Il y a bien un plan du Vatican en vue de « réinterpréter » les enseignements d’“Humanae vitae” sur la contraception

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Mgr Gilfredo Marengo

On a osé, non, on a voulu croire pendant quelques semaines, malgré le sérieux habituel de ses informations, que les rumeurs rapportées comme telles par le vaticaniste Marco Tosatti à propos de la mise en place d’une commission en vue de réinterpréter les enseignements de l’encyclique Humanae vitae sur la contraception, étaient sans fondement. Hélas, les rumeurs sont vraies, et selon Roberto de Mattei, lui aussi très bien informé, on connaît même la composition des responsables de cette commission chargée d’une réflexion en vue du cinquantenaire de l’encyclique. La réinterprétation devra se faire à la lumière d’Amoris laetitia, précise celui-ci, ce qui laisse deviner le recours à une même logique : affirmation de la doctrine pour la forme, aménagement au nom d’une pastorale supposée pouvoir introduire des aménagements individuels.
 
La condamnation de la contraception par l’Eglise catholique est toujours aussi difficilement acceptée par un grand nombre d’époux catholiques, peu aidés il est vrai par le fait que de nombreuses conférences épiscopales et beaucoup de membres du clergé l’ont contredite ou passée sous silence.
 
Roberto de Mattei écrit : « Nous pouvons confirmer qu’il y a une commission, composée de Mgr Pierangelo Sequeri, président de l’Institut pontifical Jean-Paul II, du Pr Philippe Chenaux, maître de conférences en histoire de l’Eglise à l’université pontificale du Latran, et de Mgr Angel Maffeis, préside de l’institut Paul VI à Brescia. Le coordinateur est Mgr Gilfredo Marendo, maître de conférences en anthropologie théologique à l’Institut Jean-Paul II, membres du comité directeur de la revue CVII, Centro Vaticano II Studi e ricerche.
 

Réinterpréter “Humanae vitae” à la lumière d’“Amoris laetitia”

 
Mgr Marengo, quoique membre d’un Institut voué à l’étude des écrits de Jean-Paul II qui affirmait sans faillir la doctrine traditionnelle de l’Eglise par rapport à la contraception, est loin de maintenir une ligne ferme et orthodoxe à ce sujet. Enseignement pourtant jugé infaillible et donc non susceptible de modifications, « non parce que le document répondait en lui-même aux conditions de l’infaillibilité, mais parce qu’il réaffirme une doctrine proposée depuis toujours par le magistère pérenne de l’Eglise », rappelle le Pr de Mattei.
 
« Mgr Marengo, le prélat que le pape François a chargé de la relecture d’Humanae vitae, appartient (…) à la catégorie des prélats convaincus de pouvoir concilier l’inconciliable. En septembre 2015, commentant pour Vatican Insider le travail du synode sur la famille, il proposait que l’on “abandonnât une conception du patrimoine doctrinal de l’Eglise en tant que système clos, imperméable aux questions et aux provocations de l’ici et maintenant où la communauté chrétienne est appelée à justifier sa foi, à travers sa proclamation et par son témoignage” », cite le fondateur de l’Institut Lépante. Il poursuit :
 
« Dans un article plus récent publié par le même journal (Vatican Insider, 23 mars 2017) sous le titre significatif, Humanae vitae et Amoris laetitia, Mgr Marengo demandait si “le jeu polémique – la pilule oui, la pilule non – comme celui d’aujourd’hui – la communion aux divorcés, oui, la communion aux divorcés non – n’est pas une simple manifestation d’un malaise et d’une tension beaucoup plus profonds dans la vie de l’Eglise. (…) Chaque fois que la communauté chrétienne tombe dans l’erreur et propose des modèles de vie tirés d’idéaux théologiques trop abstraits et artificiellement construits, elle conçoit son action pastorale comme l’application schématique d’un paradigme doctrinal”. »
 

Le plan du Vatican : réétudier l’interdiction de la contraception

 
Derrière le jargon, l’intention est claire : il s’agit de dénoncer le rigorisme des « docteurs de la loi » régulièrement dénoncé lors des homélies de Sainte-Marthe par le pape François lui-même. Et vous avez bien lu, c’est l’attachement à un enseignement doctrinal qui est présenté comme une « erreur ».
 
Mgr Marengo ajoutait, citant largement le pape François : « Une certaine manière de défendre et d’accepter l’enseignement de Paul VI a probablement été l’un des facteurs qui ont fait que nous avons présenté un idéal théologique trop abstrait du mariage, presque artificiellement construit, fort éloigné de la situation concrète et des possibilités effectives des familles telles qu’elles sont vraiment. Cette idéalisation excessive, au moment même où nous avons réveillé la confiance en la grâce, n’a pas rendu le mariage plus attrayant et plus désirable, bien au contraire. »
 
Le mode opératoire de la commission nommée par le pape François est en soi une indication de ce qui est recherché. Elle aura « la tâche de récupérer dans les archives du Vatican la documentation relative aux travaux préparatoires en vue d’Humanae vitae qui ont eu lieu sur une période de trois ans, pendant et après le concile Vatican II », rappelle Roberto de Mattei. On connaît les orientations de cette commission :
 
« Le premier groupe d’études sur la question de la “régulation des naissances” a été constitué par Jean XXIII en mars 1963, et a compté jusqu’à 75 membres sous Paul VI. En 1966, les « experts » ont rendu leurs conclusions au pape Montini en lui suggérant d’ouvrir les portes à la contraception artificielle. En avril 1967, le document réservé à la commission – celui qui doit marquer le point de départ de la “re-lecture” de l’encyclique – parut concomitamment en France dans Le Monde, au Royaume-Uni dans The Tablet et aux Etats-Unis dans le National Catholic Reporter. Mais Paul VI, après deux ans d’hésitations, a publié l’encyclique Humanae vitae le 25 juillet 1968, réaffirmant la position traditionnelle qui a toujours interdit la limitation artificielle des naissances. Ce fut, comme l’a dit le philosophe Romano Amerio, l’acte le plus important de son pontificat. »
 

Revoir “Humanae vitae” en faisant appel au texte qui lui était hostile

 
A l’époque, la décision du pape Paul VI de passer outre l’avis de la commission avait provoqué une fronde ouverte, notamment de la part du cardinal primat des Belges, Leo Suenens qui lors du concile avait supplié qu’on évitât « une nouvelle affaire Galilée », rappelle le Pr de Mattei. Le cardinal Michele Pellegrino, archevêque de Turin, devait appeler l’encyclique « l’une des tragédies de l’histoire des papes ». Dès 1969, neuf évêques néerlandais dont le cardinal Alfrink votaient une « déclaration d’indépendance qui invitait les fidèles à rejeter l’enseignement d’Humanae vitae », provoquant de profondes divisions au sein du clergé, des plaies qui ne se refermeraient plus.
 
Ce sont ces divisions qui vont être exploitées par le simple fait de retourner au document de la commission des années 1960 favorable à la contraception, constituée par toute manœuvre destinée à rendre infertile un acte conjugal potentiellement fécond.
 

Le pape François derrière le plan du Vatican

 
Roberto de Mattei observe que le fait de qualifier ces oppositions de simple « jeu polémique » ouvre la porte à la discussion de « tous les grands thèmes de la foi et de la morale ». « “L’avortement oui – l’avortement non”, mais aussi “la Résurrection oui – la Résurrection non” ; “le péché originel oui – le péché originel non”, et ainsi de suite. La simple opposition de la vérité à l’erreur et du bien ou mal devient alors “un jeu polémique” », rien de plus. Il précise :
 
« Il faut noter que Mgr Marengo ne propose pas de lire Amoris laetitia selon les lignes de l’herméneutique de la continuité. Il ne nie pas l’existence d’une contradiction entre les deux documents : il reconnaît qu’Amoris laetitia autorise ce qu’Humanae vitae interdit. Mais il retient que chaque antithèse théologique et doctrinale doit être relativisée et dépassée dans une synthèse capable de réconcilier les contraires. La véritable dichotomie se trouve alors entre l’abstrait et le concret, entre la vérité et la vie. Ce qui compte, aux yeux de Mgr Marengo, c’est de s’immerger dans la praxis pastorale, sans s’incliner devant “des idéaux théologiques trop abstraits et artificiellement construits”.
 
« Ce sera la praxis, et non la doctrine qui indiquera la ligne de conduite. Le comportement, en somme, naît du comportement. Et aucun comportement ne peut être sujet à des évaluations théologiques et morales abstraites. “Les modèles de vie” n’existent pas, il n’y a que le cours de la vie, qui accepte tout, qui justifie tout, qui sanctifie tout. Le principe d’immanence, terrassé par Saint Pie X dans l’encyclique Pascendi (1907), a été re-proposé d’une manière exemplaire. »
 
Après ce triste constat, Roberto de Mattei demande : « Trouvera-t-on des prêtres ou des théologiens confrontés à ce programme de la réinterprétation d’Humanae vitae qui auront le courage de prononcer le mot : hérésie ? »
 

Jeanne Smits