Hellzapoppin sur l’immigration : pourquoi Macron s’est-il enferré ?

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Le cafouillage gouvernemental sur la loi immigration atteint des proportions de farce loufoque au lendemain de l’adoption d’un texte que chacun critique gravement. Plusieurs ministres ont menacé de démissionner et l’un d’entre eux met sa menace à exécution. Le chef du gouvernement qui s’évertue à porter la loi reconnaît que « plusieurs articles » lui paraissent contraires à la Constitution. « Une trentaine », selon le président de la commission des lois qui a voté contre, comme 58 autres députés de la majorité. Le centre se divise, la gauche hurle. Cette ambiance absurde et frénétique rappelle le triomphe burlesque américain Hellzapoppin, cette comédie musicale qui mettait en scène en pleine guerre les travers d’Hollywood : l’immigration et sa loi montrent de même la folie de la Vème république finissante. Mais une question reste posée : pourquoi Emmanuel Macron s’est-il enferré dans cette voie sans issue honorable ?

 

Un… désordre burlesque digne d’Helzzapoppin

On a rappelé hier les innombrables manœuvres de couloir et coups de canif dans le fonctionnement normal des institutions qui ont précédé le vote de la loi immigration mardi soir. On passerait des heures à recenser les propos surprenants et les gestes excessifs du petit milieu politique parisien depuis. La présidente de l’Assemblée nationale affirmant que certaines dispositions de la loi qu’elle vient de faire voter la « gênent terriblement ». L’insoumise Panot réclamant la « démission » du premier ministre sans qu’aucun acte ni vote ne le permette. Le défenseur des droits estimant que la loi sur l’immigration remet en cause « des droits fondamentaux ». Etc., etc. Mais deux points surtout laissent rêveur : le refus des voix du Rassemblement national et le rôle attribué au Conseil constitutionnel.

 

La loi immigration votée avec ou sans le RN ?

Monsieur Darmanin, Mme Borne, et d’autres, poussés par la gauche, ont affirmé que le texte réglementant l’immigration ne serait pas tenu pour valable s’il avait besoin des voix du Rassemblement national pour passer. Comme aujourd’hui ils le tiennent pour acquis, ils estiment donc que les voix du RN n’ont pas été nécessaires à son adoption. Cela se discute. En effet, les scrutins à l’Assemblée nationale se décident à la majorité des suffrages exprimés, hors abstentions et absents. Il suffit qu’il y ait plus de pour que de contre, quel que soit le nombre de suffrages exprimés. Mardi soir, il y a eu 535 suffrages exprimés, 349 voix pour, 186 contre, 38 abstentions et 4 qui n’ont pas pris part au vote. Si les 88 députés RN n’avaient pas voté le texte, ce dernier aurait obtenu 261 voix. A partir de là rien n’est sûr. Le gouvernement fait l’hypothèse qu’ils se seraient abstenus : ainsi le texte aurait été voté par 261 voix contre 186, « sans les voix du RN »).

 

La France enferrée dans le fascisme d’extrême-gauche

Mais c’est une pure conjecture : le RN pouvait voter contre, et la loi immigration aurait donc été rejetée par 274 voix contre 261. On peut donc considérer que le texte a bien eu besoin du vote RN pour être adopté. Même si le gouvernement de son côté peut faire valoir qu’en l’absence de soutien du RN, une partie des députés de la majorité qui n’ont pas voté la loi immigration l’aurait votée. Peut-être. Tout cela n’est que conjectures, et souligne l’absurdité pratique que constitue l’exclusive jetée contre les voix du RN. C’est aussi une absurdité du point de vue de la théorie politique et morale : au nom de quoi un pouvoir qui appelle à voter une loi, et qui fait des pieds et des mains pour qu’elle soit acceptée, peut-il refuser certaines voix et déclarer la loi invalide si ces voix se portent dessus ? Il s’agit d’une véritable épuration démocratique. L’inquiétant est que les médias et la plus grande part des milieux politiques aient accepté la chose sans faire ouf. Le fascisme d’extrême gauche s’étend sur la France.

 

Macron et le monstre du Conseil constitutionnel

L’autre monstruosité vient du rôle affecté au Conseil constitutionnel par le président de la République lui-même. Emmanuel Macron annonçait vouloir le saisir dès mardi soir, avant que la loi immigration ne soit adoptée, et l’a effectivement saisi mercredi. Cela, c’était peut-être le rôle de la France Insoumise ou de l’opposition de gauche, pas celui de l’homme qui a inspiré et voulu la loi. On ne peut à la fois promouvoir une loi (mardi, il rassemblait les chefs de groupes de la majorité pour leur demander : « Qu’est-ce qui ne va pas dans ce texte ? »), et en même temps le montrer du doigt et le soumettre à la censure d’une simili Cour suprême. Car c’est bien cela qu’est devenu le Conseil constitutionnel. Institué pour conseiller l’exécutif et lui dire si le vote d’une nouvelle loi rend nécessaire de modifier la Constitution, il s’est transformé en organe de censure de toute nouveauté démocratiquement choisie qui déplaît à l’oligarchie en place. La procédure choisie par Emmanuel Macron est, du point de vue moral, une forfaiture. En outre, de l’aveu explicite du président de la Commission des lois, le Conseil constitutionnel ne juge plus en fonction des articles de la Constitution, mais en se fondant sur le préambule de la Constitution de 1946 et sur la déclaration des Droits de l’homme, qui sont des textes philosophiques et non juridiques.

 

Un bol d’eau tiède sur l’immigration

Au terme de cette brève revue des anomalies de l’invraisemblable équipée que fut ce projet de loi immigration, il reste à en évaluer le résultat et à se demander pourquoi Emmanuel Macron s’est enferré dans cette histoire ? Marine Le Pen a justifié le vote du RN par la « victoire idéologique » que constituerait cette loi. Les criailleries de la gauche semblent lui donner raison. On dénonce un « texte lepéniste ». Le Monde a parlé de « rupture politique et morale ». C’est elle qui a suscité le rejet de nombreux macronistes, le départ de quelques-uns. Mais restons calme. Olivier Véran a raison de dire qu’on ne voit dans le texte voté nulle vraie mise en œuvre de la « préférence nationale », et les quelques choses qui vont dans le bon sens y vont lentement. Bien qu’il ait suscité l’indignation de plusieurs, on ne saurait dire que l’article qui dispose que soit déchu de la nationalité française tout « binational condamné à titre définitif pour meurtre d’un dépositaire de l’autorité publique » soit vraiment révolutionnaire ni dangereusement lepéniste. En réalité, cette loi sur l’immigration, même avant sa censure par le Conseil constitutionnel, est un bol d’eau tiède.

 

L’union des droites possible contre l’immigration

Mais le tiède est toujours trop chaud pour les partisans du zéro absolu, et le changement de pied de Marine Le Pen, bien conseillée, a permis une victoire tactique évidente : le « et en même temps » est apparu pour ce qu’il était dès 2017, une escroquerie née de l’épuisement de la gauche hollandienne, on ne peut pas en même temps ouvrir et fermer les vannes de l’immigration. Cette avancée tactique pourrait préparer un succès stratégique : le centre explosé ne peut prétendre à gouverner longtemps comme il le fait depuis six ans. Dans l’état d’agacement où se trouve le peuple français, les politiciens vont devoir faire un choix, et précisément sur l’immigration, si la « droite » et « l’extrême droite » ne se laissent pas embourber. Des masses et un espace politique se dessinent en effet pour rendre possible quelque chose de radicalement impossible hier, l’union des droites. C’est une responsabilité historique pour Le Pen, Ciotti, Dupont-Aignan, Villiers, Zemmour, Maréchal et quelques autres. Savoir s’ils sauront l’exercer et saisir la chance qui passe est une autre question.

 

Macron enferré cherche majorité désespérément

Reste maintenant une énigme. Pourquoi Emmanuel Macron s’est-il fourré dans cet infernal guêpier ? Pourquoi, quand les retours des premiers états d’âme de la macronerie humaniste lui sont venus aux oreilles n’a-t-il pas laissé tomber ? Il y a des fusibles pour cela, Darmanin en était un rêvé. Risquons une hypothèse, assez dans le ton du burlesque d’Hellzapoppin. L’approche des Jeux Olympiques de 2024 prive le président de la République de temps pour manœuvrer. Il faut que l’événement soit une réussite, pour sa vanité, pour la survie du régime. Et si les caciques de la « droite », Ciotti, Larcher, Retailleau, lui avaient mis le marché en main : tu fais passer la loi, sinon tu sautes ? On a en effet oublié ce qui fonde la réalité politique française depuis les élections législatives de 2022 : il n’y a pas de majorité absolue à l’Assemblée, et celle du Sénat est à « droite ». Les majorités se décident donc en fonction des sujets, avec une surveillance de la « droite », le plus souvent bienveillante. Que cette bienveillance cesse, et c’est la motion de censure, la dissolution, de nouvelles élections, la fin honteuse de Macron. Simple hypothèse ? Oui, mais pas absurde.

 

Pauline Mille