Loi Claeys-Leonetti : les enseignements d’un vote à la lumière de l’Église

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Mardi 17 mars, le projet de loi Claeys-Leonetti a été voté en première lecture à la Chambre des députés. Pourtant, 1.041 amendements avaient été déposés par quelques députés courageux. Las ! Une majorité écrasante de 436 oui contre 34 non (et 83 abstentions, essentiellement de députés de gauche) a voté la loi. Quel sens donner à un tel raz-de-marée ? Deux explications peuvent être avancées.
 
L’explication démocratique vient spontanément en premier. Malgré tout, la bataille d’amendements a permis d’éviter un texte à finalité ouvertement euthanasique avec l’« assistance médicalisée active à mourir » que proposait le socialiste Jean-Louis Touraine. D’autre part, le projet de loi représentait « une avancée,… sans brusquer la société », a signifié la ministre Marisol Touraine, concluant : « A l’évidence, le débat reste ouvert, c’est naturel pour un tel sujet. (…) Un jour, peut-être, la société et le droit évolueront. D’autres étapes viendront peut-être… » Un tel consensus n’est donc pas étonnant sur un texte de compromis.
 
Il y a une deuxième explication, dite sociologique. Elle est plus inquiétante. Si le sondage BVA Orange I-TELE du 15 mars 2015 est fiable, 96 % des Français étaient favorables à la « sédation terminale », endormissement jusqu’à la mort pour éviter de sentir la douleur, 80% à l’euthanasie. En conséquence, les meilleurs représentants de la population française, les députés, se devaient d’être favorables dans de telles proportions, ce qui ne laisse pas de poser problème.
 
En effet, cette quasi-unanimité est révélatrice de la profonde commotion morale qui frappe nos contemporains, car la nouvelle loi permet le suicide et/ou l’euthanasie. En effet, elle légalise la « sédation terminale », c’est-à-dire l’administration d’anesthésiants ôtant toute conscience, avec suppression de tout autre traitement médical, dont l’alimentation et l’hydratation. Ainsi couplées, ces deux mesures demandées par le patient constituent un véritable suicide ; réclamées par l’entourage du patient, il s’agit d’euthanasie. Et le médecin qui obéirait serait collaborateur d’un homicide. Comment croire qu’une position si opposée à la morale naturelle, et chrétienne, puisse recueillir un tel assentiment ?
 

La loi Claeys-Leonetti, fille de la pensée païenne et humaniste

 
Il est difficile d’alléguer l’ignorance sur cette question d’éthique médicale touchant à la fin de vie car l’usage des drogues pour le soulagement de la douleur ne date pas d’hier. Sans parler de Platon (La République), des stoïciens comme Marc Aurèle, de Thomas More (Utopia) ou du chancelier Bacon (Novum organum), tous favorables à l’euthanasie, on constate, au milieu du XXe siècle, qu’« une véritable doctrine euthanasique a pris corps, avec arguments, campagne de propagande et succès partiel ». Ainsi s’exprimait le jésuite Tesson dans le dictionnaire Catholicisme en 1956. C’est pourquoi Pie XII dut préciser à plusieurs reprises la pensée de l’Église sur ce sujet (discours du 12 novembre 1944 aux médecins italiens, du 13 février 1945 aux médecins chirurgiens, allocution du 24 novembre 1957). L’enseignement du pape était clair : l’homme ne peut disposer de sa vie, et a fortiori de la vie d’autrui, qui ne lui est que prêtée par Dieu, qui « fait vivre et mourir » (Dt 32,39). Notre libre arbitre s’exerce sur les événements de cette vie, non sur la vie en elle-même, et « le passage de la vie présente à une vie meilleure ne dépend pas de la liberté humaine : c’est chose soumise à la divine puissance. (…) Il n’est donc pas permis à l’homme de se suicider, ni pour passer à une vie meilleure, ni pour échapper aux misères de celle-ci » enseigne saint Thomas d’Aquin (Somme théologique, II-II, q. 64, a. 5, ad 3).
 
Que faire alors devant la souffrance ? Il ne s’agit pas de refuser tout soulagement, bien entendu. L’usage des tranquillisants peut être non seulement utile pour éviter une douleur intolérable, mais aussi pour empêcher révolte et blasphème dans ces moments de profondes dépressions, même pour des chrétiens.
 
Il y faudra cependant quelques conditions. Les anesthésiants qui éviteront la douleur, mais risquent d’émousser la conscience, d’affaiblir la résistance du corps et d’accélérer la mort ne sont possibles que pour des personnes qui ont pris leurs dernières dispositions dans l’ordre temporel et, surtout, dans l’ordre spirituel. Il faut aussi que les souffrances atteignent un degré difficilement supportable. Il faut enfin continuer à maintenir en vie, par traitement médical, bien sûr, et aussi psychologique pour garder l’espérance, ne serait-ce qu’en quelques semaines supplémentaires de vie. Le professeur Lortat-Jacob, ancien président de l’Ordre des médecins, parle à ce sujet « d’obstination thérapeutique », par opposition à « l’acharnement thérapeutique » qui supposera l’usage de moyens médicamenteux extraordinaires, lourds à supporter par le patient (et par la société), et qui ne sont jamais obligatoires selon le pape Pie XII. Voici la réponse médicale chrétienne. Il en est une seconde. Elle est malheureusement méconnue. Elle est pourtant fondamentale.
 

La Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ et l’enseignement de l’Eglise

 
Il s’agit de la valeur rédemptrice attachée à la souffrance depuis la mort en croix du Seigneur Jésus-Christ. La souffrance offerte en union avec le Christ expie nos péchés et les péchés du monde car celui-ci a accepté, et même voulu, sa mort par amour pour son Père et pour nos âmes : « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne. » (Jn 10,18) ainsi conçue, la souffrance est devenue la vraie dignité de l’homme, contre l’actuel sophisme « mourir dans la dignité ». Le professeur Israël a bien remarqué que, « ce qui est indigne, c’est de les [les malades] traiter comme s’ils étaient déjà morts, ou comme s’ils ne valaient guère mieux. L’argument de la dignité a pour seul but – inconscient je veux bien en donner acte – de protéger le confort des survivants. » (La vie jusqu’au bout, 1993, p. 63-79)
 
Et c’est bien là le problème : voir, dans un pays comme la Fille aînée de l’Eglise, une telle méconnaissance de la doctrine évangélique sur un sujet si grave. On comprend une euthanasie administrée à Mao, Hirohito, Tito… ou légalisée dès 1922 par le Code pénal de l’Union soviétique ; mais chez nous !
 
À titre d’indication, on se contentera de rappeler que, dans la déclaration de Mgr d’Ornellas et Mgr Aupetit au nom de l’épiscopat français, le 20 janvier dernier, aucune allusion n’est faite au sacrifice, à la valeur rédemptrice de la souffrance et même simplement au Christ…
 
La facilité avec laquelle a été acceptée la loi Claeys-Leonetti montre que la grave crise morale et religieuse est toujours plus répandue chez nous et reste, apparemment, sans solution.