Chômage, délocalisations, tensions sociales : la Chine à son tour frappée par les tempêtes de la globalisation

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L’angoisse des salariés occidentaux face au dumping social et industriel chinois est désormais aussi partagée par les travailleurs… chinois. S’il est vrai que la Chine a considérablement bénéficié de ses immenses ressources humaines et que ses salariés travaillent pour une fraction seulement des revenus touchés par leurs homologues occidentaux, l’inquiétude apparaît parmi les travailleurs de l’Empire du Milieu, analyse le Financial Times.
 
Des millions de travailleurs ont nourri la croissance phénoménale de la Chine depuis trente ans dans les villes champignons qui ont attiré les populations rurales. Ces salariés ont jusqu’ici profité pleinement de l’intégration du pays dans le système globalisé, sortant de la pauvreté par centaines de millions. Aujourd’hui, l’angoisse et la colère montent. La classe laborieuse comme la classe moyenne s’inquiètent des inégalités croissantes, de l’impact des migrations internes depuis les campagnes vers les villes et des pertes d’emploi.
 
Pour autant, comme en Europe, la réponse des dirigeants est le « toujours plus dans le même sens » : « La Chine ne fermera pas la porte au monde extérieur, elle l’ouvrira même toujours davantage », a dit le président Xi Jingping en novembre. Pourtant les tensions gagnent le régime. Le 6 décembre, le très officiel Global Times a publié une contribution critiquant le rôle de la globalisation dans l’accroissement des inégalités de revenu et dans les ravages environnementaux.
 

La Chine a profité de la globalisation

 
Le gouvernement a perçu le danger d’une montée des mécontentements face à l’explosion d’une société duale. Dans les années 1980, la Chine était l’un des pays les plus égalitaires au monde ; aujourd’hui elle est parmi les plus inégalitaires. Voici une dizaine d’années l’objectif du parti, qui était celui de la « construction économique », a été remplacé par celui de la construction d’une « société harmonieuse » par une meilleure distribution des richesses… et une police renforcée pour réprimer les contestataires. Aujourd’hui, la Chine paraît en effet avoir adouci son modèle social avec une hausse du salaire minimum, les « cols bleus » voyant leur revenu croître plus vite que les « cols blancs ».
 
Les membres des classes moyennes dénoncent l’émergence d’une nouvelle ploutocratie, cette classe qui mêle la richesse et le pouvoir politique. Ils dénoncent le fait qu’elle ait constitué sa richesse non par son travail mais grâce à la corruption et à ses relations occultes. Le président Xi a lancé la plus importante campagne contre les pots de vin depuis l’arrivée des communistes au pouvoir, redoutant que la colère face à la corruption mette en péril la toute-puissance du parti.
 

Les délocalisations provoquent des tensions sociales

 
Mais la colère monte aussi chez les ouvriers en raison de basculement structurel de l’économie chinoise d’un modèle de production intensive à un modèle basé sur la technologie et les services, augmentant l’insécurité professionnelle des classes laborieuses. En 2013, pour la première fois, la contribution au PIB des services (commerce, finance, transports) a dépassé celle de l’industrie (manufactures, mines, bâtiment). Depuis plusieurs années, le nombre d’emplois industriels décline. Exemple frappant, celui de la ville de Datang, près de Hangzhou, qui produisait en 2014 quelque 26 milliards de paires de chaussettes, 70 % de la production chinoise. Depuis, elle a vu ses usines fermer les unes après les autres pour être délocalisées vers des pays d’Asie « moins chers ».
 
Comme toujours en Chine, les statistiques sont à prendre avec des pincettes. Ainsi celles du chômage, stable à 4 % de la population active même durant la grande crise de 2009, ne prennent-elles pas en compte le cas des salariés privés de leur revenu pendant des mois. Récemment à Pékin, 40 travailleurs de la construction ont manifesté pour récupérer un arriéré de trois années de salaires.
 

La Chine va au-devant d’explosions sociales

 
Les deux-tiers des travailleurs licenciés ces dernières années sont très peu qualifiés et pour moitié âgés de plus de 40 ans. Le gouvernement a dû allouer 13 milliards d’euros pour réinstaller et former des travailleurs licenciés par l’industrie sidérurgique et les mines. Le pouvoir redoute beaucoup plus les ouvriers nés dans les villes, qui ne peuvent pas retourner dans des villages d’origine, que les migrants venus des campagnes. La colère sociale se retourne d’ailleurs souvent contre les travailleurs venus des campagnes, ces 280 millions de migrants de l’intérieur, comme en Occident elle tend à se retourner contre les travailleurs étrangers, eux aussi vécus comme des concurrents « à bas coûts ». Les migrants de l’intérieur sont souvent contraints de payer les services de base normalement gratuits.
 
Au troisième trimestre 2016, pour la première fois, l’agitation sociale dans les services s’est révélée supérieure à celle constatée dans l’industrie, selon le Bulletin chinois du travail. NGO, société basée Hong Kong, a relevé 2.271 manifestations de travailleurs de l’industrie entre janvier et novembre, chiffre quatorze fois supérieur à celui relevé sur la même période de l’année 2011.
 
La propagande tente d’endiguer la colère en pointant du doigt l’Occident, prétendant que le Brexit ou l’élection de Trump sont le signe de l’inadaptation de la démocratie des pays développés. Le régime renforce son contrôle sur les moyens de communication. En Chine, la colère n’aura même pas le vote pour s’exprimer. L’explosion, si elle a lieu, n’en sera que plus redoutable.
 

Matthieu Lenoir

 
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