Édouard Philippe et Marine Le Pen se veulent impopulaires : une révolution de la démocratie

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Les routes ordinaires seront limitées à 80, Édouard Philippe assume le risque d’être impopulaire. Marine Le Pen entend changer le nom du Front national malgré l’avis des militants. C’est officiel, la démocratie ne veut plus dépendre de l’opinion majoritaire. Voilà une vraie révolution.
 
Depuis la deuxième révolution anglaise, et surtout depuis la révolution française, les régimes qui ont pris le nom de démocratie ont prétendu gouverner non seulement au nom du peuple mais par une délégation expresse de celui-ci, au moyen de scrutins de plus en plus larges, d’abord censitaire puis universel. L’opinion, qui était la terreur des tyrans, souvenons-nous du comte Mosca dans la Chartreuse de Parme, fut alors l’emblème et l’espoir de la démocratie. Elle triompha particulièrement lors des Trois Glorieuses, contre Charles X et ses ultras qui prétendaient la brider.
 

La démocratie des sages ne craint pas d’être impopulaire

 
Aujourd’hui qu’Emmanuel Macron prépare des censures dont ni Villèle ni Polignac n’auraient osé rêver, la démocratie ne se soucie plus de l’opinion, elle veut suivre l’avis des sages qu’elle s’est choisis, au risque d’être impopulaire. Le mouvement s’est dessiné discrètement sous le gouvernement de Raymond Barre, voilà maintenant quarante ans. On lança l’idée alors que certains sujets particulièrement sensibles, la peine de mort, l’immigration, étaient trop sérieux pour être soumises aux coups de sang du populaire, et réservé à des conseils de sages. Aujourd’hui cette opinion a pignon sur rue et prévaut dans les élites, dont le principal ennemi est le populisme. Et elle s’étend à tout. De même que l’essentiel de la loi française n’est plus qu’une transposition des directives européennes, de même les décisions, en démocratie, sont-elles issues des cabinets qui les préparent, sans que le vote populaire n’ait d’incidence sur elles.
 

Edouard Philippe, poulain de Juppé, champion de l’impopulaire

 
Dernier témoin en date de la chose, Édouard Philippe. Il a de qui tenir, puisque ce fut un poulain d’Alain Juppé, l’homme droit dans ses bottes qui par sa raideur jeta la France dans d’interminables grèves dont devait sortir un peu plus tard la victoire de la gauche : en politique, il ne suffit pas d’être impopulaire pour bien faire. Édouard Philippe va donc imposer que la vitesse sur les routes qui n’ont pas de séparation matérielle en leur milieu soit limitée à quatre-vingt kilomètres à l’heure. Bonne ou mauvaise, cette décision soulève contre elle l’opposition de plusieurs associations d’usagers et d’une majorité de l’opinion. Édouard Philippe le sait et le reconnaît explicitement, puisqu’il se déclare prêt à être impopulaire en imposant la chose. Mais l’important pour lui est de suivre les recommandations du petit cénacle qui décide depuis des décennies ce qui est bon ou mauvais pour la route en France. Je m’occupai dans une vie antérieure des informations générales d’un journal, et j’ai tenté à plusieurs reprises d’avoir communication des données sur lesquelles la sécurité routière fondait ses recommandations. Mais la chose est mieux gardée que Fort Knox et plus complexe que les arcanes du GIEC. Ce ne sont pas des dossiers soumis à la libre contradiction, le populaire doit croire ce que les sages disent et appliquer les consignes qu’ils élaborent.
 

Marine Le Pen fait la révolution au Front national

 
Marine Le Pen, elle, est le chef d’un parti populiste, elle a des postures et un bagout de démagogue : la moindre des choses semblerait, pour elle, de redouter comme le peste d’être un jour impopulaire. Eh bien, pas du tout ! Elle en prend le risque, elle le revendique hautement. Pour la refondation du Front national, qu’elle annonce depuis le printemps dernier et qui devient urgente après ses déboires électoraux, elle a fait parvenir aux adhérents du FN ayant acquitté leur cotisation une liste de quatre-vingt questions, afin de connaître leurs desiderata. L’une de ces questions porte sur le nom même du parti, Front national. Faut-il en changer ou non ? Et si oui que choisir ? Il semblerait, d’après les fuites ordinaires, qu’après le dépouillement d’un bon nombre de réponses (au fait, le FN, combien d’adhérents, c’est une vraie question) qu’une tendance conservatrice se dessine : le militant populaire, qui se souvient d’en avoir parfois bavé seul contre l’adversité, est fier de son drapeau, et craint qu’à en changer, on affadisse aussi le message du parti.
 

Marine Le Pen, populiste impopulaire au nom de la démocratie

 
Or cela ne fait pas les affaires de Marine Le Pen. Elle s’est, ou on lui a, donné la mission de « dédiaboliser » le FN, c’est-à-dire de couper tout ce qui dépasse et fait tache en démocratie postmoderne. D’où la fixette sur l’euro qui lui a valu si cher à la présidentielle. Mais elle persiste. Elle prétend « normaliser » le FN sur les questions dites sociétales, la peine de mort, l’immigration, l’avortement, le mariage pour tous (un sujet que son bras droit Philippot assimilait naguère à « la culture des bonsaïs »). Et elle a très bien compris qu’on ne saurait changer le contenu du flacon sans changer l’étiquette. Or, Front national, « ça rappelle trop Jean-Marie », notait un militant favorable au changement. Cet argument parle à Marine Le Pen. Elle ne veut plus d’un nom qui lui rappelle ce père dont elle a tant de mal à se débarrasser. Du passé elle entend faire table rase. C’est la devise de la révolution qu’elle mène. Et tant pis si pour cela elle doit être impopulaire. La mise aux normes mondiale de son parti est à ce prix. Ainsi le veut la démocratie. C’est tout de même joli, non, la patronne d’un parti populiste impopulaire dans son propre parti pour complaire au système dont elle prétend être l’ennemie ?
 

Pauline Mille