Suspension par la CJUE de la réforme de l’âge de la retraite des juges : si la Pologne cède, des conséquences pour toute l’UE !

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Il semblerait donc qu’un juge de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) puisse obliger un gouvernement et un parlement issus d’élections démocratiques nationales à reculer sur une loi concernant un domaine hors du champ de compétences des institutions européennes. Pour cela, il suffit d’avoir une plainte de la Commission européenne se référant au respect des valeurs invoquées à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne. Aujourd’hui, il s’agit de respect de l’état de droit, selon l’interprétation qui en est faite par les fonctionnaires de la Commission, demain il pourra s’agir du principe de non-discrimination figurant également au même article 2. Dans le premier cas, la CJUE suspend la réforme polonaise qui a ramené l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême de 70 ans à 65 ans, alignant ainsi cet âge sur le régime général, il est vrai – le PiS ne s’en cache pas – avant tout pour purger plus rapidement la Cour suprême des anciens juges de la dictature communiste. Dans le deuxième cas, la CJUE, si elle est saisie par la Commission, pourra tout aussi bien imposer le « mariage » entre personnes du même sexe dans toute l’UE.
 
Le premier vice-président de la Commission chargé du respect de l’état de droit et de la Charte des droits fondamentaux, le socialiste néerlandais Frans Timmermans, a d’ailleurs déjà dit que c’était son souhait, et la CJUE a pris récemment une première décision allant dans ce sens, en obligeant tous les États membres de l’UE à reconnaître les effets juridiques des « mariages » entre personne du même sexe contractés dans un autre pays de l’UE.
 

La CJUE se mêle de l’âge de la retraite des juges polonais, demain elle imposera le « mariage pour tous » dans toute l’UE !

 
Si la Pologne refusait d’appliquer l’ordonnance adoptée le 19 octobre par le juge espagnol Rosario Silva de Lapuerta, vice-présidente de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), elle poserait une limite claire à l’extension des pouvoirs de la CJUE et montrerait que les juges de Luxembourg et les fonctionnaires de Bruxelles doivent eux aussi respecter l’état de droit, et donc les traités tels que signés et ratifiés par les 28 Etats souverains qui composent l’Union européenne. En revanche, si elle cède, la décision de la CJUE constituera un précédent dangereux permettant à ce tribunal européen de bloquer ou faire annuler n’importe quelle loi adoptée par n’importe quel parlement national de l’UE dans n’importe quel domaine. En tout cas, tant qu’un autre pays n’ira pas à la confrontation, car il est probable qu’une telle extension des compétences de la CJUE finisse par faire exploser l’Union européenne en multipliant les occasions de conflits entre Bruxelles et les Etats européens et aussi entre Etats européens qui choisiront de prendre parti pour ou contre Bruxelles dans telle ou telle affaire.
 

La Pologne prête à céder devant l’ordonnance adoptée à titre conservatoire par la vice-présidente de la CJUE 

 
Malheureusement, il semble pour le moment que le gouvernement de Mateusz Morawiecki, soucieux de protéger les intérêts de la Pologne, que le PiS considère depuis toujours – tout comme le Fidesz hongrois – comme coïncidant avec l’appartenance à l’UE et la survie de cette Union européenne. C’est ainsi que le vice-ministre polonais de la Justice Marcin Warchoł a déjà annoncé cette semaine que la loi sur la Cour suprême serait amendée pour la mettre en conformité avec la mesure conservatoire prise à titre provisoire, sans jugement sur le fond, par la vice-présidente de la CJUE sur demande de la Commission européenne. Cet amendement doit permettre aux juges déjà mis à la retraite de revenir travailler à la Cour suprême, comme les a encouragés à le faire la première présidente à la retraite de la Cour suprême qui est depuis le début en rébellion ouverte contre cette loi.
 
Pourtant, elle avait le pouvoir de saisir le Tribunal constitutionnel, seul habilité à la lumière de la Constitution polonaise pour invalider cette loi réformant la Cour suprême et rabaissant l’âge de la retraite des juges. Aujourd’hui, même avec l’ordonnance de la CJUE, sans amendement à la loi voté par le parlement polonais, les décisions prises par les juges à la retraite pourront donc être contestées, ce qui crée une situation juridique confuse.
 

Le président de la CJUE officialise le gouvernement européen des juges

 
Montrant le peu de cas qu’il fait des compétences réservées aux Etats dans les traités européens et de la règle selon laquelle les juges de la TSUE ne doivent pas se prononcer publiquement sur les affaires en cours, le président de la CJUE, le Belge Koen Lenaerts, a prévenu jeudi que si un pays ne se conforme pas aux décisions de la CJUE, il s’engage sur la voie d’un processus similaire au Brexit. Il réagissait ainsi à cette ordonnance du 19 octobre de sa vice-présidente et aussi à la saisine par le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro du Tribunal constitutionnel sur la validité des questions préjudicielles envoyées par certains juges polonais à la CJUE. Pour Lenaerts, la CJUE est la « colonne vertébrale » de l’UE et le droit européen, tel qu’il est interprété par les juges de Luxembourg, est au-dessus des droits nationaux. « Un pays qui n’applique pas les décisions de la Cour de Justice de l’UE se place lui-même en dehors de l’ordre juridique de l’Union », a-t-il déclaré.
 
Si quelqu’un avait encore des doutes, il saura maintenant que l’Union européenne, dans sa forme actuelle, est incompatible avec la démocratie parlementaire et la souveraineté nationale, même limitée. À bon entendeur, salut !
 

Olivier Bault

Correspondant à Varsovie