Lech Walesa prend la défense des juges mis à la retraite par le PiS en menaçant de débarquer à Varsovie avec son arme à feu pour renverser Kaczyński

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Ouf ! Lech Walesa, héros du syndicat Solidarité (Solidarność) et prix Nobel de la paix, devait bien débarquer à Varsovie le 4 juillet pour défendre les juges de la Cour suprême mis à la retraite par le PiS, mais il a finalement promis dans la matinée de venir sans son arme à feu. Il écrivait mercredi matin sur son compte Twitter : « Je n’aurai pas d’arme à feu sur moi. Mon intention sera de rechercher de manière pacifique et conforme à la Constitution un moyen efficace pour traduire en justice le principal coupable des malheurs polonais ». Puis, deux minutes plus tard, parlant à nouveau sans le nommer du leader du PiS, Jarosław Kaczyński, que Walesa déteste : « Je voudrais que ce principal coupable soit jugé pour son rôle dans : 1) La déstabilisation de la séparation des pouvoirs. 2) La catastrophe de Smolensk. 3) Le montage de l’affaire des « Dossiers de Kiszczak. »
 
Quelques explications s’imposent pour le lecteur peu au courant des vicissitudes de la vie politique polonaise.
 

Les menaces proférées par Lech Walesa

 
Cette histoire d’arme à feu, tout d’abord : alors que des manifestants protestent devant le siège de la Cour suprême polonaise à Varsovie contre la mise à la retraite d’une partie de ses juges en vertu d’une loi votée par le PiS, qui dispose depuis novembre 2015 de la majorité absolue au parlement, ayant ramené l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême polonaise de 70 à 65 ans, Lech Walesa avait annoncé samedi que si le PiS attaque la Cour suprême, il prendra la tête d’un mouvement dans le but de « renverser physiquement le principal coupable de tous les malheurs ». Par la suite, il a encore écrit : « Je vais vouloir le faire de manière pacifique, mais si quiconque, y compris la police, cherche à m’en empêcher, je me battrai et je me défendrai. Je rappelle que j’ai une arme et un permis de port d’arme. »
 
Frappé de folie, Lech Walesa ? Sans doute pas plus que depuis des années : sa mégalomanie, son orgueil hors norme et son agressivité verbale, surtout quand il est question de Kaczyński, ou de son passé de délateur et d’agent au service des communistes, sont méconnus à l’étranger, mais pas en Pologne.
 

Lech Walesa aux côtés des juges de la Cour suprême mis à la retraite par le PiS

 
Le contexte général : le 4 juillet, trois mois après l’entrée en vigueur de la loi réformant la Cour suprême polonaise, 14 juges de la Cour suprême âgés de 65 ans ou plus et qui n’ont pas demandé au président de la République de pouvoir continuer à siéger sont automatiquement mis à la retraite. Parmi les 27 juges (sur 73) de la Cour suprême qui ont 65 ans ou plus, il y en a neuf qui ont demandé à continuer à siéger en respectant les conditions de la nouvelle loi. Sept autres ont aussi demandé à continuer à siéger mais sans respecter la loi et en s’appuyant sur la constitution polonaise. Onze juges n’ont pas demandé à continuer à siéger. Parmi eux, il y a la présidente de la Cour suprême Małgorzata Gersdorf, qui a refusé de demander une prolongation de son mandat en considérant que le mandat de 6 ans pour lequel elle a été nommé en 2014 et qui est inscrit dans la constitution la dispensait de demander l’avis du président pour siéger au-delà de 65 ans, indépendamment de la loi votée par le Parlement.
 
L’attitude est plutôt surprenante et assez caractéristique d’une juge militante, en réalité, car la constitution polonaise stipule aussi que les juges, y compris ceux de la Cour suprême, doivent obéir à la constitution et aux lois votées par le Parlement, et que l’âge de la retraite pour les juges est défini par la loi. En outre, ce n’est normalement pas à la présidente de la Cour suprême de statuer seule sur la conformité d’une loi à la constitution mais au Tribunal constitutionnel.
 
Les partisans du PiS considèrent que la caste des juges résiste à l’effort entrepris, conformément aux promesses électorales du PiS, pour décommuniser l’institution judiciaire et rétablir un contrôle démocratique sur la justice. Les opposants du PiS, dont Walesa, considèrent au contraire que les réformes du PiS sont une atteinte à l’indépendance de la justice et aux principes démocratiques, d’où la manifestation anti-PiS de mercredi devant le bâtiment de la Cour suprême.
 

Jarosław Kaczyński accusé de tous les maux

 
La catastrophe de Smolensk : sur la base d’un raisonnement obscur qui tient exclusivement à sa haine personnelle et qui n’est accompagné d’aucune explication rationnelle, Lech Walesa accuse depuis plusieurs années Jarosław Kaczyński d’être à l’origine de la catastrophe de Smolensk dans laquelle son frère jumeau, président de la République de Pologne, a trouvé la mort en 2010 en compagnie de 95 autres personnes.
 
Les dossiers de Kiszczak : Lech Walesa parle d’un montage dont il accuse Jarosław Kaczyński, mais c’est la veuve du général Kiszczak, ancien ministre de l’Intérieur du général Jaruzelski, qui a dévoilé en février 2016 les documents que son mari décédé en novembre 2015 avait conservés chez lui, très certainement pour s’assurer l’impunité et conserver un moyen de pression. Comme les autres dignitaires et responsables du régime communiste, et sans nul doute pour le même type de raisons (les dossiers disparus des archives de la police politique au moment de la transition démocratique sont très nombreux), le général Kiszczak n’a jamais été condamné pour ses crimes et délits communistes.
 

Les dossiers conservés chez lui par le général Kiszczak, ancien ministre de l’Intérieur, ont confirmé ce que beaucoup en Pologne pensaient de Lech Walesa.

 
Les documents dévoilés par la veuve Kiszczak (elle voulait les vendre !) sont extrêmement compromettants pour Lech Walesa puisqu’ils contiennent sa première promesse de collaboration avec la police politique communiste rédigée par lui-même en décembre 1970, ainsi que des dizaines de délations de Lech Walesa, alias agent Bolek, et 17 reçus pour des sommes d’argent qui lui ont été versées dans la première moitié des années 1970 en rétribution de ses services.
 
Walesa conteste toujours l’authenticité de ces documents, mais les analyses graphologiques disent le contraire. Du reste, et sans rentrer dans les détails, cela faisait très longtemps que nombre de Polonais étaient convaincus que le leader légendaire de Solidarité avait été dans le passé un agent des communistes et qu’il avait ensuite été soumis de ce fait dans les années 80, en tant que leader de l’opposition, puis au début des années 90, en tant que président de la République, à un chantage permanent de la part de la police politique puis des anciens du régime communiste après la transition démocratique. Sa mégalomanie et son orgueil démesuré aidant, selon ses détracteurs (dont plusieurs autres anciens leaders légendaires du mouvement Solidarité éloignés par Walesa de la direction du mouvement dans les années 80), les communistes auraient utilisé l’électricien de Gdansk pour changer la direction du syndicat Solidarité afin de négocier plus confortablement la transition vers la démocratie et l’économie de marché qu’ils voyaient comme inéluctable en raison de l’échec structurel de l’expérience communiste.
 
Toute allusion à son passé encombrant met Lech Walesa dans une rage folle et transforme immédiatement l’auteur de l’allusion en un objet de haine durable. Jarosław Kaczyński n’est pas le seul en Pologne à en faire les frais, mais c’est la première fois que Walesa exprimait ainsi des menaces de violence armée. La police polonaise a annoncé qu’elle allait contrôler si un permis de port d’arme est bien justifié pour l’ancien président.
 

Olivier Bault