Massacre au Japon : la tentation de l’euthanasie dans un pays vieillissant

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Dix-neuf personnes tuées, 26 blessés : le bilan du massacre qui a eu lieu lundi au Japon sonne comme le triste décompte des victimes d’une attaque terroriste. Mais ce n’était pas une attaque terroriste. Satosha Uematsu, 26 ans, rêvait de tuer des centaines de personnes, mais il ne cherchait à faire peur à personne. Son objectif était d’éliminer le plus possible de handicapés. C’est dans un centre spécialisé, où il a lui-même travaillé trois ans jusqu’en février dernier, qu’il a poignardé ses victimes pendant leur sommeil après avoir ligoté le personnel. Parce que « les handicapés ne peuvent créer que de la misère  ». La solution aux problèmes du monde, pense-t-il, c’est l’euthanasie. Dans un pays vieillissant comme le Japon, il faut dire que la tentation est des plus fortes.
 
Le jeune homme, diplômé d’université et ancien soignant dans un centre d’accueil de handicapés, a sans doute quelques problèmes psychiatriques. Il y a six mois, Satosha Uematsu écrivait au président de la Chambre basse, Tadamori Oshima, pour annoncer qu’il pourrait personnellement « oblitérer un total de 470 individus handicapés ». « Je suis pleinement conscient du fait que ma remarque est excentrique. Cependant, pensant au visage fatigué des gardiens, aux yeux éteints des soignants qui travaillent dans l’établissement, je ne suis pas capable de me maîtriser, et j’ai donc décidé d’agir aujourd’hui pour le bien du Japon et du monde », annonçait-il alors.
 

Au suicide démographique du Japon répond la tentation de l’euthanasie

 
Les conséquences allaient être multiples. Revitalisation de l’économie globale, prévention d’une Troisième guerre mondiale : « J’imagine un monde où une personne frappée de multiples handicaps pourrait être euthanasiée, avec l’accord de ses gardiens, dès lors qu’il lui est difficile d’accomplir des tâches ménagères et des activités sociales. »
 
En donnant l’exemple, Satoshi Uematsu espérait d’avance rencontrer l’indulgence des tribunaux en bénéficiant d’un « acquittement pour cause d’aliénation mentale ».
 
Jeune homme rangé et poli, rien ne laissait à ses voisins deviner ses pensées avant son passage à l’acte, mais à la suite de sa missive, il avait fait un séjour dans un établissement psychiatrique alors qu’il venait d’annoncer à des collègues : « J’entreprendrai l’assassinat de mains de personnes lourdement handicapées à n’importe quel moment, dès lors que je recevrai l’ordre du gouvernement central. »
 
Largement épargné par le terrorisme – le Japon ne refoule-t-il pas 99 % des demandes d’asile ? – le pays du Soleil levant est en train de sombrer dans le crépuscule, et à la mort des 19 victimes de Satoshi Uematsu correspond le dépeuplement inéluctable d’une nation qui ne se renouvelle plus. Alors que le taux de fécondité indispensable au remplacement des générations est de 2,1 enfants par femme, le Japon stagne depuis longtemps autour des 1,4 enfants, ce qui signifie qu’aujourd’hui, pour trois individus d’une génération donnée, il n’en naît plus que deux. Le Japon a perdu 1 million d’habitants entre 2010 et 2015. Et sa population jouit d’une belle espérance de vie.
 

Massacre dans une maison de handicapés

 
Ce suicide démographique entraîne des tensions sociales déjà très lourdes. Outre la sclérose sociale et économique que ce vieillissement provoquera de manière de plus en plus aiguë, le Japon fait déjà face à la difficulté de prendre soin de ses vieillards et de ses « bouches inutiles ». On manque de bras. Les personnes qui les soignent, souvent des proches, sont mobilisables 24 heures sur 24 ; la privation de sommeil est souvent un vrai calvaire pour eux.
 
Plus de 500.000 vieillards japonais sont sur les listes d’attente des maisons de retraite médicalisées. Pour la seule année 2012, 490.000 Japonais ont quitté leur emploi pour prendre soin d’un proche dépendant.
 
Les meurtres de ces personnes âgées ou dépendantes deviennent de plus en plus fréquents, au point qu’on leur a donné un nom : kaigo satsujin. Entre 2010 et 2014, 44 personnes handicapées ont été tuées ; lorsque le meurtre est commis par un proche, ce qui est le cas près d’une fois sur deux, l’assassin est un homme dans 70 % des cas. 70 % des proches soignants sont des femmes.
 

Eliminer les bouches inutiles : au Japon, on n’a plus de temps pour les vieillards

 
Le problème de la maltraitance des personnes âgées ou handicapées va lui aussi croissant. Le vice-Premier ministre Taro Aso ne suppliait-il pas, en 2013, les vieillards japonais de « se dépêcher de mourir », pour venir à bout des difficultés économiques et sociales engendrées par leur nombre ?
 
Satoshi Uematsu est un assassin, et un assassin particulièrement horrible. Mais il ne fait que pousser un peu plus loin la logique de la culture de mort qui propose déjà la mort comme solution à tout. A ce titre il est davantage encore, hélas, un précurseur. L’explosion des populations âgées et leur pression sur les jeunes trop peu nombreux dans tant de pays ne trouvera de solution économique que dans une solution finale. Tout au plus s’attache-t-on pour l’instant à la faire apparaître comme une manière de respecter la volonté des plus faibles.
 

Anne Dolhein