C’est une vraie bombe et pourtant les médias français n’en parlent pas : dans une interview au Financial Times, Trump menace d’agir seul pour en finir avec l’arme nucléaire de la Corée du Nord. Est-ce la nouvelle diplomatie des USA ou une posture de négociation face la Chine ?
Quand Donald Trump dit une grossièreté grivoise sur les femmes, la planète se couvre le visage d’un voile de convenances, et les manifestations féministes fleurissent par centaines. Quand il propose un décret sur l’immigration somme toute anodin et limité, Hollywood s’alarme, les juges condamnent et le globe entier suit, dans un tintamarre médiatique sans précédent. Quand le président des Etats-Unis lance, à propos de la sécurité nucléaire dans le monde, une révolution diplomatique qui implique la deuxième puissance économique mondiale, la Chine, tout le monde s’en fiche.
La Corée du Nord est le meilleur des Etats voyous pour les USA
Les USA ont besoin depuis longtemps d’Etats voyous (rogue states) pour justifier leur propre politique. Cela ne dépend pas de la couleur politique du président, puisque Ronald Reagan a employé le mot trente-sept ans avant que Trump n’en utilise le concept, comme l’ont fait aussi Bill Clinton et Barack Obama. Celui qui toutefois l’a vraiment mis au centre de sa politique pour justifier sa façon d’agir fut George W. Bush après le 11 septembre 2011. Il a publié une liste d’Etats voyous où figurait déjà, avec le Pakistan, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et la Libye, la Corée du Nord. Le 29 janvier 2002, il affirma que ces pays formaient « l’axe du mal » qu’il entendait combattre. Aujourd’hui les USA sont unis face à la Corée du Nord : en transmettant ses pouvoirs à Trump, Obama a désigné le pays comme le sujet de haute sécurité, et Mac Cain, figure républicaine opposée à Trump, traite le président Kim Jong-Un de « gros fou ».
La Corée du Nord s’arme malgré le traité qui limite le nucléaire
Depuis 2005, la Corée du Nord a progressé d’un pas de géant dans le mal, elle s’est retirée du TNP (traité de non prolifération nucléaire) afin de construire sa bombe atomique. Le TNP, conclu en 1968 à l’initiative de l’URSS et des USA, suggère aux Etats qui détenaient officiellement l’arme nucléaire avant 1967 (URSS, Chine, USA, RU, France) de désarmer progressivement et impose aux autres de ne pas acquérir ou produire d’arme nucléaire.
Ce traité a tous les défauts du monde. Il est mal rédigé, offre plein de « trous » aux contrevenants. Il n’est pas très contraignant. Il est fondamentalement inégalitaire et arbitraire, il transcrit le rapport de force nucléaire de l’époque de sa rédaction. Il n’entrave que les faibles. L’Inde, le Pakistan et Israël se sont dispensés de le signer pour garnir tranquillement leur arsenal nucléaire. Enfin, il est d’inspiration supranationaliste, voire mondialiste. C’est d’ailleurs l’ONU qui l’a produit et l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui est censée en contrôler le fonctionnement. Cependant il a servi vaille que vaille à limiter la prolifération du nucléaire et cela ne peut pas compter pour une mauvaise chose.
Non prolifération nucléaire : certains Etats plus égaux que d’autres
Aujourd’hui pourtant, chaque partie peut invoquer des arguments pour justifier sa position. Kim Jong-Un accuse les USA d’entreposer un arsenal nucléaire en Corée du Sud, il fait de son retrait, et de celui des troupes américaines, la condition du sacrifice de sa propre force nucléaire. Afin d’évaluer cette exigence, pourquoi l’ONU ne donnerait-elle pas mission à l’AIEA d’aller inspecter les sites suspects (selon Kim Jong-Un) de Corée du Sud, comme elle a fait pour l’Irak et l’Iran ? Est-il sûr que, comme nos médias le suggèrent avec persévérance, que Kim Jong-Un soit un « gros fou », appréciation qu’ils étendent d’ailleurs à Donald Trump ?
Kim Jong-Un pourrait ajouter que personne ne fait la moindre remarque à propos de l’Inde et du Pakistan qui n’ont pas signé le TNP (alors qu’ils sont en guerre larvée l’un contre l’autre), et que seuls les pays arabes semblent s’inquiéter de l’arme nucléaire israélienne (deux cents ogives prêtes à l’emploi), sans doute pour la raison qu’elle est braquée sur eux.
Trump doit-il laisser sa liberté d’agir à un « gros fou » ?
A quoi Donald Trump pourrait répondre que la géopolitique n’est pas un exercice de mesure exacte des droits et mérites de chacun, que le deux poids deux mesures y est fréquent, et qu’il s’agit en l’espèce d’éviter des conflits en respectant le rapport des forces. Depuis 2006 la Corée du Nord a procédé à cinq essais nucléaires, elle possède une grosse dizaine de bombes, des bombardiers pour les transporter, peut-être même de missiles balistiques, ce n’est pas très clair. Cela paraît une menace réelle, quand on observe les méthodes de gouvernement de Kim Jong-Un, son peu de respect de la vie humaine et ses déclarations à propos de ses voisins de Corée ou du Japon.
Trump pourrait aussi faire valoir le tintouin de la communauté internationale à propos de quelques malheureuses centrifugeuses en Iran, et la grande imposture en Irak, où la coalition menée par les USA a grillé des centaines de milliers d’hommes et ramené un pays à l’âge des cavernes pour des armes qui n’existaient pas. La liberté d’agir laissée à Kim Jong-Un est incompréhensible.
En Corée, les USA derrière le Sud, la Chine derrière le Nord
Mais la Corée du Nord et la Corée du Sud sont issues par scission de la guerre de Corée, et le tuteur du Nord est la Chine, comme les USA sont celui du Sud. La voie traditionnelle pour agir sur la Corée du Nord et lui demander de se défaire de l’arme nucléaire passe donc par la Chine. Or, indisposé par l’inaction de celle-ci, Trump menace uniment d’agir seul : « La Chine a une grande influence sur la Corée du Nord. Et la Chine va décider de nous aider sur le dossier de la Corée du Nord, ou non. Si elle le fait, ce sera très bon pour la Chine, si elle ne le fait pas, ce ne sera bon pour personne. Si la Chine ne résout pas le problème de la Corée du Nord, nous le ferons. C’est tout cc que je vous dis. »
C’est une révolution diplomatique. Toute simple. Comme l’œuf de Colomb ou le coup de glaive d’Alexandre dans le nœud gordien. Avec quel effet possible et quelle intention, c’est moins simple de le dire.
L’arme nucléaire, un argument parmi d’autres
Trump a fait beaucoup de bruit depuis qu’il est élu autour de la relation Chine-USA. Il a critiqué la politique commerciale de la Chine populaire. Il a téléphoné, rompant l’usage, au gouvernement nationaliste de Tai Wan, menaçant d’en « finir avec la politique de la Chine unique ». Il a retiré les USA du traité de libre-échange transpacifique, ce qui aussi est une manière de limiter les importations de produits Chinois aux USA.
La Chine a fait savoir dès le mois de décembre 2016 qu’elle n’appréciait pas l’art de la négociation de Donald Trump, ce qui est une réponse du berger à la bergère, une position de négociation symétrique. En fait, les deux parties dépendent l’une de l’autre très profondément, ce qui les met dans une situation délicate : la Chine dépend des USA en ce qu’elle a besoin, pour accroître sa puissance, d’exporter, les USA dépendent de la Chine parce que celle-ci possède une très grosse part de leur énorme dette.
Négociations avec la Chine : Trump parie
Un sommet va s’ouvrir la semaine prochaine entre les deux premières économies mondiales à Mar-a-lago, le palais de Trump en Floride. Le président des USA annonce des négociations « très difficiles ». Ses déclarations s’y inscrivent. Du côté de la Chine comme du côté des USA, le danger nucléaire en Corée du Nord servira d’argument. Ash Carter, qui fut ministre de la Défense sous Obama, souligne que la Chine n’a rien fait sur le dossier depuis plus de vingt ans et met les USA en garde contre les dangers d’une « guerre préventive ».
Mais rien n’indique que Trump l’envisage. Dans son interview au Financial Times, il a déclaré également : « J’ai un grand respect pour la Chine. Je ne serais pas du tout surpris si nous faisions quelque chose de très spectaculaire et bon pour nos deux pays, et je l’espère ». Or, contrairement à ses prédécesseurs, Trump ne s’affiche pas friand d’interventions tous azimuts : ses coups de gueule ne viseraient-ils pas à obtenir un bon accord et à justifier à l’avance les inévitables concessions qu’il va devoir faire ? Depuis sa candidature à la présidentielle, la manière d’agir et de parler de Trump, encore en projet, reste imprévisible, ambigüe. Face aux réalités, et la Chine en est une de taille, on va mieux voir ce que ce pragmatique va décider.