fbpx

Pour trancher les différends post-Brexit avec l’UE, Theresa May veut s’en remettre à la… Cour européenne de justice

Brexit Cour européenne justice CEJ Theresa May
 
Il pourrait s’agir d’une capitulation honteuse. Theresa May, Premier ministre britannique, est accusĂ©e de vouloir renoncer Ă  la future souverainetĂ© lĂ©gislative britannique. Un document gouvernemental envisage en effet la possibilitĂ© pour la Cour europĂ©enne de Justice (CEJ), bras armĂ© judiciaire de l’oligarchie multiculturaliste, libertaire et libre-Ă©changiste sur les nations, de continuer Ă  influencer la lĂ©gislation britannique après le Brexit. Certes, ce Ă©nième texte sur les modalitĂ©s de sortie de l’Union europĂ©enne rĂ©itère la volontĂ© de mettre fin, dès mars 2019, Ă  la « juridiction directe Â» de cette cour supranationale, tribunal dĂ©nuĂ© de toute lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique basĂ© au Luxembourg. Mais – le diable se cache dans les dĂ©tails – il Ă©numère une sĂ©rie d’options pour rĂ©soudre de futurs contentieux entre le Royaume-Uni et l’UE, par exemple sur les règles d’un nouvel accord commercial. Parmi elles, le recours aux juges europĂ©ens ou Ă  l’application de jurisprudence de ladite CEJ.
 

En tranchant des différends UE-Royaume-Uni, la Cour européenne de justice serait juge et partie

 
Dans le Telegraph, l’analyste Steven Swinford, qui a eu accès Ă  ce document en exclusivitĂ© avant sa publication ce mercredi, note « qu’il s’appuie sur une sĂ©rie de compromis qui permettent Ă  des nations hors-UE de confier “volontairement” la rĂ©solution de contentieux Ă  la Cour europĂ©enne de justice Â». Ce type de recours, utilisĂ© pour des nations extĂ©rieures telles que le Moldova, la Norvège, l’Islande ou le Liechtenstein, permet Ă  la CEJ d’édicter des « interprĂ©tations contraignantes Â». Ces pays sont hors UE mais ont accès au marchĂ© unique. Le document prĂ©voit d’autres arrangements destinĂ©s Ă  « Ă©liminer des divergences Â» entre les cours britanniques et la CEJ dans des domaines pour lesquels les deux parties dĂ©sirent Ă©tablir des coopĂ©rations Ă©troites. En un mot, il envisage de confier Ă  un organe de l’Union europĂ©enne le droit de juger certains diffĂ©rends entre un pays extĂ©rieur et cette dernière, ce qui ferait que la CEJ serait Ă  la fois juge et partie.
 
PrĂ©voyant l’émotion qu’un tel système soulèvera dans l’opinion britannique, le document insiste sur le fait que les « prĂ©cĂ©dents Â», exposĂ©s pour les pays citĂ©s ci-dessus, ne feraient pas du cas britannique une exception. Un porte-parole du gouvernement dĂ©clare : « Nous avons toujours dit clairement que la rĂ©solution des contentieux nĂ©cessiterait une solution nouvelle, et ce document souligne simplement une sĂ©rie de prĂ©cĂ©dents Â». Mais l’habitude fonde-t-elle nouveautĂ© ou plus encore la lĂ©gitimitĂ© ?
 

L’eurosceptique Bernard Jenkins refuse d’accorder « le moindre rĂ´le Â» Ă  la CEJ et demande un « tribunal bilatĂ©ral Â»

 
Les dĂ©putĂ©s conservateurs eurosceptiques s’indignent, eux, de ce que cette mĂ©thode soit prĂ©vue d’avance. Pour eux, cela constitue une retraite en rase campagne de Theresa May alors qu’elle promettait le 17 janvier dernier dans son discours Ă  Lancaster House que le Brexit verrait « l’autoritĂ© des lois de l’Union europĂ©enne prendre fin dĂ©finitivement dans ce pays Â». Bernard Jenkins, une des tĂŞtes de file conservatrices du camp du Brexit s’insurge : « Nous allons quitter l’Union europĂ©enne. Donc nous attendons lĂ©gitimement une relation bilatĂ©rale Ă©quitable, comme dans toute relation normale entre Etats souverains. La Cour europĂ©enne de Justice ne peut en aucun cas prĂ©tendre au moindre rĂ´le dans l’interprĂ©tation d’un quelconque contrat entre l’UE et le Royaume-Uni. Cela doit revenir Ă  un vĂ©ritable tribunal bilatĂ©ral et indĂ©pendant, comme pour tout autre traitĂ© international. Aucun Etat hors-Union europĂ©enne ne voudra nĂ©gocier avec nous sur un accord de libre-Ă©change si nous restons liĂ©s Ă  l’Union europĂ©enne Â».
 
Peut-ĂŞtre pour consoler les Brexiteurs, le document gouvernemental publiĂ© ce mercredi rejette formellement la demande des EuropĂ©ens qui demandent que les droits des trois millions de citoyens issus de l’UE vivant au Royaume-Uni soient garantis par la CEJ, qualifiant cette idĂ©e « d’inĂ©dite Â» et « d’inappropriĂ©e Â». Il renvoie aux accords internationaux existants avec l’UE, dans le cadre desquels la CEJ ne dĂ©tient aucun droit de « juridiction directe Â».
 

Theresa May serait-elle en train de confisquer le Brexit ?

 
Les députés eurosceptiques ont aussi exprimé leur préoccupation au sujet d’une suggestion du document selon laquelle la cour indépendante de l’AELE, l’Association européenne de libre échange qui regroupe l’Islande, la Suisse, la Norvège et le Liechtenstein, pourrait servir de modèle pour le Royaume-Uni. Selon eux, ce tribunal se contente de reproduire à l’identique les décisions de la Cour européenne de Justice, ce qui reviendrait de même à empêcher le retour à la pleine souveraineté britannique.
 
Pour David Jones, ex-ministre du Brexit, « Il est absolument Ă©vident que lorsque le Royaume-Uni aura quittĂ© l’UE, il doit s’émanciper de l’influence de la Cour europĂ©enne de Justice, dont les jugements sont copiĂ©s par la cour de l’AELE. Â». En revanche, l’europĂ©iste libĂ©ral-dĂ©mocrate Vince Cable ironise : « Nous nous fĂ©licitons de ce recul intelligent, que nous attendions depuis longtemps de la part du Premier ministre. VoilĂ  qui montre que les lignes rouges de Theresa May commencent Ă  se brouiller Â».
 

Comment la CEJ peut-elle trancher en toute indĂ©pendance en Ă©tant juge et partie ?

 
L’argumentaire gouvernemental britannique selon lequel « la Grande Bretagne est en position de force en raison de sa longue expĂ©rience en matière de rĂ©glementation internationale Â» et « qu’il est dans l’intĂ©rĂŞts de chacun que lorsqu’un diffĂ©rend surviendra entre le Royaume-Uni et l’UE sur l’application ou l’interprĂ©tation d’obligations, il puisse ĂŞtre rĂ©solu de manière efficace et complète Â» ne rĂ©pond Ă©videmment pas Ă  la question centrale : comment une cour europĂ©enne pourrait-elle in fine trancher en toute indĂ©pendance un diffĂ©rend avec le Royaume-Uni alors qu’elle est l’émanation directe et notoirement sectaire d’une des deux parties, et que c’est son fanatisme supranational qui a prĂ©cisĂ©ment poussĂ© l’opinion britannique sur la voie du Brexit ?
 

Matthieu Lenoir