Le gouvernement Starmer lâche la souveraineté britannique sur Chagos : la Chine grande gagnante ?

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L’archipel de Chagos, perdu au milieu de l’Océan Indien et abritant une base militaire américaine sur sa plus grande île, Diego Garcia, vient d’être transférée sous souveraineté mauricienne, comme le réclamait l’Assemblée générale des Nations unies depuis 2017 après consultation de la Cour internationale de justice. Il s’agissait de la dernière possession britannique dans cette région du monde, et il a été cédé au lointain voisin (l’île Maurice se trouve à près de 2.500 kilomètres à vol d’oiseau ; l’Inde est plus proche) par le biais d’un accord dont tous les termes ne sont pas publics. Côté britannique, c’est une décision exécutive prise par le gouvernement travailliste de Keir Starmer qui, à peine arrivé au pouvoir, a chargé le Foreign Office de reprendre des négociations entreprises par les conservateurs mais abandonnées il y a neuf mois en raison des liens très amicaux de l’ïle Maurice avec la Chine. A peine quarante minutes après que la décision a été rendue publique, le 3 octobre, un communiqué de Joe Biden assurait qu’il s’agissait là d’une démonstration de l’efficacité de la diplomatie et de l’esprit du « partenariat ». Il était suivi quelques heures plus tard d’un communiqué similaire du Secrétaire d’Etat, Anthony Blinken. Il est vrai qu’aux termes de l’accord, les Etats-Unis se voient reconnaître « l’autorité d’exercer les droits souverains de l’Île Maurice au regard de Diego Garcia ».

Un bail de 99 ans a ainsi été promis aux US, avec option de renouvellement. Commentaire du Telegraph de Londres : vu que l’Île Maurice s’était engagée en 1965 à ne plus émettre de revendications territoriales sur Chagos, et qu’elle a rompu sa promesse 17 ans plus tard, on ne sait trop ce que vaut cette concession pour la base américaine. Surtout à l’heure où l’Île Maurice vient – en 2021 – de conclure un accord de libre-échange avec la Chine, le tout premier à lier le géant communiste avec un pays africain.

 

Sans crier gare, Starmer abandonne la souveraineté britannique sur Chagos

Keir Starmer et les siens assurent avoir obtenu toutes les garanties nécessaires pour l’allié américain. Alors, fermez le ban ? Pour de nombreux conservateurs britanniques il ne saurait en être question, tant les îles Chagos constituent bien plus qu’une poussière d’empire : c’est un lieu stratégique abandonné sans que rien n’y obligeât le Royaume-Uni, au nom plutôt du « réalisme progressiste » revendiqué par le ministre des Affaires étrangères David Lammy alors qu’il était encore dans l’opposition.

Il y a du wokisme dans la décision subite de lâcher l’archipel Chagos, dont la Cour internationale de justice a jugé qu’il avait été à tort exclu du processus de décolonisation de l’Île Maurice, sous contrôle britannique jusqu’en 1968. L’histoire de l’archipel, sous contrôle britannique depuis 1814 (et la défaite de Napoléon) après avoir été français, a été certes douloureuse, puisque le seul atoll habité, Diego Garcia, avait été vidé de ses occupants il y a soixante ans pour pouvoir y établir la base américaine. Mais les Chagossiens déplacés (ils sont nombreux à vivre au Royaume-Uni aujourd’hui) sont furieux de voir que les négociations concernant leurs terres se soient faites sans leur consentement et sans même les avoir consultés.

Mais aussi pendant les vacances parlementaires, ce qui a conduit le parti conservateur à annoncer des « questions au gouvernement » dès que la chambre des communes se réunira de nouveau.

Quant au Royaume-Uni, il y perd du prestige et de la crédibilité, sans compter la confiance rompue quant à ses autres possessions d’outre-mer : les îles Malouines et Gibraltar sont deux territoires que l’Argentine et l’Espagne lui disputent depuis fort longtemps. Sur place, les autorités britanniques se disent sans inquiétude dans la mesure où les populations locales ont exprimé leur volonté de rester sous la souveraineté de Sa Majesté, mais le ministre argentin des Affaires étrangères, Diana Mondino, promet déjà des « actions concrètes » pour voir les « Falklands » remis à Buenos Aires. Et puis, que vaut la volonté des peuples ? Dans l’affaire de Chagos, c’est l’analyse onusienne et celle de la CIJ qui ont emporté le morceau, sans coup férir, et c’est sans doute là la grande leçon de cette cession de souveraineté, dont les responsables soulignent évidemment le caractère pacifique au détriment de toute considération géostratégique.

 

Farage accuse Starmer : « Pékin sera enchanté »

Nigel Farage, leader de Reform UK, a critiqué l’initiative dont le Premier ministre britannique assume l’entière responsabilité en déclarant : « Nos alliés américains vont être furieux tandis que Pékin sera enchanté. »

Andrew Mitchell, ministre des Affaires étrangères du cabinet fantôme conservateur, a pour sa part déclaré que l’accord conclu par les travaillistes n’a rien à voir avec les pourparlers qui avaient certes été engagés par le Royaume-Uni sous Liz Truss, mais vite avortés. Il a en particulier critiqué les clauses financières dont la teneur exacte reste inconnue, même si les travaillistes ont offert une sorte de dot au territoire le plus riche de l’Océan Indien, en promettant à l’Île Maurice un soutien financier dont le montant n’a pas été révélé. Il serait question d’un « paiement annuel indexé ».

« Nous devons savoir quelle protection existe contre l’empiètement chinois dans l’archipel, nous devons savoir quel argent sera fourni par le contribuable britannique. Nous devons examiner les conditions du bail. (…) Nous devons faire tout cela, et le bon endroit pour le faire est la Chambre des communes », a-t-il déclaré.

 

La souveraineté britannique sur Chagos, un enjeu géostratégique

L’éditorialiste Charles Moore pense également que Xi Jinping « se frotte les mains de satisfaction », et il accuse Sir Keir et son ministre des Affaires étrangères d’avoir posé un geste pour la galerie alors que l’état du monde demande une attention autrement plus urgente, alors que « la Chine, la Russie et l’Iran (sans oublier cette chère petite Corée du Nord) coopèrent en matière d’armement, de missiles, de cybersécurité, de propagande, d’action politique dans des institutions internationales comme l’ONU, et bien d’autres choses encore ». « La plupart du temps, ils coopèrent contre nous », ajoute-t-il. Et tout cela à l’heure où la Chine joue fortement sur les tableaux de la propagande et de l’influence.

Le minuscule territoire chagossien, abandonné sans doute en tant que vestige indu de l’ère coloniale, a pourtant une forte importance en tant qu’étape et garant de sûreté des routes maritimes, observe Moore : « Alors que la Grande-Bretagne l’a oublié, la Chine l’a appris. Lorsqu’elle cherche à présenter son histoire comme pacifique, la Chine aime à souligner qu’elle n’a jamais eu d’empire maritime. Elle en a certainement un aujourd’hui. Son initiative de la “Route de la Soie” en constitue une tentative à l’échelle mondiale. La Grande-Bretagne peut penser qu’elle n’a que faire de l’île Maurice et des îles Chagos, mais la Chine comprend parfaitement l’intérêt de disposer d’avant-postes de part et d’autre des océans. »

Et il y a la question des ressources, notamment dans la zone économique exclusive…

Que l’exécutif américain ait salué officiellement le « deal » britannique avec l’Île Maurice ne veut pas dire, enfin, que celui-ci soit approuvé en privé. Selon PanamPost, des responsables américains craignent la mise en place de points d’espionnage chinois autour de la base militaire US, d’autant que les liens se multiplient entre la Chine et l’Île Maurice où l’on compte déjà, aujourd’hui, 47 initiatives de financement du développement mises en place par Pékin.

 

Et si la Chine veut faire de l’espionnage à Chagos ?

La journaliste Oriana Rivas commente :

« En 2018, le dictateur Xi Jinping a rencontré le Premier ministre mauricien Pravind Jugnauth lors d’un voyage dans la capitale, Port Louis. Trois ans plus tard, un accord de libre-échange est entré en vigueur, le premier entre la Chine et un Etat africain. Les deux pays se sont mis d’accord sur des droits de douane nuls sur plus de 94 % de leurs produits respectifs. Parmi les financements, 260 millions de dollars sont destinés à la construction d’un terminal à l’aéroport international Sir Seewoosagur Ramgoolam et à la réparation du théâtre Plaza à Rose-Hill. Il s’agit de prêts sans intérêts.

« Le géant asiatique parvient toujours à approcher les nations sous-développées avec un langage séduisant et une aide prétendument désintéressée. Pékin garantit des alliés et ceux-ci leur ouvrent la porte avec des millions d’investissements. Un scénario familier qui continue d’inquiéter Washington et qui jette un doute sur la “décolonisation” vantée par le Premier ministre mauricien. »

Les colonisateurs ont simplement changé d’identité.

 

Anne Dolhein