La Banque Mondiale sous le feu des critiques : 3,4 millions de personnes expulsées ou déplacées par ses projets d’investissement

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Les deux objectifs de la Banque mondiale (BM) ? Éradiquer la pauvreté et favoriser une prospérité partagée. Pieuses ambitions, objectifs officiels qui se trouvent aujourd’hui bien mis à mal par une grande enquête menée par plus de 50 journalistes dans 21 pays différents, en collaboration avec le Huffington Post et The Guardian. Intitulée « Abandonnés et expulsés, comment la Banque a failli à sa promesse de protéger les pauvres », elle révèle que, depuis 2004, la BM a investi dans des projets qui ont eu pour effet de forcer 3,4 millions de personnes – la majeure partie en Afrique et en Asie – à quitter leur logement ou leur région. Un chiffre qui, de plus, se trouve probablement bien en deçà de la réalité – dans 60% des cas, les employés de banque ont omis de noter ce qui était arrivé aux gens après leur « déplacement »…

 

3,4 millions de personnes expulsées ou déplacées : le creux concept de « réinstallation involontaire »

 
Fondée à la base par les États-Unis et d’autres puissances mondiales, elle est censée promouvoir « le développement dans les pays déchirés par la guerre et la pauvreté ». Ses pays membres la financent et approuvent l’octroi, chaque année, de quelque 65 milliards de dollars en prêts, subventions et autres investissements. Entre 2004 et 2013, la BM et son bras droit du secteur privé, la Société financière internationale, se sont engagés à prêter 455 milliards de dollars pour financer près de 7.200 projets dans les pays en développement, en général de gros projets d’infrastructures ou de rénovation aux objectifs tout à fait louables.
 
Mais, les faits sont là, la BM a le plus souvent négligé de s’assurer de la protection des communautés lésées par ces projets. Il y a bien eu quelques dédommagements, quelques réinstallations rapides, vite et mal faites. Mais dans la majorité des cas, elle a prêté aux gouvernements en fermant les yeux sur les dégâts collatéraux. Et dans ces pays pauvres, aux dirigeants peu pointilleux, les expropriations se sont rapidement mues en expulsions, comme à Lagos au Nigeria ou à Jale, sur la côte albanaise, avec l’arrivée de policiers armés, au petit matin… En Éthiopie, les soldats ont été jusqu’à tuer des villageois pour les forcer à déloger … vers leur dernière demeure. Ainsi, pour une centrale ou une route, des populations déjà pauvres se sont vues perdre leur logement, leur terre, leur travail, parfois même leur famille (dans les pays développés, la politique est bizarrement au regroupement….).
 

« Les plus pauvres et les plus faibles en paieront le prix ».

 
Dans la théorie, pourtant, c’est une obligation. Conformément aux règles de la BM, les gouvernements qui veulent obtenir de ses fonds doivent élaborer des plans détaillés pour l’indemnisation et la réinstallation de personnes déplacées physiquement ou économiquement. Mais la BM n’a pas contrôlé systématiquement ou n’a pas voulu le faire. Les plaintes que ces communautés lésées ont déposées – en toute légitimité – ont le plus souvent, été redirigées vers des organismes gouvernementaux dont elle connaissait parfaitement l’absence de bonne volonté.
 
Les témoignages d’anciens fonctionnaires de la Banque sont nombreux : « il n’y avait souvent aucune intention de la part des gouvernements de se conformer – et il n’y avait souvent aucune intention de la part de la direction de la banque à faire respecter ses règles »… de façade ?
 

Le mondialisme choisit son humanitaire

 
La BM, évidemment, a toujours nié son implication, bien qu’elle se dise préoccupée et désireuse de réécrire sa politique de garanties – douloureuse contradiction. Elle avait déjà promis en 2008, par la voix de son président, de renforcer la surveillance sur ces choses « abominables ». Peu ou prou, rien n’a changé depuis. L’altruisme mondialiste n’est pas bon pour tout le monde – il sélectionne. Le rapport parle poliment d’« une crise d’identité » pour la Banque Mondiale qui fête, cette année, ses 70 ans. L’âge fait évoluer… et ses aspirations sont aujourd’hui tout simplement du même métal que celles de la Haute Finance à laquelle elle est évidemment adossée. Et il faudrait s’étonner !
 
De plus, la concurrence arrive, d’autres banques de développement se créent comme la nouvelle banque asiatique (l’AIIB). Alors ces pauvres normes sociales sont les premières à valser… Il faut remporter les gros projets avant tout – employés, actuels et anciens ont évoqué de très fortes pressions internes qui faisaient passer au second plan les impératifs humanitaires. Et les projets à venir de la BM vont exactement dans ce sens.
 

« Aucune faute » dans ses projets pour la Banque mondiale

 
Il y a bien eu une enquête interne sur les impacts problématiques de la « réinstallation involontaire ». Mais, pourtant achevée pour ses deux premières parties en 2012 et 2014, elle n’a été publiée que le 5 mars dernier, prenant soin de laisser passer en juillet dernier l’approbation du nouvelle politique de la BM qui reporte sciemment toute la responsabilité et la gestion de la « réinstallation » sur… les emprunteurs !
 
C’est ce qu’a reproché mercredi à son président, Jim Yong Kim, une lettre signée par 85 ONG et experts indépendants de 37 pays, qui déplore l’absence totale de réponse de la Banque « pour identifier les personnes affectées et pour rectifier les choses ». Ce dont on peut s’inquiéter vu le pourcentage accru de projets nécessitant un déplacement de populations (41% aujourd’hui). « Ces audits révèlent une culture d’ignorance systématique à l’égard des politiques de la Banque mondiale de la part du personnel et des responsables, qui pourrait bien avoir appauvri des millions de personnes ».
 
Les responsables de la BM ont assuré qu’une nouvelle version des garanties allait être réécrite, d’ici l’été – mais son président refuse catégoriquement de parler de « faute ». Dans l’optique mondialiste, il reste logique.
 

Clémentine Jallais