Restructurer l’islam : la conférence organisée à Grozny réunit al-Sissi et Poutine

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La nouvelle serait passée inaperçue en France sans la vigilance d’Yves Daoudal qui a relevé cette information donnée par AsiaNews deux bonnes semaines après les faits : une conférence sur l’islam s’est tenue à Grozny en Tchétchénie du 25 au 27 août, en présence de plusieurs centaines de « savants » islamiques venant d’Égypte, de Russie, de Syrie, du Soudan, de Jordanie et de l’Europe, mais aussi de Vladimir Poutine et du président-maréchal al-Sissi d’Egypte. Peu répercuté par les médias, l’événement est en réalité d’une grande importance puisqu’il démontre l’implication de la Russie dans la volonté de créer un islam « compatible » avec le relativisme moderne, ce qui passe nécessairement par la réinterprétation du Coran. Et plus largement, la restructuration de l’islam.
 
Ce nouvel islam se situe également au cœur d’une ligne de partage géopolitique, si l’on veut bien croire que la Russie est séparée sur ce point du reste du monde. Mais la ligne d’al-Sissi, affirmée d’une manière particulièrement nette au début de 2015 (voir notamment ici sur RITV) est aussi tournée vers l’Occident où la promotion du relativisme, et même de la « dictature du relativisme » est au cœur de la pensée unique.
 

Al-Sissi et Poutine à la conférence de Grozny pour restructurer l’islam

 
La conférence de Grozny en Tchétchénie avait pour objectif d’excommunier – en quelque sorte – les interprétations les plus violentes de l’islam et notamment le wahhabisme à la manière saoudienne. Ce wahhabisme que l’Arabie saoudite subventionne dans de nombreuses parties du monde… L’idée était de montrer qu’il s’agit là d’une « distorsion » de l’islam qui conduit directement à l’extrémisme et au terrorisme. Et de mener des études doctrinales pour montrer qu’il ne fait pas partie de l’islam sunnite véritable. On a donc pu entendre qu’il faut « un changement radical pour rétablir le sens véritable du sunnisme ».
 
Cette déclaration faisait partie du communiqué final du congrès auquel participait notamment le grand imam de l’université Al-Azhar du Caire, Ahmed al-Tayeb, l’un des plus prompts à relayer les demandes du maréchal al-Sissi. Plusieurs autres muftis et représentants officiels de l’islam en Égypte étaient présents, mais aussi un prêcheur yéménite et le grand mufti de Damas Abdel Fattah el-Bezm. Cela donne une idée de la dimension politique de la réunion.
 
L’exclusion du wahhabisme saoudien se plaçait en effet bien sur le plan politique, et passe par la présentation de l’application radicale de la charia, telle qu’elle se pratique en Arabie saoudite (mais pas seulement) – comme une interprétation déformée et dangereuse de l’islam, « religion de paix et de tolérance » comme le diraient d’aucuns. Le communiqué final prétendait définir ceux qui ont le droit de se réclamer du sunnisme, jusque et y compris les soufis qui pourtant depuis des temps immémoriaux sont considérés, à juste titre, comme des hérétiques de l’islam.
 

En Tchétchénie, la Russie préside au rejet du wahhabisme par le sunnisme pratiqué chez ses alliés

 
Sous le regard de Vladimir Poutine, les participants au congrès ont fait des recommandations pour contribuer à la « correction » des tendances actuelles de l’islam. Il serait ainsi souhaitable, ont-ils déclaré, de voir la création d’une chaîne de télévision pour contrer Al-Jazira : elle serait basée en Russie. Objectif : « porter un message véritable de l’islam et combattre l’extrémisme et le terrorisme ».
 
Une autre suggestion consiste à établir « un centre scientifique en Tchétchénie pour surveiller et étudier les groupes contemporains… afin de réfuter et de critiquer de manière scientifique la pensée extrémiste ». Avant même d’avoir vu le jour, le centre a déjà été baptisé Tabsir, ou « clairvoyance ». Et pourquoi pas « perestroïka » ? Car l’idée n’est pas de parvenir à la vérité, mais d’aboutir à une interprétation de l’islam qui le rende acceptable, qu’il soit vrai ou faux.
 
On reste bien sûr songeur devant une critique « scientifique » des textes de l’islam, car celle-ci aboutirait fatalement à modifier le Coran, à en rejeter une partie et à réinterpréter les actes de Mahomet pour cesser de justifier les pratiques qui prennent modèle sur lui. Le Coran, présenté comme incréé par l’islam, et qu’il faut donc nécessairement accepter avec toutes ses contradictions internes, ne se prête pas à tel jeu. Le prétendre – toutes proportions gardées – c’est adopter la même attitude mentale que celle du moderniste qui estime pouvoir faire évoluer le dogme catholique pour l’adapter aux besoins changeants de l’histoire des hommes, toujours en mouvement.
 

Restructurer l’islam pour le rendre compatible avec le relativisme

 
Pour autant, toujours sous la bienveillante attention de Vladimir Poutine et du Maréchal al-Sissi, il s’est trouvé des participants pour demander qu’on revienne aux anciennes grandes écoles d’interprétation de l’islam, celle d’Al-Azhar par exemple, à l’exclusion des universités islamiques saoudiennes, bien qu’on ne sache pas que dans histoire il y eut un « islam modéré » prêt à cohabiter à rang égal avec les associateurs qui adoreraient plusieurs dieux – à commencer par les chrétiens. Mais il est vrai que les wahhabites ne justifient pas seulement une expansion de l’islam par la force, il prône aussi la destruction des musulmans qui n’adhèrent pas à leur manière de voir.
 
Face aux flots des subventions saoudiennes à cet introuvable islam « fondamentaliste » qui est en réalité tout simplement l’islam, les participants au congrès ont proposé de financer des bourses permettant l’étude de la charia à cette sauce moderne.
 
Pour l’islamologue jésuite Samir Khalil Samir, la réunion sous l’égide russe est une source de grande satisfaction. « Enfin ! Voilà bien une chose extraordinaire. L’Egypte semble en être à la source. Au moins, la demande faite en décembre 2014 par le président al-Sissi à l’université Al-Azhar du Caire semble enfin trouver un début de réponse. Il est également intéressant que cela se soit produit à Grozny une ville islamique de moins de 300.000 habitants, en Tchétchénie dans la Russie laïque. Mais la chose la plus extraordinaire est de voir qui était à cette réunion, à savoir de nombreuses personnes liées au wahhabisme ! »
 

Poutine et al-Sissi veulent bien d’un islam qui leur soit inféodé

 
Le père jésuite croit-il réellement que l’islam puisse être restructuré en restant lui-même ? Ou que le wahhabisme ne soit pas une forme exacte de l’islam ? Un autre islamologue, Kamel Abderrahmani, a déclaré à AsiaNews que l’analyse méticuleuse ne révèle aucune « différence fondamentale » entre le sunnisme et le wahhabisme. « Ce sont une seule et même chose, la seule différence, c’est le nom », a-t-il déclaré.
 
Sans doute, les non musulmans et notamment les chrétiens d’Orient trouveraient-ils un avantage pratique, un peu de paix et de sécurité si l’islam cessait d’appliquer ce qu’enseignent le Coran, les hadiths et la charia.
 
Mais il ne faut pas perdre de vue que cette restructuration est nécessaire du point de vue mondialiste, qui ne peut s’accommoder d’aucune religion se prétendant vraie à l’exclusion de toutes les autres : voilà bien longtemps que les discours de l’ONU et de l’Unesco dénoncent les religions traditionnelles, qu’elles soient intrinsèquement violentes ou non comme peut l’être l’islam, comme principaux ennemis de la paix.
 
Cette promotion de l’« amitié entre les peuples » faisait déjà parti de l’arsenal de la propagande de l’Union soviétique – qui a aussi dialectiquement soutenu le terrorisme islamique, comme l’a confirmé l’ancien chef des services roumains passé à l’Ouest, le général Ion Pacepa.
 

Anne Dolhein