiaires veulent s’entendre avec les incendiés tout en laissant entendre que c’est pour le bien de tous.
Mais s’agit-il vraiment d’empêcher une prochaine envolée des cours ? On peine à le croire. On se demande aussi ce que viendra faire dans tout cela l’accord de la COP21 : comment peut-on raisonner sur une augmentation spectaculaire de la demande de pétrole d’ici à 2040 alors qu’en même temps le monde se serait entendu pour l’élimination progressive des « énergies fossiles » ? Il y a forcément une entourloupe quelque part.