Voltaire est Charlie : Charlie est Voltaire

Voltaire est Charlie
 
Depuis ce que l’on nomme désormais « les attentats de Paris », plusieurs figures tutélaires ont été mises à contribution dans ce nouveau combat pour la laïcité, la tolérance et… la paix. Et le sieur de Ferney a le vent en poupe. On nous rebat les oreilles de Voltaire. Voltaire est Charlie ! Depuis que plusieurs exemplaires de son Traité de la Tolérance ont été vus, tendus vers le ciel, lors de la « marche républicaine » du 11 janvier, c’est la ruée vers l’or. Ses ventes en librairie se sont envolées. La responsable de la collection de poche de Gallimard qui l’avait fait éditer à 120.000 exemplaires en 2003, prévoit « une réimpression de quelque 10.000 exemplaires » pour faire face à la demande et n’exclut pas qu’il n’y en ait pas d’autres.
 

Voltaire est Charlie

 
Même Versailles a cédé à l’euphorie : c’est son portrait qu’on a accroché, à dessein, au plein milieu de la salle du … Pape. « La première réaction qu’on a eue, face aux événements, a été celle d’invoquer l’esprit français et la liberté d’expression, (…) en accrochant aujourd’hui le portrait de celui qui nous semble le plus emblématique », a expliqué la présidente de Versailles, Catherine Pégard. La salle du Pape termine le circuit de visite classique des touristes. L’image finale qu’ils auront, collée à la rétine, est ce grand portrait réalisé par Nicolas de Largillière en 1724-1725, doublé de ce cartel de circonstance : « Hommage aux victimes des attentats des 7,8 et 9 janvier 2015 ».
 
Après avoir embrassé le livre sous toutes ses coutures, quelques-uns se sont néanmoins posé des questions, certains même les bonnes. Et des voix se sont élevées pour commencer à dire que le sacro-saint Traité de la Tolérance de Voltaire n’était sans doute pas le meilleur prosélytisme en matière de … tolérance. Dans Le Figaro, l’avocat Dominique Inchauspé rappelle « toute l’ambiguïté de ce texte finalement méconnu » où Voltaire s’empêtre d’abord dans l’affaire elle-même qu’il veut soutenir (rappelons qu’il y prend la plume pour demander la réhabilitation de Jean Calas, un protestant exécuté pour avoir assassiné son fils afin d’éviter que ce dernier ne se convertisse au catholicisme), et cumule les inepties historiques, comme sur le chapitre des persécutions romaines des chrétiens dont aucun, pour lui, n’a été condamné au motif de sa seule religion… Même un blog du très gauchiste « Rue 89 » s’est mis à prendre des pincettes pour se saisir de l’icône laïciste.
 

Charlie est Voltaire

 
Il est fort amusant en effet de voir Voltaire apparaître dans les bras de tous, pressé sur le cœur comme la nouvelle Bible des temps modernes. L’affaire Callas ne fut qu’un prétexte de mener « une campagne d’opinion », les protagonistes ayant pour lui fort peu d’importance – dans une lettre à d’Alembert il qualifiera Mme Callas de « petite huguenote imbécile ». L’important était son message. De tolérance ?! Qu’on relise les ouvrages de Xavier Martin, et en particulier son Voltaire méconnu.
 
La tolérance voltairienne était limitée à ses amis, ses relations opportunes et toux ceux qui ne le gênaient pas. Pour les autres, et en particulier ceux qui ne pensaient pas comme lui, l’affaire était tout autre. La désinformation, la calomnie, l’invective furent son courant. Briser le fanatisme religieux avec le sien propre… Briser l’intolérance avec la sienne propre. La religion catholique, « écrasez l’infâme », en a eu sa part, la plus grosse – et là Voltaire a tout le soutien des laïcistes d’aujourd’hui. Mais parle-t-on de sa pièce de théâtre, « Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète », où Mahomet n’est qu’« un imposteur hardi qui trompa des imbéciles » ? « J’ai (…) l’honneur de haïr son croissant » dira-t-il à propos du sultan turc Mustapha III. Voltaire ferait donc de l’amalgame ?!
 
Et que dire de son antisémitisme et de son racisme ?! Ses œuvres sont aujourd’hui soigneusement expurgées des passages choquants. Il faut bien, à la République qui se dit fille de la Révolution, des anges tutélaires à la doctrine nettoyée, épurée, conforme…
 
Au risque du reste, qu’elle fait sien, de rejoindre son terrorisme intellectuel. Son fanatisme laïciste. Et la campagne menée depuis le 7 janvier ne le prouve que trop. La liberté d’expression qu’il faut désormais chérir est très précieuse. Trop pour qu’on veuille bien l’attribuer à tous : c’est le message de Voltaire… et des profiteurs métapolitiques de l’affaire Charlie.