Réforme de la justice en Pologne : la Commission européenne parle de sanctions par le Conseil européen et de recourir à l’article 7 du traité

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« Je vois à la Cour suprême, et je ne parle même pas des tribunaux régionaux, les mêmes juges qui jugeaient mes amis de Solidarité dans les années 80, quand mes amis étaient battus. L’un d’entre eux est aujourd’hui encore handicapé à cause des mauvais traitements reçus. » C’est ce qu’a déclaré le nouveau premier ministre Mateusz Morawiecki qui a demandé à l’opposition libérale, lors des réponses aux questions précédant le vote de la confiance à la Diète le 12 décembre, si cela ne les dérangeait pas de voir encore des juges communistes, coupables de condamnations politiques dans les années 80, siéger dans les plus hautes instances du pouvoir judiciaire. Certains y ont d’ailleurs été nommés par la majorité libérale aux affaires de 2007 à 2015. D’autres y ont été cooptés par leurs collègues juges : les juges de la Cour suprême nommés pour 6 ans par le président de la République parmi les candidats proposés par… la Cour suprême ; ceux du Conseil supérieur de la magistrature (15 membres sur 25) nommés par les corps dont ils sont originaires, c’est-à-dire la Cour suprême, les cours d’appel, les tribunaux administratifs et les tribunaux régionaux. Pour le PiS, la réforme de la justice qu’ils avaient promise à leurs électeurs est donc indispensable en Pologne, et les menaces de sanctions au titre de l’article 7 du Traité sur l’UE brandies par la Commission européenne ne le dissuaderont pas, même si le Conseil européen doit être saisi.
 

Rétablir un contrôle démocratique sur le troisième pouvoir

 
L’objectif déclaré de la réforme de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la magistrature (KRS) proposée par le président Andrzej Duda, amendée par les députés et adoptée la semaine dernière par le parlement polonais, après celle des tribunaux ordinaires adoptée en juillet, est donc d’abord de restaurer un contrôle démocratique sur l’institution judiciaire et d’épurer (cela n’a jamais été fait) cette institution des juges qui ont un passé au service de l’exécutif communiste. La meilleure illustration de la continuité du système judiciaire en Pologne, c’est qu’il n’a jamais été possible de faire condamner dans la Pologne démocratique les anciens dirigeants communistes pour leurs crimes. Mais ce n’est pas le seul problème de cette justice non réformée, puisqu’il y a aussi les questions non réglées de corruption, d’incompétence, de juges politisés avec un penchant généralement très à gauche et de longueur très excessive des procédures judiciaires qui empoisonnent la vie des citoyens comme des entreprises.
 

Les grands points de la réforme de la justice en Pologne

 
Ce qui va changer après l’adoption définitive la semaine dernière de cette réforme par le parlement polonais, si le président Duda la ratifie (ce qui devrait être le cas d’après les déclarations de son porte-parole), c’est d’abord la nomination des 15 juges du Conseil supérieur de la magistrature : ils seront choisis pour quatre ans par le parlement par un vote aux 3/5 (au premier tour) ou à la majorité simple (au deuxième tour), sachant qu’aucun groupe parlementaire ne pourra proposer plus de 9 candidats (afin de garantir la présence de 6 juges choisis par l’opposition). Pour l’opposition libérale, soutenue par la Commission européenne, il s’agit d’une disposition inconstitutionnelle, même si la constitution polonaise ne précise pas le mode de nomination des 15 juges membres du Conseil supérieur de la magistrature.
 
L’autre point qui fait grincer des dents d’une Commission européenne qui se prend apparemment pour le Tribunal constitutionnel polonais, c’est la réduction de l’âge de la retraite à 65 ans pour tous les juges de la Cour suprême, afin d’aligner leur régime sur le régime général. Cela veut dire que la présidente de la Cour suprême devra quitter ses fonctions avant la fin de son mandat (elle a eu 65 ans en novembre), ce que l’opposition qualifie de contraire à la constitution polonaise puisque celle-ci stipule que le président de la Cour suprême est nommé pour 6 ans par le président de la République et que l’actuelle présidente est en place depuis 2014 seulement.
 

La Commission européenne envisage de demander des sanctions contre la Pologne au titre de l’article 7 alors que ces sanctions n’ont aucune chance d’aboutir !

 
La réforme contient d’autres points, comme la création d’une chambre disciplinaire près la Cour suprême, pour statuer sur les infractions et délits commis par les juges, et l’instauration d’une possibilité de recours ultime des citoyens contre les décisions de justice devant la Cour suprême par l’intermédiaire de différentes institutions. Cependant, c’est le mode de nomination des juges et l’âge de la retraite qui constituent la principale raison des menaces de sanctions de la part de la Commission européenne. Celle-ci devrait décider cette semaine si elle demande ou non au Conseil européen de lancer une procédure de suspension de la Pologne dans ses droits d’Etat membre au titre de l’article 7 du Traité sur l’UE. Cette sanction la plus lourde prévue dans le traité peut s’appliquer en cas de violation patente par un Etat membre de l’article 2 du Traité sur l’UE qui stipule ce qui suit :
 
« L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
 

Saisir le Conseil européen ?

 
Le décalage évident entre les points litigieux de la réforme de la justice polonaise et le contenu de l’article 2 du traité sur l’UE semble donner raison à la Pologne et à la Hongrie. Celles-ci affirment en effet souvent que la volonté de les sanctionner (la Hongrie aussi est menacée de sanctions sous le régime l’article 7) n’est pas tant liée aux prétendues violations de l’état de droit qu’à leur refus de la politique de relocalisation des immigrants demandeurs d’asile. D’autant qu’il faudra pour appliquer ces sanctions un vote à l’unanimité de tous les autres Etats membres, ce qui paraît totalement hors de portée, même si Angela Merkel et Emmanuel Macron ont affirmé qu’ils suivraient l’avis de la Commission.
 
Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que la Pologne n’a pas l’intention de céder aux institutions bruxelloises la souveraineté sur son troisième pouvoir. Les sondages qui donnent en ce moment entre 40 et 50 % de votes en faveur du PiS contre moins de 20 % pour le premier parti d’opposition (PO, le parti de Donald Tusk) montrent d’ailleurs que la majorité parlementaire polonaise bénéficie d’une très bonne légitimité démocratique pour réaliser ses réformes. La Commission européenne ne peut pas en dire autant !
 

Olivier Bault