May et Juncker dans « une autre galaxie » ? La pédagogie du Brexit impossible

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Les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur le Brexit s’annoncent dures. Juncker accuse May de vivre « dans une autre galaxie ». Sont-ce des « ragots de Bruxelles » comme elle l’a prétendu ou cela entre-t-il dans une pédagogie visant à établir que le Brexit est impossible et décourager ainsi tous les populismes ?
 
Les faits sont connus. Vendredi dernier le premier ministre britannique Theresa May recevait à dîner au 10 Downing Street le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker qu’accompagnait Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE pour le Brexit, qui venaient prendre la température à Londres avant le prochain sommet des 27 membres restants de l’Union. Le communiqué officiel faisait état de « conversations fructueuses » mais la Frankfurter Allgemeine Zeitung reprenait sur une pleine page de son édition du dimanche des indiscrétions venant de Bruxelles dépeignant une « soirée désastreuse », et donnant des détails plausibles, qui n’ont pas été démentis.
 

Juncker accuse May de vivre dans une autre galaxie

 
A la sortie de son dîner avec Mme May, Juncker aurait ainsi téléphoné à la chancelière allemande Angela Merkel pour lui dire que l’Anglaise vivait « dans une autre galaxie » et qu’elle « se payait d’illusions ». Il a quitté Downing Street « dix fois plus sceptique qu’il n’y était entré ». Selon lui, « sur la base de ce qui s’est passé pendant la réunion, une absence d’accord est plus probable qu’un accord ».
 
De son côté Theresa May estime, « à partir de ce qu’elle a lu de l’article », qu’il ne s’agit que de « ragots de Bruxelles ». Mais elle en retient cependant qu’il faut s’attendre que les négociations soient « dures et serrées ». Elle en profite au passage pour faire sa publicité en vue des législatives anticipées qu’elle a provoquées : « Il y aura 27 pays européens d’un côté de la table. Qui les gens veulent-ils voir représenter l’Angleterre debout de l’autre côté de la table : moi, ou Jeremy Corbin ? »
 

Le Brexit est tombé dans les mains des anti Brexit

 
C’était ouvrir volontairement la porte à la controverse. Le chef des libéraux démocrates Tim Farron a dit : « Ces informations ouvrent un grand trou dans l’argumentation du parti conservateur. Theresa May a choisi un hard Brexit clivant, avec l’aide des Travaillistes, et maintenant ne sait pas quoi faire pour s’en sortir. Ce gouvernement n’a pas de plan et cela se voit clairement ».
 
Ainsi le Brexit, manifestation nette de la volonté du peuple anglais est devenu un an après un objet de discussions sans fin et de rumeurs à l’extérieur et une occasion de chamailleries politiciennes à l’intérieur. Cela était prévisible dès le retrait de Nigel Farrage, la vedette des pro-Brexit, et le choix de Theresa May, qui avait fait campagne contre le Brexit, pour premier ministre. Cela entre d’ailleurs dans le cadre d’une grande pédagogie mondiale qui vise à montrer aux peuples que le changement radical qu’ils souhaitent est impossible.
 

Tout le monde participe à la pédagogie de l’impossible

 
Si l’on examine dans le détail la comédie jouée depuis le dîner de Downing Street et les fuites organisées auxquelles il a donné lieu, on s’aperçoit en effet que tout est fait pour persuader le public que le Brexit est impossible. A Bruxelles on reproche à Theresa May de regarder la réalité avec des « lunettes roses ». Lorsqu’elle a dit « faisons du Brexit un succès », Juncker lui a immédiatement répondu : « Cela ne peut pas être un succès ».
 
Le premier argument, le principal, agité sans relâche, est celui de la complexité des dossiers. Pour Juncker et ses collègues, on ne sort pas de l’UE comme on rend sa carte d’un « club de golf ». Rien que sur la question des migrants européens, que Theresa May souhaitait régler en premier, dès juin, Juncker a jugé son calendrier « trop optimiste » et tiré pour le montrer deux grosses piles de papier de son portefeuille concernant juste la Croatie et le Canada.
 

Avec Juncker et May, Impossible est européen

 
Mais ce n’est qu’un détail comparé à la méthode même de négociation. May souhaitait des périodes de travail intensif chaque mois, avec aller-retour vers les administrations concernées, le tout restant confidentiel. Pour Bruxelles, c’est « impossible » : il faut consulter à la fois les Etats membres et le Parlement européen. « Tous les documents doivent être publiés ». Cela va prendre un certain temps.
 
Et puis il y a la note que l’UE présente au Royaume Uni. Le prix du bon de sortie est fixé à 60 milliards d’euros. A négocier. Theresa May a déclaré que « la Grande Bretagne n’est pas légalement tenue à payer quoi que ce soit ». C’est à ce moment là que Juncker a estimé qu’elle vivait « dans une autre galaxie », et il s’y connaît en altérité astrale, puisqu’il a assuré une fois avoir rencontré des dirigeants d’autres planètes.

On ne plaisante pas avec le fric. Juncker sait, là où il se trouve placé, combien de cadeaux ont été faits aux Anglais depuis 1973 et il exige qu’ils paient la procédure de divorce.
 

La pédagogie de Juncker et May face à la galaxie des cocus

 
Naturellement, on peut compter sur eux pour tergiverser et négocier au mieux, à quoi Juncker ou son successeur répondra que, si l’Angleterre ne paie pas, elle n’aura pas l’accord commercial et financier auquel elle tient.
 
Quelle morale les médias nous enseignent-ils donc à travers cette fable ? Que les grands élans du peuple, même quand on les écoute, se heurtent aux dures réalités de la vie politique et financière. Que le Brexit ne saurait défaire en un jour ce que Bruxelles a tissé en quarante-cinq ans. Que d’ailleurs le Brexit que prépare Theresa May ne garantira pas plus de protection aux Britannique, mais au contraire un Royaume-Uni plus ouvert encore, sans les maigres frontières que lui imposait l’Europe. Bref, on raconte au peuple, comme à tous les cocus, que les choses sont beaucoup plus compliquées qu’il ne le croit et que son rêve est impossible.
 
Tout cela bien sûr, n’est qu’une rhétorique, une pure nuée destinée à brouiller son entendement et à l’empêcher d’agir, car il suffit d’un coup de glaive pour trancher le nœud gordien – mais il est vrai que l’absence d’Alexandre se fait aujourd’hui cruellement sentir.
 

Pauline Mille