Le pape François, un homme de parole est le dernier film du réalisateur-vedette allemand Wim Wenders, sorti au milieu du mois de septembre 2018 en France. Chose rare pour un film « religieux », il a bénéficié d’une large diffusion dans les cinémas en France. Ce n’est pas forcément un bon signe. Le titre, flatteur, joue sur de multiples sens possibles du terme « parole » : le pape François parle beaucoup, et il parle dans le film en toute liberté devant le réalisateur, et, autre sens évident, il tiendrait ses promesses. De quelles promesses s’agit-il ? De celles qui seraient contenues dans sa pensée profonde, laquelle ne serait que le reflet de celle du grand humaniste antique Jésus-Christ. Cette approche, manifestement anachronique et donc fausse, rappelons-le, est développée dans le film.
Wim wenders, l’homme et sa démarche
Un tel sujet a largement surpris de la part de Wim Wenders, cinéaste allemand vedette dans le domaine dit de l’art et d’essai. Si l’on savait l’artiste engagé évidemment à gauche, comme il est d’usage dans ce milieu, et encore plus en Allemagne qu’en France, on ne le savait guère chrétien, car rien dans sa vie privée –très publique et fort animée, avec de nombreux mariages civils et concubinages- ou son œuvre antérieure n’en témoigne. Certains de ses films, comme les Ailes du Désir (1987), tiennent au plus, si l’on ose dire, de la fable gnostique : ce film, un de ses plus connus, propose un récit centré sur la chute d’anges tentés par des œuvres de chair avec des femmes humaines. Il n’y a là rien de chrétien. A l’occasion de la sortie du Pape François, un homme de parole, les dossiers de presse ont précisé que Wim Wenders avait déjà reçu dans le passé des prix de « cinéma chrétien », en fait très confidentiels. Wim Wenders a donc été présenté comme un « catholique de gauche », association peu évidente, mais à la mode dans les années 1960-70. Lui-même la revendique désormais très publiquement.
Ainsi, Wim Wenders a eu l’idée d’un film-documentaire en hommage au pape François, qu’il admire profondément, et ce dès son accession au souverain pontificat, dans les conditions très particulières que l’on sait, en mars 2013. Ses amis habituels de la bonne conscience de gauche marxiste, dominante, ont pourtant parfois été gênés par cette hagiographie sans nuance. Pour les ennemis de l’Eglise, les destructeurs progressistes de l’Eglise n’en font jamais assez et le pape François, volontairement ou non, semble pour le moins s’inscrire dans ce mouvement. Leur modèle est les luthériens suédois, dont la communion nationale offre le spectacle courant de femmes-pasteurs mariant deux hommes au temple…Le pape François aime beaucoup les luthériens suédois, et est allé le leur dire sur place dans son voyage du 31 octobre au 1er novembre 2016, mais même lui ne peut certes en faire autant. Wim Wenders lui défend obstinément François, célèbre sa « trajectoire », et se redécouvre même « catholique » à cette occasion – il a été baptisé catholique peu après sa naissance.
La démarche hagiographique : vouloir montrer les œuvres d’un « saint » en action
Le film ambitionne donc, sans s’en cacher le moins du monde, de présenter le pape François comme un saint. Ainsi, il montre largement ses bonnes œuvres, présentées comme telles, en insistant sur la volonté d’imitation des gestes forts et célèbres de saint François d’Assise.
Nous ne nierons pas le sens du contact humain, au moins superficiel, du pape François. Il aime indiscutablement rencontrer les gens, échanger aimablement avec eux. Sa sincérité paraît hors de doute. Le film le met en scène visitant les malades, les prisonniers, en Italie ou dans le monde entier, de la Centrafrique à la Bolivie. Il adresse à une humanité en souffrance des paroles de réconfort, et l’assurance de sa vive sympathie. Wim Wenders équilibre ces rencontres collectives avec quelques rencontres individuelles. Les prêtres et religieuses seraient reconnus infailliblement des décennies après leur rencontre par le pape François. Enfin, le film s’étend longuement sur l’épisode du dernier souhait d’un enfant très malade, vivant les derniers jours de sa vie et le sachant, et ayant formulé le désir d’un échange téléphonique personnel avec le pape François ; la requête a réussi à atteindre l’intéressé, qui s’est donné beaucoup de mal pour la satisfaire, en jonglant avec le décalage horaire, un emploi du temps très dense, et les sommeils de l’enfant – car on ne réveille pas un enfant très malade ; il a échangé en effet quelques minutes avec l’enfant, mort quelques heures après cette dernière joie.
Le pape François donne aussi des conseils de bon sens humain aux familles catholiques, comme en témoigne une scène aux Etats-Unis, lors d’une rencontre avec une association familiale catholique : les parents doivent monter leur amour aux enfants, prendre aussi le temps de jouer avec eux. Les époux doivent aussi prendre le temps de se parler, s’écouter, confronter les points de vue et se pardonner. L’amour doit régner dans les familles, y compris dans les relations avec les belles-mères, même si ce n’est pas facile, ajoute-t-il avec humour.
On peut considérer que ces actions relèvent des œuvres traditionnelles de charité. Ce qui gêne toutefois est de les poser ostensiblement devant les caméras. Il en est de même pour la sobriété alimentaire de François. Pie XII était un ascète, un vrai, et avait la décence alors élémentaire de ne pas s’en vanter. En outre, et peut-être faut-il accuser le montage et l’approche du réalisateur qui a néanmoins travaillé en parfaite collaboration avec le Vatican, on s’étonnera de n’entendre, au milieu des paroles de réconforts et de conseils de bon sens, quasiment jamais parler de Dieu ou du rôle essentiel de la prière en famille. Le seul long passage où Dieu est invoqué par François est, étrangement, dans un contexte de rencontre avec des Juifs, où il n’est donc pas question du tout alors de Jésus-Christ.
Plus intéressants, et inquiétants, que ces rencontres insistant sur le côté superficiellement sympathique du personnage, sont les passages dialogués avec le réalisateur durant lesquels François livre sa doctrine. Il s’agit de développements véritables de sa pensée personnelle, logiques, cohérents, et non de phrases coupées du contexte ou de manipulations d’éléments hostiles…Wim Wenders a travaillé en totale collaboration avec le Vatican, rappelons-le encore.
Des réflexions théologiques pour le moins étonnantes du pape François
Ainsi, le pape François livre dans le film de singulières réflexions « théologiques ». Il les définit lui-même comme telles. Il ne s’agit pas du magistère pontifical, mais de réflexions libres. Néanmoins, prononcées par le pape, elles ne sont pas à prendre à la légère. Elles proposent une pensée cohérente et assez déconcertante.
La doctrine de François apparaît assez sommaire, relevant de la version pacifique de la théologie de la libération. Ainsi, les pauvres seraient le Bien, ils iraient tous au Paradis ; les riches feraient le mal mais on ne saurait pas trop ce qu’il adviendra d’eux après leur mort, puisque l’Enfer fait trop médiéval. Mais enfin il faudrait être gentil… Etre gentil signifierait aussi, par exemple, être submergé, surtout sans restrictions, par les « migrants », ces « pauvres » – ce qui est du reste erroné, car ils ont payé, cher, les passeurs. Si les migrants sont musulmans, ce ne pourrait être qu’une source de richesses [spirituelles] est-il avancé par le pape François. Il y aurait trois branches d’une même religion abrahamique – terme exact qu’il emploie -, le christianisme, l’islam, le judaïsme, qui adoreraient exactement le même Dieu. Le pape François aime également les trois, bien sûr, dit-il en souriant.
Quant au paradis, il serait ouvert à tout le monde, y compris et surtout les non-abrahamiques eux-mêmes, comme un de ses trois principaux modèles spirituels, le Mahatma Gandhi. Cet hindouiste domine son panthéon personnel avec le pasteur progressiste noir Martin Luther King, et saint François d’Assise. Ce dernier détonne ici : c’est un saint catholique authentique, mais il est compris à contresens, comme le précurseur de l’écologisme panthéiste d’aujourd’hui et du dialogue interreligieux sans prosélytisme…Le film développe longuement cette thèse. Non, la vérité historique est que saint François était un saint catholique, qui a chanté les beautés de la Création du Dieu Trine et voulait convertir les musulmans par le dialogue apologétique.
Enfin, plus surprenant encore, le pape François semble ne pas croire au péché originel, ni à l’historicité des premiers chapitres de la genèse. Il tire un enseignement singulier de ces « mythes », figurant dans les premiers chapitres de la Genèse : l’homme chercherait la liberté et la connaissance, et ce serait formidable. S’il y a du mal dans le monde, ce serait uniquement de la faute de la richesse qui fermerait les cœurs…Nous ne défendrons pas les riches égoïstes, mais il y aussi des riches généreux, et des pauvres méchants, évidence qui lui échappe manifestement. Quant à cette doctrine, elle est pauvre et semble en contradiction manifeste avec des articles élémentaires du catéchisme, et bien sûr des rappels de Pie X et Pie XII sur l’historicité des premiers chapitres de la Genèse.
Un film qui aide vraiment a comprendre le pape François, ses paroles, ses gestes et ses décisions
Le pape François, un homme de parole est un film à la fois très intéressant et effrayant. Il faut bien constater que la pensée profonde du souverain pontife, livrée ici sans fard, en toute confiance, s’avère sur de nombreux points fort éloignée des croyances catholiques. Elle s’intègre très bien par contre dans le fonds onusien mondialiste progressiste, destructeur des identités nationales et de ce qui peut rester de Chrétienté dans le monde.
Ainsi, décision très récente et de ce fait absente du film, il peut très bien s’entendre avec des communistes athées chinois, sacrifiant des millions de catholiques obstinément fidèles à Rome et par là-même particulièrement persécutés depuis des décennies : ce geste terrible et récent s’inscrit parfaitement dans sa pensée profonde développée dans Le pape François, un homme de parole.