The Hill est une des publications politiques les plus influentes de la capitale fédérale des Etats-Unis, avec un regard éditorial qui passionne les élus du Congrès et des représentants du pouvoir à Washington. Aussi la parution d’une tribune faisant la louange de l’entreprise de restructuration de l’islam par le prince saoudien Mohammed bin Salman est-elle un événement : c’est en quelque sorte le satisfecit, doublé d’encouragements dont chacun est prié d’apprécier le bien-fondé, décerné à un homme qui veut rendre l’islam de son pays compatible avec la modernité relativiste.
Le titre de l’article est déjà tout un programme, jugez plutôt : « Le Prince héritier Mohammed bin Salman pourrait bien réussir à restaurer l’islam. » Restaurer ? Le mot est révélateur, car par nature, le Coran, que l’islam prétend parole incréée de Dieu, n’est pas susceptible de modifications et il s’impose dans le monde musulman avec toute sa violence et son exclusivisme. Et ses règles tatillonnes à n’en plus finir, qui l’accompagnent depuis le début.
Le prince Mohammed bin Salman reçoit un satisfecit dans la presse de Washington
Selon l’auteur de la tribune, Salman Al Ansari – fondateur du Comité saoudi-américain pour les relations publiques (SAPRAC) basé à Washington DC, fréquent invité des grandes chaînes et médias américains – c’est un véritable « éveil culturel qui s’apprête à révolutionner le monde islamique » sous la conduite du prince héritier. « Jeu de pouvoir » sans doute, accorde l’analyste, « mais en son cœur il s’agit plutôt d’une habilitation à créer une culture du changement ». Mohammed bin Salman « ouvre le chemin pour faire de l’islam, représenté par la Garde des Deux Saintes Mosquées, un véritable allié pour la promotion des valeurs et du respect mutuels ».
Invoquant les aspirations de la jeunesse saoudienne, Salman Al Ansari explique que l’objectif du prince héritier y répond pleinement : « Nous revenons vers ce que nous étions jadis – un pays d’islam modéré ouvert à toutes les religions et au monde. » S’il y a de « l’animosité culturelle et religieuse » aujourd’hui, installée selon lui depuis 1979 – date du siège de la Grande Mosquée de la Mecque par des « fondamentalistes » musulmans – c’est à cause des « idéologies extrémistes » qui se sont depuis lors répandues dans la région, ouvrant notamment la porte aux Frères musulmans et « aux financements douteux à destination de l’étranger via l’organisation pan-islamique », écrit-il.
La « restructuration » de islam n’est pas sa restauration, quoiqu’en dise “The Hill”
Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite promeut « la tolérance et l’harmonie », que ce soit à travers des rencontres au Vatican, la modification de la culture musulmane et plus récemment, « par le clair rejet de la négation de l’holocauste par le secrétaire général de la ligue musulmane mondiale » basée à la Mecque, se réjouit l’auteur.
Les concessions faites aux femmes, désormais autorisées à conduire et à entrer dans le monde du travail avec davantage de droits sont selon lui d’autres signes d’un programme « dynamique et visionnaire », même si celui-ci rencontre quelques résistances.
On ne sache pas cependant que les non musulmans dans le royaume wahhabite aient obtenu quelque nouveau droit à la faveur de cette marche vers la « tolérance »…
Seuls les mauvais esprits verront dans ces politiques une nouvelle manière de s’opposer aux frères ennemis chiites avec le secours de l’Occident ; d’autres se réjouiront des petites libertés accordées à ceux dont l’islam fait des populations de seconde zone. Mais au-delà de ces appréciations, il faut bien comprendre qu’il s’agit de vider l’islam de sa substance, non pour le rendre plus conforme à la vérité mais pour en extirper la dimension politiquement totalitaire à fin de le soumettre à une autre tyrannie, celle de la « dictature du relativisme ».
Et pendant qu’on se réjouira, non sans sérieux doutes, de voir tomber « l’idée de l’islam politique qui est à la source de toutes violences terroristes », comme le dit ce promoteur de l’amitié américano-saoudienne, c’est en effet un « nouvel éveil » qui se profile, dans la droite ligne des Lumières qui ne tolèrent pas les religions qui se disent vraies – qu’elles le soient, d’ailleurs, ou non.