Le pape François modifie la procédure de reconnaissance de nullité des mariages

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Le pape de la « collégialité » accélérée n’a pas attendu le synode sur la famille qui ouvrira ses portes dans moins de 30 jours pour modifier le droit canonique en matière de reconnaissance de nullité des mariages. L’objectif du pape François est d’accélérer la procédure en supprimant le caractère obligatoire de l’examen des dossiers par une deuxième juridiction, en réduisant la durée totale de la procédure, éventuel appel devant la Rote compris, et en créant des catégories de ce qu’on pourrait appeler des « présomptions de nullité » qui permettent à l’évêque lui-même de décider au vu des faits.
 
Sur les aspects techniques de la réforme, qui ont suscité divers types de commentaires – certains enthousiastes, d’autres très circonspects – il est difficile de juger sans avoir les compétences techniques d’un spécialiste en droit canonique. L’objectif louable de ne pas laisser s’éterniser des affaires qui touchent aussi intimement à la vie des fidèles peut se comprendre, même si à l’heure actuelle une procédure de reconnaissance de nullité d’un mariage, affaire grave s’il en est, reste bien plus courte que celles engagées en France devant de nombreux types de juridictions. On parle d’une durée habituelle qui n’excède pas deux ans, voire 18 mois (c’est la durée que visent les canons qui resteront en vigueur jusqu’au 8 décembre).
 

Le pape François court-circuite le synode pour imposer sa réforme de la procédure de nullité

 
Mais les aspects les plus spectaculaires de la réforme voulue par le pape François et mise en place d’autorité, alors que les pères synodaux souhaitaient précisément en discuter, résident dans le court-circuitage de la procédure devant le tribunal compétent, l’évêque étant habilité dans des cas énumérés de manière non limitative à déclarer le mariage nul.
 
Le premier cas général, au nouveau canon 1683.1, concerne les demandes présentées par les deux parties, l’homme et la femme étant d’accord pour penser que leur mariage n’a jamais existé, ou bien les demandes présentées par l’un avec le « consentement » de l’autre. Le canoniste Edward Peters observe que si la présomption traditionnelle selon laquelle la partie non demanderesse est nécessairement opposée à la déclaration de nullité est erronée, le fait d’affirmer automatiquement que le consentement ou l’accord des parties donnent du poids à leur demande est « erronée » elle aussi. « Le consentement à une procédure en nullité n’est jamais requis par l’Eglise en vue d’exercer sa juridiction sur une affaire et, de manière plus pertinente ici, elle ne donne pas d’indication sur les mérites d’une demande », note Peters.
 
On pense bien sûr à une forme de complicité d’un couple qui veut simplement se séparer. Peters note de son côté que la différence radicale de traitement en cas de désaccord ou d’accord des parties « envoie un message douteux ».
 

De nouveaux cas de nullité de mariage ? Sans doute pas, mais l’examen des dossiers risque d’être expéditif

 
L’article 14 de l’explication qui accompagne le motu proprio pour l’Eglise latine, la Ratio procedendi, établit une liste non exhaustive de cas où la procédure accélérée peut avoir lieu, l’accord des parties étant obtenu. Il s’agit, d’après le texte italien, des circonstances suivantes données sous formes d’« exemples » : « le manque de foi qui peut engendrer la simulation du consentement ou l’erreur qui détermine la volonté, la brièveté de la cohabitation conjugale, l’avortement procuré pour empêcher la procréation, le fait de demeurer de manière obstinée dans une relation extraconjugale au moment des noces ou dans le temps qui les suit immédiatement, le dol par occultation de la stérilité, ou d’une grave maladie contagieuse, ou de l’existence d’enfants nés d’une relation antérieure, ou d’une incarcération, une cause du mariage totalement étrangère à la vie conjugale ou consistant en la grossesse imprévue de la femme, la violence physique utilisée pour extorquer le consentement, le défaut d’usage de la raison prouvé par des documents médicaux, etc… »
 
Passons, avec Peters, sur « l’incohérence » de la phrase sur « l’avortement procuré pour empêcher la procréation » : la procréation, dans le cas d’un avortement, a déjà eu lieu. Avant les noces ? Après ? Avortement forcé ? Avortement complice ? Le texte est loin d’être clair. Une femme ayant avorté ne pourrait-elle donc pas validement se marier ? Ou s’agit-il de l’occultation du fait ?
 
Ces exemples portent sur le consentement, c’est-à-dire le fond même de la procédure de reconnaissance de nullité. En confiant de tels cas à un évêque qui n’est pas nécessairement canoniste, observe Peters, et en lui permettant explicitement d’examiner le dossier sans même s’informer pour l’instruire auprès d’un canoniste, les nouveaux canons font fi de la complexité légale des dossiers et ne laisse guère de temps au défenseur du lien de se prononcer en toute connaissance de cause.
 
En fait, les exemples donnés dans l’article 14 opèrent une confusion entre les causes de nullité – comme la simulation, la contrainte ou la peur, précise Peters – et des circonstances qui peuvent simplement indiquer la possibilité de l’existence d’une cause de nullité, tels l’existence d’une aventure extra-conjugale proche des noces. D’autres exemples, indique Edward Peters, ne sont pas des causes de nullité ni même, bien souvent, des indicateurs d’une possible nullité. La « brièveté de la vie conjugale », par exemple, n’est en rien une cause de nullité.
 

Des couples qui douteront de leur mariage du fait de la réforme de la procédure de reconnaissance de nullité

 
Cette confusion risque d’avoir des effets néfastes sur des couples légitimement mariés qui sont nombreux à avoir expérimenté l’une ou l’autre des situations indiquées dans l’article 14 : « Ils vont se demander, logiquement et sincèrement, si leur mariage n’est pas nul. Ils vont se demander, par exemple, si le fait qu’elle était enceinte au moment du mariage signifie que leur mariage est nul. Sinon, pourquoi la procédure de nullité pourrait être menée plus rapidement ? » En dehors d’une certitude née de l’existence de preuves irréfutables, de tels cas semblent exiger au contraire un examen approfondi : « Comment peuvent-ils être instruits de manière fiable, examinés et résolus par un évêque (un homme qui a mille autre choses à faire) en l’espace de quelques semaines ? »
 
Peut-être, observe Peters en citant le cardinal Kasper qui l’avait affirmé l’an dernier, le pape François pense-t-il réellement que la moitié des mariages sacramentels célébrés actuellement sont nuls. Ce qui expliquerait qu’il ait décidé de mettre en place ce qui sera rapidement perçu comme un « divorce catholique », même si les garanties sont en théorie conservées par la possibilité de maintenir les recours existants.
 
Quoi qu’il en soit, c’est bien un bouleversement qui s’annonce dans la pratique, et qui pourrait devenir majeur en fonction du laxisme de tel ou tel évêque. Qu’en sera-t-il par exemple des cardinaux ou des évêques qui ont proposé un changement de pastorale à l’égard des divorcés « remariés » ? Ils pourront de leur propre autorité – bien réelle, là n’est pas la question – prendre des décisions qui ne visent pas tant à chercher la vérité, l’objectif même de la procédure canonique – mais à trouver des « solutions » pour tel ou tel couple.
 
On retrouve en fait l’un des éléments les plus marquants de la proposition kaspérienne : le cardinal avait en substance évoqué pour permettre aux divorcés « remariés », dans le cas où ils sont en conscience convaincus que leur premier mariage n’a jamais existé, de se passer d’une déclaration de nullité. Ici, il s’agit en quelque sorte de partir de cette conviction pour obtenir celle-ci plus facilement et plus rapidement.
 

Anne Dolhein