Panne d’électricité géante en Espagne et au Portugal : le « net zéro » a aggravé la situation

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On cherche en vain à la Une des grands médias français la question qui pourtant devrait venir immédiatement à l’esprit face à la panne d’électricité gigantesque qui a littéralement paralysé l’Espagne et le Portugal lundi, lorsque subitement, à l’heure du déjeuner nous dit-on (comme si on mangeait à 12 h 30 en Espagne !), la production électrique a été divisé quasiment par deux. Tout le réseau de la péninsule ibérique, fortement « intégré », a subi l’effet domino, et à moins d’avoir un groupe électrogène fonctionnant au bon vieux diesel – comme en disposent heureusement les hôpitaux et certains supermarchés – il n’y avait plus rien à faire. Ni vendre, ni acheter sans cash, ni surfer sur internet, ni prendre l’ascenseur (des centaines de personnes sont restées bloquées), ni fermer la porte d’un immeuble sous peine d’enfermer tout le monde, ni obtenir de l’eau au-delà du 3e et du 4e étage car la distribution à cette hauteur-là se fait au moyen de pompes électriques. Même les pharmaciens n’avaient aucune idée du prix de leurs produits, faute de pouvoir lire les codes-barres…

Bien sûr, la question de la cause de la panne et sur toutes les lèvres, et s’il faut en croire les autorités portugaises et espagnoles, la possibilité d’une cyberattaque semble avoir été écartée ce mardi matin.

Mais la vraie question, celle qui fâche, est celle de la part des énergies dites renouvelables dans le mix espagnol. Le « net zéro » a-t-il joué un rôle dans l’événement qui a été qualifié d’urgence nationale en Espagne et qui a eu des répercussions tous azimuts, depuis l’annulation de vols, l’arrêt des trains et des métros en pleine voie un peu partout, et la paralysie de la vie économique jusqu’à la défaillance des congélateurs ?

Mardi en fin d’après-midi, REE, l’opérateur national du réseau électrique espagnol, a donné un début de réponse qu’on subodorait : les coupures d’électricité qui ont touché l’Espagne et le Portugal ont probablement été causées par des défaillances dans des fermes solaires, a-t-il déclaré. REE déclare avoir identifié deux incidents de perte de production d’électricité, probablement dus à des centrales solaires, dans le sud-ouest du pays. Ces incidents ont provoqué une instabilité du système électrique et entraîné une rupture de son interconnexion avec la France, selon l’opérateur.

 

La presse britannique fait le lien entre la panne ibérique et le net zéro

Dans la presse britannique, qui n’a pas les mêmes pudeurs que nos médias subventionnés, c’est une question qui a été posée en première page des sites des quotidiens conservateurs.

Dans le Telegraph, un article publié dès le 28 avril titre : « Le net zéro accusé d’être à l’origine de la plus grosse coupure d’électricité en Europe. » Ce n’est pas que l’énergie solaire ou éolienne aient directement causé l’effondrement de la puissance sur le réseau : c’est parce que le système est en lui-même plus vulnérable que celui des centrales à charbon ou à gaz, ou encore l’énergie hydraulique ou nucléaire.

Le journal a fait appel à plusieurs experts interrogés par quatre de ses journalistes, et leur avis semble être concordant : la dépendance de l’Espagne vis-à-vis des renouvelables n’a cessé de croître au cours de ces deux dernières décennies et ce type de production est beaucoup moins armé face à un choc de production électrique que les systèmes à l’ancienne.

Il y a 20 ans encore, 80 % de la puissance électrique espagnole était produite par le nucléaire ou par la combustion d’énergie dite « fossile » – gaz et charbon par exemple. En 2023, les « renouvelables » à basses émissions de CO2 produisaient déjà 50,3 % de la puissance totale. Lundi, jour du crash, leur part dans la production effective était encore plus importante : vers midi, 53 % de l’électricité espagnole provenait du photovoltaïque et 11 % de l’énergie éolienne. Contre 6 % seulement pour le gaz. C’est une heure où la demande est moins forte, et c’est encore un déséquilibre à gérer.

 

La panne au moment où l’Espagne augmente sa dépendance aux renouvelables

Quelques jours plus tôt, le 16 avril, l’ensemble du réseau espagnol fonctionnait aux « renouvelables » pour la première fois de son histoire.

L’équilibre d’un grand réseau de distribution électrique est chose complexe. Il faut une part d’« inertie » pour pouvoir le maintenir et assurer une fourniture d’électricité à une fréquence stable. L’inertie – explique le Telegraph – est créée par des générateurs ayant des composants rotatifs, telles les turbines qui fonctionnent au gaz, au charbon ou à la puissance hydraulique. Les éoliennes et les centrales solaires n’en ont pas.

Le National Energy Systems Operator (Neso) britannique compare ce système aux « amortisseurs de la suspension de votre voiture, qui atténuent l’effet d’une bosse soudaine sur la route et permettent à votre voiture de rester stable et de continuer à avancer ».

Dans le contexte d’un réseau principalement alimenté aux « renouvelables », si panne il y a, cette panne produira des événements en cascade bien plus graves que ceux provoqué par une panne sur un réseau reposant sur des centrales classiques qui permettent des ajustements beaucoup plus rapides.

 

Les énergies conformes au net zéro pèchent par défaut d’inertie

Kathryn Porter, analyste indépendante en énergie, explique :

« Dans un environnement à faible inertie, la fréquence peut varier beaucoup plus rapidement. Si une panne importante survient sur le réseau dans une région, ou en cas de cyberattaque, ou pour toute autre raison, les opérateurs du réseau ont donc moins de temps pour réagir.

« Cela peut entraîner des pannes en cascade si vous ne parvenez pas à maîtriser rapidement la situation. »

Pour Duncan Burt, ancien opérateur du réseau britannique, aujourd’hui chef stratégique de Reactive Technologies : « Si vous êtes confronté un jour où la puissance solaire est très élevée, alors votre réseau est moins stable, à moins d’avoir pris des mesures pour compenser cette situation. Vous vous attendrez à ce que les choses soient moins stables qu’à l’ordinaire. »

Quant au porte-parole du parti « Reform » pour les questions d’énergie, Richard Tice, il voit dans l’événement ibérique un cri d’alarme face au « éco-zélotes » : « Les réseaux électriques ont besoin d’opérer selon des paramètres très serrés afin de rester stables. La production du vent et du soleil, à l’inverse, connaît de très importantes variations sur des périodes qui peuvent être longues ou courtes ; elle ajoute donc des risques au système. »

 

La panne géante pressentie par la Cour européenne des auditeurs

C’est si vrai que la Cour européenne des auditeurs, qui assure la surveillance comptable des dépenses de l’UE, avait attiré l’attention au début du mois sur le fait que la croissance des renouvelables « rend des plus difficiles l’équilibrage des réseaux des différents pays membres ».

Leur rapport affirmait :

« Les sources d’énergie renouvelables présentent une intermittence et une variabilité plus élevées, car leur production dépend des conditions météorologiques, contrairement aux centrales électriques traditionnelles qui peuvent ajuster leur production en fonction de la demande. Cela rend l’équilibrage du système plus difficile.

« Par conséquent, le renforcement du réseau, l’installation d’équipements spécifiques et des technologies plus modernes, intelligentes et innovantes pourraient être nécessaires pour s’adapter à ces sources d’énergie. »

RITV évoquait en février un autre rapport de l’inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection du Groupe EDF arrivant à la conclusion que l’arrivée de l’énergie solaire et éolienne perturbe le réseau électrique au point d’en mettre l’efficacité et la sécurité en danger ; les « variations de charge » qui en résultent ne sont pas sans risque « sur la sûreté du système électrique (dont le black-out) », affirme ce rapport. Il a vu juste, semble-t-il.

Certains ont incriminé un événement météorologique exceptionnel pour expliquer la panne géante en Espagne et au Portugal, mais cette piste ne se vérifie pas au vu des données réelles. On a notamment évoqué des « variations de température extrêmes » – mais la température en Espagne était clémente lundi, puisqu’il ne faisait que 22°C. Il n’y avait en tout cas aucun écart de température qui ne soit habituel dans la péninsule ibérique.

 

L’Espagne veut faire la lumière

Les autorités portugaises penchaient plutôt pour le fait qu’une « très forte oscillation du voltage électrique » sur le réseau espagnol ait pu causer l’effondrement de lundi. Les investigations sont désormais en cours et Pedro Sanchez, Premier ministre espagnol, assure qu’aucune hypothèse ne sera écartée d’emblée.

Mais si l’Espagne et le Portugal ont réussi dès ce matin à rétablir la quasi-totalité du courant, ce n’est pas en rétablissant la situation d’avant la panne : l’Espagne en particulier a dû avoir recours à des mesures d’urgence, parmi lesquelles le rallumage de centrales hydro-électriques et l’importation d’électricité au moyen de câble géants depuis la France et le Maroc.

L’étendue des difficultés provoquées par la panne n’a rien de surprenant. Tout dépend de l’électricité, et les Portugais l’ont bien compris qui se sont rués sur les rares supermarchés en état de fonctionner pour aller acheter des aliments sans cuisson et de l’eau en bouteille, d’autant que la compagnie de distribution EPAL avait annoncé que l’acheminement d’eau via le réseau public risquait d’être affecté.

Ajoutez à cela le chaos dans les transports, toutes les signalisations étant en panne, l’incompréhension et les rumeurs, la peur de l’insécurité, l’impossibilité pour beaucoup de rentrer chez eux… la situation pouvait devenir explosive. Quelle que soit la cause de la panne ibérique, elle a révélé une fragilité systémique, une dépendance qui a dépassé les bornes et qu’on ne cesse d’aggraver en électrifiant à tout va et en rendant la fourniture d’électricité de plus en plus aléatoire et vulnérable.

 

La panne ibérique, révélatrice d’une périlleuse dépendance au courant

Si ce n’était pas une cyberattaque, la panique de lundi aura certainement donné des idées aux plus malveillants, en montrant que le système n’est pas suffisamment sécurisé.

L’idée d’avoir quelques provisions d’eau et de nourriture chez soi, ainsi que des bougies, un poste radio sur piles et surtout de l’argent liquide ne paraît finalement pas si sotte.

Plus fondamentalement, l’affaire met en lumière l’incurie des promoteurs des énergies « fatales » – c’est-à-dire qui dépendent du sort – qui risquent de devenir fatales au sens contemporain du mot, en provoquant par leur inadéquation de plus en plus de situations où la vie, la sécurité ou la santé des hommes pourront être mis en danger, faute de courant. Quand on sait que les extrémistes de l’écologie profonde trouvent qu’il y a trop d’hommes sur terre, le spectacle de lundi ne les a sans doute pas dérangés plus que ça.

 

Jeanne Smits