Une douzaine de jours avant la panne géante qui a plongé l’Espagne et le Portugal dans l’obscurité, la compagnie d’électricité espagnole, Red Eléctrica, déclarait fièrement que la production d’énergie renouvelable était suffisante pour couvrir la demande. Suffisante ? En tout cas, pas adéquate. Le 28 avril à 12 h 33, un court-circuit d’une seconde et demi faisait perdre au pays 60 % de son approvisionnement actif. Et l’enquête est toujours officiellement en cours, quoiqu’on puisse au moins accuser une surreprésentation mal gérée des énergies renouvelables.
Victime de son succès vert, l’Espagne ? Victime, plutôt, de son idéologie jusqu’au-boutiste. Le parfait élève climatique, présenté comme un exemple de réussite dans la transition énergétique européenne, s’est fait rattraper par la réalité. Le lobby vert, lui, dénonce un manque d’investissement négligent de la part du pays (la gauche au pouvoir pourrait en pâtir un peu, seule bonne nouvelle) : il faut aller plus loin encore dans la révolution énergétique !
Et que donneront les réseaux, lorsque les immenses centres de données d’IA nécessiteront une charge colossale d’électricité ? Pas sûr que l’idéologie bruxelloise fasse le poids. Sûr, en revanche, qu’on se dirige vers une sécurité économique (et sociale) aussi intermittente que l’énergie qu’elle promeut.
Un réseau inadapté aux lubies de l’énergie verte
L’Espagne ne s’est jamais privée d’afficher ses louables ambitions : atteindre 81 % de la production d’électricité du pays grâce aux énergies renouvelables d’ici à 2030, s’affranchir du nucléaire (qui fournit encore 20 % de l’électricité du pays) en 2035.
Et beaucoup d’articles de presse se sont offusqués de la rapidité de la droite mondiale à sauter sur cet « accident » pour incriminer les énergies renouvelables. Le 28 avril à midi, le solaire photovoltaïque et l’éolien représentaient en effet plus de 64 % de l’électricité espagnole : le pays avait même commencé à exporter son surplus d’électricité vers la France et le Maroc.
« L’Espagne nous rappelle que les sources d’énergie intermittentes ne peuvent remplacer l’énergie de base fiable fournie par les combustibles fossiles ou d’autres sources stables », a-t-on entendu au Capitole américain, cette semaine, de la part d’un sénateur républicain.
Mais les médias persistent à souligner, ce qui n’est pas entièrement faux, que le problème relevait du réseau, du système et non de la source, de la technologie. Que l’accident est dû à un manque d’investissements.
La résilience du système électrique repose en effet sur la capacité d’inertie. Et, alors que les centrales à gaz et nucléaires conservent de l’énergie pendant encore quelques secondes après une panne de courant, les centrales éoliennes et solaires stoppent brusquement. On peut retrouver cette fonction stabilisatrice en créant une sorte d’inertie synthétique via le stockage par batterie, les volants d’inertie, les condensateurs synchrones…
Seulement, voilà, il faut payer pour cela. Ce que l’Espagne n’a pas fait, ou pas suffisamment.
Espagne : la confiance dans l’enquête sur la panne d’électricité est au plus bas
Qui plus est, il semble que le gouvernement socialiste ait joué un rôle qui n’est pas clair : des sources à Bruxelles ont indiqué au Telegraph que « les autorités menaient une expérience avant la panne du système, pour déterminer jusqu’où elles pourraient pousser le recours aux énergies renouvelables en prévision de la sortie précipitée des réacteurs nucléaires en Espagne à partir de 2027 ». Il est vrai que le gouvernement contrôle de facto l’entreprise publique Red Eléctrica aux manettes de laquelle il a placé une fidèle socialiste.
Depuis un mois, les autorités cumulent donc les non-dits et plus personne ne croit en l’enquête officielle qui se limite volontairement à l’étude de 20 petites secondes et dans laquelle l’AELEC, l’association espagnole regroupant les principales entreprises du secteur électrique, a dénoncé des « omissions surprenantes ». Elle ignore superbement, en effet, la série de fortes fluctuations de tension, commencées quelques jours plus tôt, qui avaient dépassé les niveaux d’urgence dans toute la péninsule pendant les deux heures précédant la panne.
Autrement dit, les socialistes auraient péché par deux fois, par une imposition abusive de l’énergie verte, inadaptée au système en place et par des essais à l’issue non contrôlée qui ont mis toute une population et une économie en danger. La fiabilité passe après les objectifs climatiques.
Le coût du fantasme énergétique de Bruxelles
Et tous les médias, donc, de se rassurer quant au bien-fondé absolu des énergies renouvelables ! Mais, non, c’est un fait : si elles prennent le pas sur des sources d’énergie fiables, les risques de panne d’électricité augmenteront, quels que soient les milliards investis. Et implicitement, c’est exactement ce que dit le nouveau rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pourtant principal promoteur de la transition énergétique.
Il se trouve que dans la décennie à venir, la demande en électricité va croître de manière exponentielle, tout particulièrement en raison des centres de données d’intelligence artificielle : un seul grand centre consomme autant d’électricité que deux millions de foyers, et des myriades sont prévues. La moitié de leur demande sera « satisfaite par les énergies renouvelables », se félicite le rapport. Mais il a bien été obligé d’admettre que le gaz naturel fournira l’autre moitié aux Etats-Unis, et que le charbon remplira ce rôle en Chine.
Autrement dit, les combustibles fossiles continuent et doivent continuer à jouer un rôle central, d’autant plus central pour l’IA qui a besoin d’une électricité continue et fiable. Ceux qu’on appelle les Magnificent Seven, les sept plus grosses valeurs technologiques que sont Alphabet, Amazon, Apple, Facebook et Cie ont d’ailleurs déjà prévu sur les sites de leurs futurs projets quantités de turbines à gaz naturel, soulignait cet article de ClimateRealism. Comme quoi on peut tenir des discours écologiquement engagés et opérer différemment dans le concret : tout simplement parce que la physique des systèmes énergétiques est ce qu’elle est.
L’Europe, elle, s’enferre bêtement dans son programme idéologique sans même s’offrir le luxe de faire semblant. Et tous les milliards investis dans cet objectif de transition verte ? Et cette dépendance vis-à-vis de la Chine qui jouit d’une domination mondiale sans précédent dans les chaînes d’approvisionnement éolienne et solaire ? Et les retombées sur tous ces pays où l’énergie est devenue une fortune ? L’Europe continue à fredonner, coûte que coûte, en dindon de la farce, la chanson du méchant CO2.