Dans une interview commune à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, deux des chefs de l’AFD, le parti eurosceptique et populiste qui a fait un malheur aux dernières élections en Allemagne, sont formels : ils ne veulent plus de la France dans l’Euro. Pour eux ce n’est « culturellement pas possible ».
Frauke Petri n’est pas à elle seule toute l’AFD. Elle triomphait voilà un mois lorsque, sur la ligne très décidée anti-migrants qu’elle a définie, ses candidats ont fait une percée remarquée dans quatre Länder, de la Saxe-Anhalt à la Rhénanie-Palatinat. Mais aujourd’hui l’aile plus libérale et conservatrice se manifeste, rappelant que l’AFD fut au départ un parti de professeurs d’économie. Le coprésident Jörgen Meuthen et le vice-président Alexander Gauland ont donné une interview commune à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le grand journal des milieux d’affaires de la capitale économique d’Allemagne. Ils y prennent leurs distances d’avec elle, en développant les thèmes classiques de l’euroscepticisme économique. Dont l’impossibilité de l’Euro tel qu’il est conçu.
L’AFD ne veut pas bouter la France hors de l’Euro, mais…
Premier point, contrairement à elle, ils ne veulent pas encore participer au pouvoir en Allemagne. « Nous ne sommes pas monolithiques. Ce que dit l’un n’engage pas les autres. J’ai dit à Frauke Petri : nous ne sommes pas encore prêts pour les responsabilités », a déclaré Gauland. Et d’ajouter : « Plus souvent ils auront recours à la grande coalition, plus forts nous deviendrons ». Au-delà de la tactique, leur premier sujet de préoccupation est l’économie. Meuthen est formel : « Nous pouvons construire l’Euro avec les Néerlandais, les Autrichiens, les Finlandais, les pays baltes, qui partagent notre culture de la stabilité. Mais les Français ont une autre culture, et je ne parle pas des Italiens, Espagnols, Portugais ou Grecs. Ils refusent par exemple toute austérité. »
Vient la question de savoir si l’AFD veut jeter la France hors de l’Euro. Gauland y fait une réponse de Normand : « Personne ne veut rejeter la France. Mais la France est naturellement un problème politique, auquel je n’ai pas de solution. » Un aveu troublant, qui révèle la vraie nature de l’euroscepticisme d’une part de l’AFD. Et qui se traduirait par des changements radicaux si l’AFD parvenait au pouvoir. Pour Gauland, ce serait une bonne chose que la France reste, mais « s’ils ne veulent ou ne peuvent pas faire ce qu’il faut économiquement, alors on devra trouver une autre construction. »
En Allemagne c’est l’économisme qui doit briser le populisme
C’est clair, pour la frange économiste de l’AFD, ce n’est pas la transformation de l’Europe en zone de libre-échange mondiale qui est la cause de la crise qu’elle connaît, mais le refus de certains pays de s’y plier. Sur les grandes questions politiques, Gauland et Meuthen cultivent au contraire l’ambiguïté, par exemple sur le Front national. Pour eux, malgré les efforts « relativement convaincants » accomplis par Marine Le Pen pour se démarquer de la ligne « raciste et antisémite » de son père, il n’est pas question de nouer des « relations bilatérales ». Cependant, si un grand parti eurosceptique unifié voyait le jour au parlement européen et englobait le FN, l’AFD devrait « être dedans ».
On voit que l’AFD, qui se trouve elle-même diabolisée dans les médias allemands et internationaux, reprend la rhétorique de la diabolisation et se soumet avec une cautèle obséquieuse aux critères et ukases d’un système qu’elle prétend par ailleurs troubler. Cela la contraint à des contorsions, contradictions et divisions que ses adversaires recherchent, ce qui explique sans doute que la Frankfurter Allgemeine Zeitung, organe majeur du libéralisme mondialiste en Allemagne, ait ouvert ses colonnes à Gauland et Meuthen. L’économisme semble être en Allemagne le moyen choisi par le mondialisme pour briser l’élan populiste, comme le retour à la revendication gauchiste l’est en Espagne ou en Grèce. C’est d’autant plus remarquable que les observations de Gauland et Meuthen sur l’incompatibilité « culturelle » entre la France et l’Allemagne concernant l’austérité (on pourrait en dire autant sur la gestion des syndicats et d’autres domaines) sont justes, et que la zone Euro telle qu’elle a été construite est une association de carpes et de lapins qui ne profite ni aux uns ni aux autres.