Le paradis blanc de l’Antarctique menacé ?

Paradis Blanc Antarctique Menacé
 

Si l’Antarctique est indiqué en blanc sur les cartes, et nommé le continent blanc, c’est pour plusieurs raisons. Dans l’ensemble la glace et la neige composent un désert blanc, vierge à peu près de présence humaine, sauf de rares bases « scientifiques ». C’est un vaste espace aussi (14 millions de kilomètres carrés, près d’une fois et demie la surface de l’Europe) dont les nations n’ont pas fait la conquête et dont elles se sont interdit d’exploiter les richesses depuis le traité de l’Antarctique en 1959 et le protocole de Madrid en 1991. Avec l’idée affichée d’en faire une sorte de paradis consacré à la paix et à la recherche scientifique. Mais aucun traité n’est éternel et certains, dont la Chine et l’Iran, lorgnent vers l’or blanc de l’Antarctique, réservé à quelques privilégiés et aujourd’hui menacé.

 

La gestion de l’Antarctique par un club blanc

Juste avant le premier traité, douze pays intéressés dès l’origine à l’Antarctique ont fixé le droit concernant ce continent. Ils formaient, à l’exception du Japon, un club blanc. Durant l’année géophysique internationale débutée le premier juillet 1957 et terminée le 31 décembre 1958, ces douze pays, Afrique du Sud (alors sous gouvernement blanc), Argentine, Australie, Belgique, Chili, Etats-Unis, France, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, URSS, établissaient une quarantaine de bases sur les îles antarctiques et sub-antarctiques, et cela nécessita un cadre réglementaire. Le traité de l’Antarctique signé le 1er décembre 1959 à Washington DC s’applique à tout ce qui est situé au sud du 60e parallèle, et a pour objet que le continent ne puisse devenir le théâtre ni l’enjeu des différends internationaux. Aucune activité militaire ni industrielle n’y est admise, et depuis le protocole de Madrid en 1991 l’environnement y est strictement protégé.

 

Nul traité n’est éternel

Dix-sept autres pays ont adhéré depuis aux traités, avec droit de vote (Pologne, Tchéquie, Pays-Bas, Brésil, Corée du Sud, Bulgarie, Allemagne, Uruguay, Italie, Pérou, Espagne, Chine, Inde, Finlande, Suède, Equateur, Ukraine), et 27 autres pays sans droit de vote. Aucun pays africain, aucun pays arabe. Le nombre relativement bas des signataires n’est pas la seule faiblesse de ces traités. Toute exploitation minière se trouve interdite en Antarctique jusqu’en 2048. Mais après ? Du charbon, du fer, ont été repérés. Sans doute, officieusement, d’autres minerais et minéraux. Et une difficulté subsiste, que les traités ont reportée sans la supprimer : 7 pays, avant 1959, avaient émis des revendications territoriales, parfois antagonistes, aujourd’hui simplement en veilleuse, l’Argentine, l’Australie, le Chili, la France, la Nouvelle Zélande, la Norvège, le Royaume-Uni, et 7 pays se sont déjà réservé le droit de revendiquer, le Brésil, le Pérou, la Russie, l’Afrique du Sud, l’Espagne et les Etats-Unis. Pour l’instant tout cela reste très théorique. Mais on sent que la Chine s’impatiente du statu quo en Antarctique.

 

Péril jaune sur le paradis blanc

Pékin vient en effet de construire sa cinquième base en Antarctique « dans une intention scientifique ». Jusqu’ici ça va, c’est conforme aux traités, à leur lettre et leur esprit. Hélas, les Chinois ont juste oublié de fournir les études d’impact prévues et bâti leur affaire en trois mois. Du point de vue de l’environnement, l’empreinte la plus importante est américaine, mais celle de la Chine croît plus vite. Et, plus grave, elle entretient dans les eaux du continent une flotte importante de super-chalutiers grâce auxquels elle fait une razzia sur le krill et d’autres proies marines, en l’absence de tout contrôle possible. Autre sujet d’inquiétude : en 2019, Pékin a tenté de revendiquer le « Dome Argus », le plus haut sommet de l’Antarctique, qui, avec sa couche de glace, culmine à plus de quatre mille mètres : or il se situe sur une zone revendiquée par l’Australie depuis 1933. Cela a été bloqué, mais pour combien de temps.

 

L’Antarctique menacé par la géopolitique

L’Iran, quant à lui, ne fait pas partie des 56 signataires du traité. Il vient d’annoncer l’automne dernier son intention de construire une base là-bas et de revendiquer « un droit de propriété ». Tout cela est inquiétant. L’Antarctique a jusqu’ici été protégé par la mer (les « cinquantièmes rugissants » où la navigation est très difficile) et le climat. Mais les entorses au droit international se multiplient tout autour du monde, sur terre et aussi sur mer (comme en Mer Jaune par exemple). Il est de plus en plus douteux que l’Antarctique demeure le paradis des chercheurs et des manchots que quelques touristes fortunés vont parfois visiter. A moins que la prochaine ardente obligation imposée à l’humanité, dans le cadre de la gouvernance mondiale, ne soit de sauver, en même temps que le climat, le continent blanc.

 

Pauline Mille