La Suisse condamnée par la CEDH pour défaut de limites aux émissions de gaz à effet de serre

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C’est une première « historique », à en croire les médias éblouis : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué en faveur d’une action intentée par l’association Senior Women for Climate Protection contre le gouvernement suisse. La CEDH a notamment estimé que les autorités suisses n’avaient pas quantifié, par le biais d’un budget carbone ou d’une autre manière, les limites nationales aux émissions de gaz à effet de serre.

Les 2.500 femmes de 64 ans et plus à l’origine de la requête, membres de l’association KlimaSeniorinnen Schweiz (Aînées pour le climat Suisse), ont reçu un soutien financier intégral de l’association Greenpeace. Leur objectif : faire reconnaître que l’absence de mesures nécessaires pour lutter contre le « réchauffement climatique » engage la responsabilité du gouvernement suisse alors que les femmes âgées sont particulièrement vulnérables lors des vagues de chaleur.

Par seize voix contre une, la Grande chambre de la CEDH leur a donné raison, constatant une « violation de l’article 8 » de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le « droit à la vie privée et familiale ». L’association KlimaSeniorinnen se voit également reconnaître le statut de « victime » (contrairement aux plaignantes individuelles dont la requête a été jugée irrecevable).

 

La Suisse condamnée pour atteinte à la vie privée et familiale

Voilà donc la Suisse condamnée à 80.000 euros de dommages et intérêts pour n’avoir pas respecté ses « obligations » en matière de droits de l’homme puisque, face au « réchauffement climatique », « les autorités suisses n’ont pas agi à temps et de manière appropriée pour atténuer les effets du réchauffement climatique », explique le communiqué de l’association : « De plus, la Suisse a échoué à atteindre ses propres objectifs insuffisants de réduction des émissions de gaz à effet de serre. »

L’arrêt de la CEDH (ici) fait 286 pages. Une décision-fleuve qui révèle la mobilisation d’innombrables experts et tierces-parties, une belle soumission aux conclusions du GIEC affirmant « l’origine anthropique » du réchauffement, et une disposition à condamner un pays donné malgré le caractère planétaire supposé du « changement climatique », bien plus difficiles à identifier et à quantifier qu’un fait particulier de pollution ou d’atteinte dommageable à l’environnement. La Cour affirme l’existence « d’effets néfastes non seulement sur la santé des individus mais aussi sur leur bien-être et leur qualité de vie ».

A cet égard, le paragraphe 442 de la décision est à souligner. Il affirme : « La Cour observe que, si le changement climatique est sans conteste un phénomène mondial qui mérite d’être traité au niveau international par l’ensemble des Etats, le régime climatique mondial établi par la CCNUCC repose sur le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives des Etats (article 3 § 1). Ce principe a été réaffirmé dans l’Accord de Paris (article 2 § 2) et repris dans le Pacte de Glasgow pour le climat (précité, paragraphe 18), ainsi que dans le Plan de mise en œuvre de Charm el-Cheikh (précité, paragraphe 12). Il s’ensuit que chaque Etat a sa propre part de responsabilité s’agissant de prendre des mesures pour faire face au changement climatique et que l’adoption de ces mesures est déterminée par les capacités propres de l’Etat concerné, et non par une action (ou omission) particulière de tout autre Etat (Duarte Agostinho et autres, décision précitée, §§ 202-203). La Cour considère qu’un Etat défendeur ne doit pas se soustraire à sa responsabilité en mettant en avant celle d’autres Etats, qu’il s’agisse ou non de Parties contractantes à la Convention. »

 

La CEDH reconnaît que la Suisse ne fait que participer aux émissions

Autrement dit, la Suisse est riche, elle doit agir payer même si d’autres (on pense à la Chine…) sont bien plus coupables en matière d’émissions, ce que le gouvernement helvétique avait souligné devant la Cour en soulevant l’argument « de la goutte d’eau dans l’océan ». Il suffit que les mesures prises puissent « atténuer » (on ne dit pas dans quelle proportion) l’effet du changement climatique, affirme la décision. Et de tenir compte « des données scientifiques convaincantes démontrant que le changement climatique a déjà contribué à une augmentation de la morbidité et de la mortalité, spécifiquement parmi certaines catégories plus vulnérables, qu’il engendre bel et bien de tels effets et qu’en l’absence d’une action résolue des Etats il risque d’évoluer jusqu’à devenir irréversible et catastrophique ». Il est fait mention de certains pics de chaleurs en Europe ayant entraîné une mortalité accrue chez les personnes âgées… mais jamais de la mortalité accrue, et à plus grande échelle, qu’entraînent les épisodes de froid, comme le montre Pierre Chaillot dans une vidéo de sa chaîne Décoder l’Eco.

Puisque des Etats, la Suisse notamment, se sont engagés par convention à agir, l’absence de cette action leur est imputable, selon la Cour. Celle-ci constate pour conclure : « Le processus de mise en place par les autorités suisses du cadre réglementaire interne pertinent a comporté de graves lacunes, notamment un manquement desdites autorités à quantifier, au moyen d’un budget carbone ou d’une autre manière, les limites nationales applicables aux émissions de GES. En outre, la Cour a relevé que, de l’aveu des autorités compétentes, l’Etat n’avait pas atteint ses objectifs passés de réduction des émissions de GES. (…) Faute d’avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente pour la conception, le développement et la mise en œuvre du cadre législatif et réglementaire pertinent, l’Etat défendeur a outrepassé les limites de sa marge d’appréciation et manqué aux obligations positives qui lui incombaient en la matière. »

 

Que faire ? La CEDH n’en a en fait aucune idée

Mais la Cour se reconnaît en même temps incapable de dire ce qu’il faudrait faire exactement. L’arrêt s’achève sur ce constat : « Eu égard à la complexité et à la nature des questions en jeu, la Cour ne saurait se montrer précise ou prescriptive quant aux mesures à mettre en œuvre pour se conformer de manière effective au présent arrêt. » La Cour laisse au Comité des Ministres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le soin de vérifier si la Suisse se conforme à ses obligations… Drôle d’interprétation du principe de subsidiarité.

Du gouvernement des juges transnationaux au droit de regard d’un comité non élu composé d’un représentant désigné par Etat membre, on nage en pleine négation de la souveraineté nationale. Ce qui, finalement, constitue le but de l’opération…

D’où la satisfaction de Greta Thunberg, spécialiste de la chose, qui s’est réjouie de la décision et qui a aussitôt déclaré : « Ce n’est que le début du contentieux climatique. Les résultats de ce procès ne peuvent en aucun cas signifier que nous puissions nous reposer. Cette affaire signifie que nous devons nous battre encore plus, car ce n’est qu’un début. Car en cas d’urgence climatique, tout est en jeu. »

La décision de la CEDH encourage en effet puissamment les activistes du climat à multiplier leurs opérations de harcèlement judiciaire au niveau des tribunaux supranationaux. C’est le Nouvel Ordre Mondial en marche.

 

Jeanne Smits