L’Inde et les USA signent un accord militaire permettant l’usage réciproque de leurs bases navales, au moment où la Chine revendique les îles Spratleys et Paracelse en mer de Chine. Problème : depuis soixante ans les USA sont alliés au Pakistan avec qui l’Inde est en froid, et l’Inde alliée de la Russie : or l’Inde, la Russie et la Chine se rapprochent à l’intérieur des BRICS.
Pour l’instant, l’accord, signé à Washington par le ministre de la défense de l’Inde Manohar Parrikar et son homologue pour les USA Ashton Parker, est purement militaire et ne concerne que la faculté d’utiliser réciproquement les bases navales des deux pays, pour s’y approvisionner en carburant et matériel, y réparer éventuellement, non pour y déployer des troupes. Ashton Parker a salué de façon classique un accord qui améliore « la sécurité maritime du monde » et la « liberté de navigation ». Côté indien, on est plus discret pour deux raisons : chatouilleux sur l’indépendance nationale, le gouvernement de M. Modi ne souhaite pas paraître un « suiveur » des USA, et l’accord semble préfigurer un changement d’alliance dont les conséquences ne sont pas faciles à mesurer.
USA et Pakistan, Inde et Russie, Chine seule
Traditionnellement, depuis le début des années cinquante, les USA ont le Pakistan pour allié, et sont en contentieux avec la Russie et la Chine. Non moins traditionnellement l’Inde est en conflit avec le Pakistan et la Chine et a choisi la Russie pour alliée. La Russie, qui a soutenu la Chine aux débuts de Mao-Tse-Toung a vite choisi d’en limiter la puissance, ce qui l’a conduite à des alliances avec le Viêt-Nam et l’Inde. Cet équilibre a été bouleversé quand, pour faire pièce à l’agression récente des USA et l’OTAN, la Russie s’est tournée vers l’Asie, et notamment la Chine et l’Inde, avec un début d’accord militaire, des manœuvres conjointes et une alliance financière, les BRICS. Mais d’un autre côté, les USA, préoccupés par la concurrence économique de la Chine, s’inquiètent aussi de ses provocations et visée en mer Jaune et en mer de Chine, avec notamment la revendication des Spratleys et des Paracelse (dont le tribunal de la Haye a proclamé l’inanité juridique au mois de juillet). Ils tiennent à conserver au moins leur suprématie militaire, et c’est pourquoi l’accord militaire signé avec l’Inde est important pour eux.
Un accord militaire motivé par le Cachemire et l’agitation en mer de Chine
L’Inde de M. Modi a signé l’accord malgré son nationalisme sourcilleux parce qu’elle a besoin d’aide pour conserver le Cachemire face aux menées irrédentistes des musulmans armés et formés par le Pakistan, avec lequel elle a longtemps été en guerre. De même reste-t-elle sur le pied de guerre sur sa frontière nord-est face à la Chine, contre laquelle elle a perdu une guerre dans les années soixante. Les alliances économiques et financières d’aujourd’hui ne suppriment ni un fort ressentiment ni l’instabilité explosive de ces frontières.
Reste à savoir comment la Russie, partenaire de l’Inde, et le Pakistan, partenaire des USA, vont prendre la chose. A priori, malgré ses baisers Lamourette à la Chine, Vladimir Poutine ne devrait pas être mécontent que celle-ci soit moins triomphante – il a quand même une énorme frontière commune avec elle, et la pression démographique joue contre lui. Quant au Pakistan, déçu par les USA, il peut être tenté par l’alliance avec la Chine, mais la question des Ouigours musulmans du Sin-Kiang limitera la portée de celle-ci. Les Etats-Unis doivent l’espérer, comme ils espèrent une solidarité tacite avec la Russie contre les poussées musulmanes dans la région, dans le cadre du choc des civilisations qu’ils organisent. Au point que leur objectif ultime peut être une coordination supranationale pour gérer le chaos et la tension qu’ils contribuent à provoquer.