Pour réduire l’immigration venue d’Afrique, l’UE a dépensé des milliards d’euros – qui ont été détournés

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Echec et mat : c’est ce qui ressort d’une enquête menée par la Cour des comptes européenne sur le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, et publiée ce 25 septembre. Malgré des milliards d’euros dépensés, non seulement l’Union Européenne n’a pas réussi à ralentir l’immigration en provenance d’Afrique, et les migrants sont toujours nombreux aux portes des pays occidentaux. Mais une partie de ces subsides a été détournée par les trafiquants et les groupes criminels liés à l’immigration irrégulière. En somme, les fonds de la Commission Européenne permettent des violations de droits humains en Afrique, tout en n’évitant pas le raz-de-marée en Occident. C’est ce qui s’appelle un franc succès.

Mais faut-il s’en étonner ? Comme le rappelait Pauline Mille, l’agence de surveillance des frontières Frontex a toujours été, aussi, passablement inutile contre l’immigration. L’inefficacité est très visiblement une marque de fabrique.

 

Une enveloppe de 5 milliards d’euros à l’Afrique

Ce programme avait été concocté à la hâte par Bruxelles en 2015, en plein cœur de la crise migratoire, alors que plus d’un million de personnes débarquaient sur le continent et submergeaient les services grecs et italiens. Au départ, 1,8 milliard d’euros avaient été rendus disponibles, mais ce montant a quasiment triplé pour atteindre environ 5 milliards d’euros aujourd’hui.

Tout ça pour « lutter contre les causes profondes à l’origine des migrations dans les régions du Sahel, de la Corne de l’Afrique et à l’Afrique du Nord », c’est-à-dire lutter contre la pauvreté, le chômage ou encore les conflits locaux. Concrètement, l’UE a financé depuis dix ans 248 projets dont un grand nombre a permis le rapatriement volontaire de 73.215 migrants. En 2023, par exemple, des emplois ont été créés ou soutenus, principalement en Guinée et au Sénégal, tandis que 23.266 personnes ont bénéficié d’une formation professionnelle afin de les aider à rester dans leur région.

Mais ce beau programme humanitaire s’avère presque totalement utopique quant à son objectif d’empêcher les Africains de partir vivre en Europe. En 2023, les entrées irrégulières dans l’Union européenne ont augmenté de 17 % par rapport à 2022, selon Frontex, même si l’année 2024 les a revues à la baisse. Comme l’a avoué Bettina Jakobsen, la principale auditrice de l’UE chargée de l’enquête : « La Commission n’est toujours pas en mesure d’identifier et de signaler les approches les plus efficaces et efficientes pour réduire l’immigration irrégulière. »

 

L’UE, auteur indirect de crimes contre l’humanité ?

Le plus ironique dans ce rapport est sans doute que plus d’un tiers des programmes financés concernent « l’amélioration de la gestion des migrations ». C’est-à-dire que l’Europe a subventionné les forces de police ou des douanes des pays du continent africain, en les équipant de moyens de surveillance, de voitures, d’autobus, de navires pour les aider à contrôler les passages de frontières et les points de départ côtiers. Et non seulement les effets n’ont pas été au rendez-vous, mais l’argent s’est quelque peu volatilisé.

Les auditeurs ont ainsi mis en garde contre des failles potentielles dans l’utilisation des fonds. Et le rapport indique que les équipements financés « pourraient être utilisés par des acteurs autres que les bénéficiaires prévus »… Le Monde indique qu’en décembre, les auditeurs ont visité le site d’un centre de coordination des secours maritimes sur la côte libyenne, que l’Italie avait aidé à mettre en place en 2017 : « Des millions d’euros ont été affectés à cette tâche et des conteneurs de matériel ont été envoyés, mais sept ans plus tard, le centre n’est toujours pas opérationnel. »

Un enquêteur nommé par l’ONU a tout de go déclaré que l’aide de l’UE au département des migrations et aux garde-côtes libyens « a aidé et encouragé à la commission de crimes », y compris des crimes contre l’humanité ! Allégation que la Commission a promptement rejetée. Dix autres officiers ont signalé de possibles violations des droits dans différentes régions d’Afrique.

 

L’immigration en flux continu

Ainsi l’Europe paierait à la fois pour ceux qui restent au pays et pour ceux qui en partent : du perdant-perdant !

Quoique sortie de l’UE, la Grande-Bretagne fait dans le même style. Depuis son arrivée au pouvoir, début juillet, le Parti travailliste a abandonné le programme d’expulsion du Rwanda du gouvernement conservateur, qui était davantage un projet vitrine des Tories qui n’ont, il est vrai, jamais rien fait pour freiner l’immigration (le nombre de demandes d’asile accordées l’année dernière, sous Rishi Sunak, a atteint le triple du chiffre de l’année précédente). Le Premier ministre, Sir Keir Starmer, cherche à conclure des accords de retour avec d’autres pays, en les payant, mais les efforts pour augmenter les expulsions sont au point mort.

Rappelons que l’immigration vers le Royaume-Uni en 2023 se chiffre à 1,2 million d’entrées, la plupart arrivant pour travailler. Un rapport récent du Bureau de la responsabilité budgétaire a révélé que, tout au long de leur vie, les migrants non qualifiés constituaient un fardeau net pour le Trésor. Et c’est sans compter les immigrés irréguliers.

 

30.000 euros par migrant

Cependant, certains pays se mettent à jouer leur propre partition migratoire au sein de l’UE. A la mi-septembre, l’Allemagne a annoncé réintroduire des contrôles sur ses neuf frontières terrestres intérieures et a commencé à expulser des réfugiés afghans vers Kaboul. La Suède change son fusil d’épaule et propose désormais 30.000 euros à chaque migrant souhaitant retourner dans son pays d’origine.

Fidèle à elle-même, la Hongrie n’a pas hésité à menacer d’affréter des autocars pour la capitale belge si l’UE entend « obliger » le pays à « laisser rentrer les migrants illégaux » : pour toute réponse, la Commission a annoncé qu’elle ponctionnerait de 200 millions d’euros les prochains fonds versés à la Hongrie en raison de son refus persistant de se conformer aux traités européens en matière de droit d’asile…

Si les pays commencent à se crisper, la Commission ne semble, elle, pas du tout gênée par l’échec patent et déplorable de sa politique migratoire, quand bien même elle se retrouve à payer « involontairement » les profiteurs et les passeurs qu’elle prétend condamner. Et l’Europe continue de subir. Pour l’ancien député conservateur britannique Nadhim Zahawi, les nations et les services vont être « submergés » : « Je crois sincèrement que dans les dix ou vingt prochaines années, le plus grand défi pour la démocratie occidentale, l’Europe et les Etats-Unis sera la migration. »

 

Clémentine Jallais