Comme dans de nombreux pays, dont Israël, nier la Shoah ou minimiser l’ampleur du génocide commis à l’encontre des juifs pendant la Deuxième guerre mondiale est un délit en Pologne. Mais selon un projet d’amendement à la loi sur l’Institut de la Mémoire nationale (IPN) adopté vendredi par la Diète polonaise, imputer « à la nation polonaise ou à l’Etat polonais la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le IIIe Reich allemand » sera également un délit passible d’une amende et d’une peine de trois ans de prison. Cet amendement, qui doit encore être débattu au Sénat, prévoit toutefois une exception pour l’expression artistique et scientifique qui ne sera pas passible de poursuites.
Les membres du gouvernement et de la majorité conservatrice qui dirige la Pologne depuis l’automne 2015 semblent avoir été pris de court par les réactions de l’Etat d’Israël avec lequel ils entretiennent par ailleurs de très bonnes relations. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a qualifié cet amendement d’absurde, arguant que l’on ne peut changer l’histoire ni nier la Shoah (ce que ne fait pas cet amendement à la loi polonaise). Le projet de loi polonais a aussi été critiqué en des mots très durs par le Centre Simon-Wiesenthal, basé aux Etats-Unis, et en des mots plus mesurés par la direction du Mémorial de Yad-Vashem.
Un député israélien cause la fureur en Pologne et la gêne en Israël en affirmant les Polonais co-responsables de la Shoah
Mais c’est un député israélien, Yair Lapid, chef du parti d’opposition Yesh Atid, qui a causé la fureur en Pologne par un tweet dans lequel il affirme qu’il y a bien eu des « camps de la mort polonais ». C’est justement pour pouvoir lutter contre l’utilisation de cette expression devant les tribunaux que la majorité PiS souhaitait étendre le délit de négationnisme et de révisionnisme au fait de faire porter à la Pologne la responsabilité des crimes commis par l’Allemagne nazie en territoire polonais. Yair Lapid a en outre écrit que des centaines de milliers de juifs avaient été tués sans avoir jamais vu un soldat allemand. L’ambassade de Pologne en Israël a répondu au tweet du député en faisant remarquer qu’un meilleur enseignement de l’histoire de la Shoah était nécessaire, « y compris ici en Israël ».
Les propos excessifs et mensongers du député ont d’ailleurs été critiqués par l’historien israélien d’origine américaine Efraim Zuroff, directeur du Centre Simon-Wiesenthal à Jérusalem, car le fait est que la Pologne était occupée pendant toute la Seconde Guerre mondiale et que l’Etat clandestin polonais n’a jamais participé à l’extermination des juifs. Au contraire, il avait créé au sein de son Armée de l’intérieur (AK) une organisation dédiée à l’aide aux juifs et il faisait condamner à mort et exécuter les Polonais coupables d’avoir dénoncé des juifs aux Allemands (environ un millier d’exécutions menées à bien à ce titre). Dans la Pologne occupée, aider ou cacher un juif était passible d’exécution immédiate de toute la famille, enfants compris, pour qui se faisait prendre.
Les Polonais reconnus en Israël pour leur aide aux juifs : 7.000 « Justes parmi les nations » sur 20.000…
Ainsi que l’a fait remarquer le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki lors de la commémoration du 73e anniversaire de la libération d’Auschwitz-Birkenau, sur quelque 20.000 « Justes parmi les nations » honorés par l’Institut Yad Vashem, près de 7.000 sont des Polonais.
Inversement, Efraim Zuroff parle de plusieurs milliers de juifs tués par des Polonais pendant la Deuxième guerre mondiale (2.500 au maximum, selon le grand-rabbin de Pologne Michael Schudrich).
De leur côté, les Polonais rappellent volontiers que sur les 6 millions de citoyens polonais tués pendant la Deuxième guerre mondiale, 3 millions n’étaient pas juifs. La nouvelle loi polonaise, si elle est adoptée, n’interdira de toute façon pas de parler des crimes commis par des Polonais pendant la Deuxième guerre mondiale, contrairement à ce qui est suggéré par certains médias étrangers.
Interrogé par la radio polonaise, l’ancien président de la Knesset, ancien ambassadeur d’Israël à Varsovie et ancien président du conseil du Mémorial de Yad Vashem Szewach Weiss, un Israélien né en Pologne et sauvé de la Shoah par des Ukrainiens et des Polonais, a dit comprendre les motivations derrière le projet de loi polonais tout en exprimant ses doutes sur son efficacité pour lutter contre l’expression « camps de la mort polonais ». Il a cependant critiqué la volonté persistante de certains pays européens de blanchir leur propre histoire en reportant leurs fautes sur la Pologne qui n’a pas, elle, collaboré avec l’occupant allemand.
« Responsabilité » de la Pologne dans la Shoah : une nouvelle sorte de révisionnisme
Si la majorité parlementaire polonaise ne semblait pas disposée à modifier son projet de loi sous la pression d’Israël, les Premiers ministres polonais et israélien ont eu à ce sujet une conversation dimanche au téléphone. Du point de vue polonais, la nouvelle loi permettra à la Pologne de lutter plus efficacement notamment contre des médias comme la télévision publique allemande ZDF, qui avait refusé de publier des excuses, malgré le procès intenté par un Polonais rescapé des camps de concentration allemands en Pologne occupée, après avoir utilisé l’expression « camps de la mort polonais ». En novembre dernier, la cour d’appel de Coblence, en Allemagne, a condamné la chaîne allemande à publier des excuses conformément au jugement qui avait été rendu par un tribunal de Cracovie. L’Etat polonais voudrait cependant pouvoir engager des poursuites contre cette même chaîne pour un téléfilm produit en 2013, dans lequel ZDF présentait l’AK polonaise comme co-responsable de la Shoah et les partisans polonais comme plus antisémites encore que les occupants allemands.
Réglementer la vérité historique avec des lois est certes une approche discutable. Mais contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, le projet de loi polonais a au moins le mérite de ne pas s’appliquer aux travaux des historiens et donc de ne pas verrouiller le débat scientifique sur son passé.