Le sabotage délibéré du réseau régional de chemins de fer en France par le bras armé ferroviaire de l’Etat jacobin, la SNCF, se poursuit sans discontinuer depuis la naissance de cette dernière, le 1er janvier 1938. Une étude d’un service officiel de l’Etat, le Cerema, démontre encore aujourd’hui que la SNCF impose des coûts et des méthodes d’évaluation financière qui ne peuvent mener qu’à l’anéantissement des dessertes locales et, partant, à une relégation toujours plus grande des territoires non métropolitains, cette France des périphéries chère au démographe Christophe Guilluy. Ce sont les lignes locales qui souffrent de l’incompétence de la SNCF, les chiffres le prouvent.
Qu’on ne s’y trompe pas : la substitution des lignes ferroviaires par des lignes routières d’autocars correspond à une réduction de la sécurité, une rupture de l’effet réseau avec un accès plus difficile et aléatoire aux grandes lignes en correspondance, une augmentation presque générale des temps de parcours si l’on veut desservir les bourgs intermédiaires et une hausse de l’irrégularité. Sans parler de la dégradation et de l’accueil aux stations, un bord de route la nuit sous la pluie étant notoirement moins sécurisant qu’une salle d’attente chauffée dans une petite gare. L’autocar est pertinent dans les cas de flux diffus et en rabattement sur des lignes ferroviaires par définition plus capacitaires.
Nouvelle rafale de fermetures de lignes locales
Ces trois dernières années, le régime socialiste a entériné la fermeture de lignes dans le Massif central, condamnant le maillage de ce territoire difficile d’accès : Saint-Etienne – Clermont par la voie la plus courte, Clermont – Brive/Le Mont Dore, Alès – Bessèges ; dans l’Est, Reims – Verdun ; en Bourgogne, Avallon-Autun… Il a ainsi repris une politique de liquidation du réseau ferré régional qui semblait s’être calmée depuis les Grenelle de l’Environnement et la régionalisation des TER.
Parallèlement, le régime a cédé aux syndicats des cheminots SNCF en ajournant une réforme potentielle de leur statut exorbitant du droit commun lors des grèves de 2016 tout en relançant une politique d’investissement autoroutier comme jamais vu depuis une décennie, tandis que le réseau ferré français est globalement l’un des plus décrépits d’Europe et qu’aucun autre pays du continent n’en a sacrifié une telle proportion.
Trois petites lignes, une SNCF, deux sous-traitées : les chiffres
L’étude du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), un établissement public administratif basé à Bron, démontre une nouvelle fois que l’organisation du travail, les statuts professionnels et l’opacité financière de la SNCF constituent un élément déterminant dans l’exclusion de pans entiers du territoire du réseau ferroviaire national, outil de la cohésion sociale et économique. Elle est signée par Alexis Vernier et Bruno Meignien.
L’étude compare trois lignes d’intérêt régional ne voyant passer que des trains légers locaux. Toutes trois sont en antenne. Il s’agit d’abord de Busseau-Felletin, dans la Creuse, longue de 35 km, reliquat de la ligne qui reliait Guéret à Ussel, dont la partie sud Felletin-Ussel a été fermée en 1979. Elle est exploitée directement par la SNCF sous l’autorité du conseil régional du Limousin (de la Nouvelle Aquitaine depuis la fusion autoritaire des régions). Elle est connectée à la transversale (Bordeaux) Limoges-Montluçon (Clermont/Lyon). L’étude montre que les coûts d’exploitation et d’entretien de l’infrastructure s’y établissent à 35.000 euros par kilomètre linéaire. Le coût par train-kilomètre, incluant entretien et exploitation de l‘infrastructure, son renouvellement (aux tarifs SNCF-Réseau) et l’exploitation (énergie, personnels de conduite et commercial, entretien du matériel) atteint presque les 100 euros. L’aller-retour quotidien est placé uniquement sur les deux heures de pointe matin et soir, alors que les deux autres lignes étudiées sont exploitées toute la journée. Les trains sont complétés par des rotations d’autocars TER et… concurrencés par une ligne de cars départementaux !
Un coût par train-kilomètre six fois inférieur à celui de la SNCF
Viennent ensuite deux autres lignes, qui appartiennent à SNCF-Réseau, monopole du réseau ferré national, mais qui sont exploitées pour la SNCF par de petites structures de statut de droit commun totalisant chacune une centaine de salariés.
Il s’agit d’abord de la ligne à voie métrique Valençay-Salbris, en Centre-Val de Loire, sous-traitée à la Compagnie du Blanc-Argent, filiale de Keolis, elle-même filiale de… la SNCF pour le transport urbain et local, mais aussi pour l’exploitation de lignes sur les marchés ouverts à la concurrence à l’étranger. Cette ligne de 67 km de longueur et connectée à deux lignes à voie normale est le reliquat d’une ligne de 107 km connectée à six lignes. Le coût d’exploitation et d’entretien de l’infrastructure est évalué à 11.000 euros par km et par an, soit à peine plus du tiers du coût de Busseau-Felletin. Le coût total par train-kilomètre est inférieur à 20 euros, soit cinq fois moins que sur la ligne exploitée et gérée directement par la SNCF.
Des personnels polyvalents, des factures moins lourdes
L’autre ligne hors-SNCF étudiée relie Carhaix à Paimpol, en Bretagne. Elle est sous-traitée à la CFTA, filiale de Transdev, exploitant lié à la Caisse des dépôts et consignations. Longue de 89 km, elle est connectée à Guingamp à la radiale Brest-Paris. Issue de l’ancien réseau breton à voie métrique qui rayonnait depuis Carhaix sur toute la Bretagne intérieure, long de 426 km, brutalement liquidé en 1967 mais dont deux sections ont été converties à l’écartement standard, cette ligne affiche un coût d’exploitation et d’entretien de l’infrastructure de 11.000 euros par km et par an, et un coût par kilomètre-train lui aussi inférieur à 20 euros.
Le statut des personnels offre une grande polyvalence sur ces deux lignes affrétées, le même salarié pouvant conduire un train, vendre des billets, effectuer un attelage, réaliser des tâches d’entretien courant. Un système banal sur tous les réseaux locaux suisses qui sont considérés comme une référence mondiale. Ce que le statut SNCF n’autorise en aucune manière car il sépare les tâches par des cloisons strictement étanches. C’est ainsi que des conducteurs fret SNCF sont souvent payés à demeurer chez eux en astreinte, dans l’attente d’une mission.
La SNCF cache aux régions les avantages de la sous-traitance – et son incompétence
Dernier point soulevé par l’étude de Vernier et Meignien : l’opacité volontaire de la comptabilité de la SNCF qui, dans le cas de ces deux lignes au bilan économique fort avantageux, « noie ces avantages dans les flux financiers ». Certes ces lignes restent déficitaires – comme le sont la quasi-totalité des lignes d’autobus départementaux et même aujourd’hui les célèbres « cars Macron » en service intérieur. Mais le taux de couverture des dépenses par les seules recettes commerciales s’établit à 14 % sur Valençay-Salbris et à 8,5 % sur Carhaix-Paimpol, taux montant pour cette dernière à 10,5 % avec l’usage d’un autorail léger à essieux et à 22 % si l’on compte l’utilisation de la ligne par un train touristique à vapeur. La technique de l’autorail léger mais à grande capacité est prônée en France depuis vingt ans par l’ingénieur et consultant en transports ferroviaires Pierre Debano, en vain. Sur Busseau-Felletin, ce taux n’est que de… 1,5 %, malgré une offre de service limitée au strict minimum, pour les scolaires principalement. Soit un taux entre six et quinze fois inférieur.
Commentaire de Bruno Meignien sur les deux lignes sous-traitées : « Les régions (qui financent les services TER, NDLR) ne se rendent pas compte que ces lignes ne leur coûtent pas cher. A ce jour, les régions et l’Etat (pour l’infrastructure, NDLR) paient des redevances sans rapport avec le caractère particulier de ces lignes et de leur trafic. » La SNCF se paie donc sur ces déficits abyssaux ! Conclusion prudente des auteurs : « Pour autant que leurs clientèles soient bien ciblées en fonction du contexte local, ces petites lignes peuvent être attractives. »
Un système ferroviaire centralisé, bloqué par syndicalistes et technocrates parisiens
Voici 70 ans que ce monopole d’Etat préfère fermer des milliers de kilomètres de lignes plutôt que de s’en séparer pour les confier à plus compétent que lui, ou de réformer le statut de ses employés. La mise en concurrence de l’exploitation des TER ne sera possible qu’en 2019, mais ne sera pas obligatoire. Déjà en « Occitanie », le vice-président communiste chargé des Transports, Jean-Luc Gibelin, a pesé de tout son poids pour que la méga-région, par la voix de sa président Carole Delga (PS), se refuse d’avance à envisager tout futur recours à un autre exploitant.
Pendant ce temps la SNCF, via Keolis, conquiert des marchés voyageurs à l’étranger contre des exploitants historiques qui ne sont toujours pas autorisés à venir en France. En Allemagne, « 20 % du chiffre d’affaire de l’industrie ferroviaire nationale provient des concurrents de la DB », explique Dominique Bussereau (LR) dans Ville, Rail & Transports, dénonçant une SNCF « bunkérisée ».