Un catholique américain critique « Silence », de Martin Scorsese : plaidoyer pour l’apostasie

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Brad Miner, éditorialiste pour le site américain The Catholic Thing, vient de publier une critique du prochain film de Martin Scorsese, Silence, dont la sortie en France est prévue pour le 8 février prochain. Aux termes de sa critique, les choses sont claires, il s’agit de tout sauf d’un film catholique. Le film porte à l’écran le roman d’un converti japonais au catholicisme, Silence, publié en 1966. Shusaku Endo y relate l’histoire de deux prêtres portugais jésuites du début du XVIIe siècle venus à la recherche d’un de leurs compagnons qui aurait renié sa foi lors des persécutions sanglantes infligées à la communauté des premiers convertis japonais. Le film s’annonce visuellement très beau, quoique d’une très grande violence, mais il s’agit avant tout d’un plaidoyer pour l’apostasie, s’il faut en croire l’éditorialiste.
 
Le catholicisme est arrivé au Japon en 1549, porté par saint François Xavier qui à l’instar de tant de missionnaires remplis du zèle évangélique, était prêt à toutes les souffrances pour gagner de nouvelles âmes au Christ. Ce grand saint devait mourir trois ans plus tard, alors qu’il cherchait à rejoindre la Chine. Mais des centaines de milliers de Japonais devaient entendre l’appel du Christ avant le début des persécutions en 1597, date à laquelle 26 chrétiens furent crucifiés à Nagasaki, rappelle Miner. Les martyres devaient se succéder jusqu’à l’arrivée des héros du film de Scorsese : deux prêtres qui d’emblée avaient accepté l’idée de mourir pour Jésus.
 

« Silence », de Martin Scorsese : un plaidoyer pour l’apostasie

 
« Mais le livre d’Endo (et sa nouvelle version cinématographique par Scorsese) ne parle pas du martyre : il parle de la manière de l’éviter. Avant tout, les autorités veulent l’apostasie (sincère ou non) et la plupart des personnages principaux apostasient », relève The Catholic Thing.
 
Brad Miner présente le point de vue de l’auteur, et du cinéaste : « Il est facile, un demi millénaire plus tard, de regarder avec mépris un prêtre qui connaît les risques et qui pourtant renie la profession de foi à laquelle son ordination l’a obligé. Scorsese semble demander : que feriez-vous si l’on vous demander de piétiner l’image sacrée de Jésus, si ce faisant il était possible de sauver la vie d’autrui ? Des Kirishitans (des chrétiens) sont suspendus la tête en bas dans une fosse, on leur a fait une petite incision dans le cou et ils vont mourir lentement, au bout de leur sang, et vous seul pouvez les sauverVous n’avez rien d’autre à faire que de piétiner un fumi-e – une sorte d’icône démoniaque représentant le Christ. Que feriez-vous ? »
 
Dans la réalité, des milliers de Japonais ont été martyrisés dans des raffinements de torture et plusieurs centaines d’entre eux portés sur les autels, honorés par l’Eglise pour leur refus de renier le Christ, et ils jouissent du bonheur éternel que leur a assuré leur fidélité à l’heure où l’apostasie pouvait leur donner la vie sauve.
 

Un regard critique sur « Silence » : le film de Scorsese sort le 8 février en France

 
L’histoire contée par Endo, puis Scorsese, n’est conforme ni à l’histoire réelle ni à la logique surnaturelle qui a conduit tant d’âmes – les missionnaires venus d’Occident et d’innombrables laïcs japonais – à ne rien préférer au Christ. Brad Miner note qu’Endo est un converti, mais qu’il est « équitable se demander si sa conversion avait été entière », tandis que Scorsese, catholique de naissance, a donné de multiples cibles de sa non fidélité. Qu’on pense à La Dernière tentation du Christ, film blasphématoire qui montre Jésus et Marie-Magdeleine comme amants.
 
Brad Miner fait le parallèle entre la nouvelle de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, qui montre un trafiquants d’ivoire qui s’installe en Afrique noire et devient comme un dieu pour les autochtones, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola qui en est une adaptation au point que son héros s’appelle également « Kurtz », devenu une sorte de divinité pour les Montagnards du Mékong, et qui d’ailleurs meurt comme le premier, en disant « L’horreur ! L’horreur ! » Les deux prêtres, Sebastião Rodrigues (Andrew Garfield) et Francisco Garrpe (Adam Driver), qui viennent chercher leur aîné, le P. Cristóvão Ferreira (Liam Neeson), vont aussi à la rencontre d’un homme devenu indigène, mais c’est celui-ci qui emportera l’affaire, en poussant Rodrigues à apostasier pour sauver les laïcs japonais de la torture et de la mort.
 

Apostasie par « charité » : l’argument du roman de Shusaku Endo

 
Au moment de ce paroxysme, qui arrive au bout d’un film répétitif au contraire de la première adaptation de Silence par Mashiro Shinodé en 1971, on est renvoyé à ces phrases du livre qui montrent Rodriguez perdant pied :
 
« Du plus profond de mon être une autre voix encore se fit entendre dans un chuchotement. Et si Dieu n’existait pas… C’était une fantaisie effrayante… En quel drame absurde se transforment les vies des (martyrs) Mokichi et Ichizo, attachés à des piquets et battus par les vagues. Et les missionnaires qui ont passé trois ans à traverser la mer pour arriver dans ce pays – quelle illusion que la leur… Moi aussi, errant dans ces montagnes désolées – quelle situation absurde ! »
 
C’est sans aucun doute à la lumière d’une telle phrase du roman qu’il faut comprendre le film de Scorsese, « qui n’est pas un film chrétien par un cinéaste catholique, mais une justification de l’absence de foi : l’apostasie devient un acte de charité chrétienne lorsqu’elle sauve des vies, de même que le martyre devient quasi satanique lorsqu’il fait augmenter la persécution. « Le Christ aurait apostasié par amour « , dit Ferreira à Rodriges, et à l’évidence, Scorsese est d’accord », écrit Brad Miner.
 

Le blasphème à peine caché dans « Silence » de Scorsese

 
Mais poussée à peine plus loin, la réflexion devient encore plus gênante. Si le Christ avait réagi ainsi face aux souffrances humaines, actuelles et futures, Il n’aurait pas demandé à ses apôtres de verser leur sang  les mères et les pères parmi les premiers chrétiens n’auraient pas souffert que leurs enfants, leurs tout petits qui n’avaient rien demandé soient tués en haine de leur foi, avec la certitude de plaire ainsi à Dieu… Puisque le Christ ne l’a pas empêché, c’est lui, quelque part, dans cette infernale logique, qui porterait la culpabilité des tortures, des douleurs, des supplices qui ont frappé ceux qui l’ont suivi jusqu’au bout. Il y a au fond de cette logique un abominable blasphème qui se cache derrière une compassion juste et très humaine, mais qui se sert de celle-ci pour s’insinuer dans les esprits.
 
Martin Scorsese a été reçu par le pape François lorsqu’il faisait la promotion de son film à Rome fin novembre. Le pape n’a semble-t-il pas assisté la projection du film, mais les 300 jésuites invités ont été enthousiasmés selon La Vie.
 
Il ne fait pas de doute que Scorsese pose des problèmes moraux de manière poignante, mais sur fond de « silence du Christ » et d’interrogations sur le opportunité d’évangéliser des peuples culturellement « trop » éloignés. pour finalement jeter le discrédit sur cette fidélité radicale est demandé aux chrétiens, jusqu’à la mort, mais qui ouvre aussi les portes du ciel.