On ne sait pas encore combien de morts a causé le cyclone Chido. A Mayotte, l’ampleur des dégâts ni ses conséquences ne sont évaluées (l’état de « calamité naturelle exceptionnelle » vient d’être décrété), le président de la République est à peine arrivé sur cette île de l’Océan indien, mais la classe politique se déchire en France métropolitaine : image saisissante d’une certaine incapacité à saisir la réalité, les élus de la Nation, qui, sur place, sont tous d’accord pour classer l’immigration parmi les pires fléaux qui frappent Mayotte et aggravent la catastrophe en cours, en France, l’extrême gauche écologiste, LFI et communiste ne songe qu’à faire un procès politique à Bruno Retailleau, coupable à ses yeux d’avoir mis le doigt sur la question. Cette île lointaine se révèle le barycentre des contradictions du petit milieu parisien qui gouverne.
Mayotte a fait le choix de la France, pas les Comores
Comme l’a souligné un député LR de Mayotte, Mansour Kamardine, le nœud des contradictions qui touchent l’île aujourd’hui s’est noué en 1974 : alors que l’archipel des Comores tout proche se prononçaient pour l’indépendance par referendum, Mayotte votait à ce même referendum pour le maintien dans la France d’Outre-Mer (et confirmait ce choix deux ans plus tard par un second referendum). C’est le fait fondateur qui rend les habitants des Comores comoriens et ceux de Mayotte français. Il a eu lieu douze ans après l’indépendance de l’Algérie. Une partie de la droite, dont l’Action française de Pierre Pujo qui milita fidèlement pour Mayotte, s’est alors réjouie de ce choix. La marine aussi : Diego Suarez à Madagascar lui échappant, elle retrouvait une belle rade en eau profonde pour surveiller l’océan Indien. La nostalgie de la France de Suffren, ses comptoirs, Maurice, Madagascar, ses naturelles coiffées du madras joua aussi, et la garde du deuxième domaine maritime du monde. D’autant que les Antilles françaises, départements français depuis 1946, faisaient alors un choix analogue mais tacite : à la différence de leurs homologues anglaises, elles renonçaient à demander leur indépendance.
Qu’est-ce que la France ? Le Pen et l’extrême-droite pas d’accord !
Aujourd’hui, Marine Le Pen a fait un tabac à toutes les dernières élections à Mayotte alors que l’extrême-droite (le Parti de la France en particulier) veut se débarrasser de l’île parce qu’elle n’est pas française selon elle : on y parle peu français, elle n’est pas d’histoire et de tradition chrétienne et l’on n’y trouve pas de communauté descendant de la puissance colonisatrice. Or, c’est aussi, sans qu’elle mène pour lui à la même conclusion, l’argumentation du communiste Fabien Roussel. Voilà une contradiction politique de taille. Une phrase du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a mis le feu aux poudres et déclenché l’indignation vertueuse de toute l’extrême gauche : « On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire. » Deux mots revenaient dans toute les bouches, « honte », et « obsession ».
Les communistes d’accord avec l’extrême-droite sur Mayotte
Devant ce tollé, Retailleau en a remis une couche. Il semble que la principale fonction du ministre démissionnaire, conformément à la maxime de Jean-Pierre Chevènement naguère (« un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ») soit devenue d’ouvrir sa bouche comme saint Jean Chrysostome : « On sait très bien qu’il y a une politique comorienne qui consiste finalement à laisser partir. (…) Il y a une forme, le mot est sans doute trop fort de guerre hybride si j’ose dire, en poussant des populations vers Mayotte pour susciter une sorte d’occupation clandestine. » Et d’ajouter qu’il fallait « être beaucoup plus dur vis-à-vis des Comores » pour empêcher cette invasion d’étrangers. Cela a provoqué la colère de Fabien Roussel, qu’on puisse considérer comme « étrangers » les immigrés clandestins présents à Mayotte, (100.000 ou 200.000, on n’en sait rien). Le secrétaire général du PC a tenté de renvoyer Retailleau à ses études : « Il ne connaît rien au sujet. »
Roussel défend une conception raciale et religieuse du peuple
Et il a expliqué : Ce « ne sont pas des étrangers et ce ne sont pas des immigrés ». Estimant que ces Comoriens viennent pour la plupart de la grande île d’Anjouan (sur de frêles esquifs, les Kwassa-Kwassa qui furent l’occasion de la première gaffe en 2017 de Macron tout fraîchement élu président), il affirme : « Ces Anjouanais font partie du peuple comorien, c’est un seul et même peuple, ils parlent la même langue, ils ont la même couleur de peau, ils ont la même culture, ils sont tous musulmans. (…) C’est le même peuple, ils vivent ensemble. » Il est intéressant de voir ainsi le patron du PC partager l’opinion de celui du Parti de la France. On voit par-là que, pour les communistes « raisonnables » (ainsi M. Roussel aime-t-il à se présenter), la couleur de la peau, la religion, et l’identité ethnique (« le même peuple ») l’emportent sur la nationalité, simple bout de papier. Cela peut se défendre et rejoint la conviction de l’extrême-droite et d’une partie de la droite, mais se trouve en contradiction avec la gauche républicaine qui juge la chose « essentialiste ».
Outre-mer, chassés croisés et contradictions sont la règle, à droite et à gauche
A vrai dire, ce n’est pas tout à fait une nouveauté outre-mer. La Nouvelle-Calédonie, avec le projet de réforme constitutionnelle sur l’assiette des scrutins, a provoqué un chassé-croisé et une contradiction majeure analogues : la droite était pour la loi de la République, le droit du sol et la décision de la majorité, la gauche pour le droit du premier occupant et la sauvegarde de l’identité. Derrière cette contradiction s’en cache une autre, qui trouve sa source dans l’histoire. Celle-ci ne semble pas donner raison à Fabien Roussel. Le peuple des Antilles existe bien, fruit du premier empire colonial, construit de François Ier à Louis XVI, et d’un brassage entre les anciens esclaves importés d’Afrique et divers colonisateurs, avec bientôt quatre siècles de présence de la France. On y est chrétien et l’on y parle français ou un créole inspiré du français. Mayotte a une histoire différente, qui la sépare des Comores. Elle n’a été achetée par Louis Philippe qu’en 1841, au sultan de l’île, Andraintsoly, en échange de sa protection contre ses voisins des Comores : celles-ci n’ont bénéficié du protectorat de la France qu’à partir de 1886, sous la République, où elles furent placées sous l’autorité du gouverneur de Mayotte.
Les chatouilleuses politiques favorables à la France
Elles le supportaient mal et en 1958 le siège de l’administration fut transféré à Moroni : Mayotte milita dès lors pour son rattachement définitif à la France (mouvement dit des « chatouilleuses ») qui aboutit au referendum de 1974. Les propos de Fabien Roussel n’ont donc de sens que dans une pensée où la race et la communauté religieuse au sens sociologique du terme prévalent. Les peuples de Mayotte et des Comores se sont séparés. Que l’orgueil y ait joué un rôle, l’intérêt aussi, c’est possible, mais le fait est là. Il est déterminant à Mayotte. Nicolas Sarkozy l’a consacré en faisant de l’île un département (et une région) en 2009. Il répondait ainsi à une demande locale parue dès les années soixante, mais ne résolvait rien. D’un côté la départementalisation d’un territoire d’Outre-mer ne garantit pas son maintien dans la France, on l’a vu avec l’Algérie. De l’autre, il ne pare ni aux difficultés économiques ni à la menace énorme de l’immigration : en 2022 Mayotte comptait 310.000 habitants pour 376 kilomètres carrés, contre 212.000 en 2012 – époque où elle était déjà considérablement envahie. On doit donc reconnaître qu’entre un tiers et la moitié des habitants présents à Mayotte sont des immigrés clandestins d’implantation récente.
Mayotte, prétexte aux délires politiques de l’extrême-gauche
Cela a bien sûr une incidence considérable et catastrophique sur l’île, sa santé, sa prospérité, sa sécurité. Le petit paradis de naguère, planté de girofle et d’ylang-ylang, qui subsistait encore avant le tournant du siècle, a disparu. Si Mayotte est couverte de bidonvilles et remplie de sans-abri, l’immigration en est la cause. Si Mayotte manque d’eau, c’en est la cause principale. En outre, selon notre confrère Marianne, les masses de clandestins peuplant les bidonvilles auraient cru, quand les autorités ont annoncé le cyclone Chido, à une ruse pour les regrouper et les recenser, et ont préféré, pour échapper aux gendarmes, s’exposer à l’ouragan. Face à cette réalité, l’extrême-gauche dans toutes ses composantes (LFI, écologistes, communistes) s’est posée en professeur de morale pour virer Retailleau du futur gouvernement Bayrou et imposer sur les ondes et dans le débat politique deux de ses thèmes de propagande préférés : l’injustice climatique et la ségrégation sociale et raciale due au « colonialisme ».
Derrière leurs contradictions, la réalité de la France à Mayotte
Il est assez amusant d’entendre Sandrine Rousseau dénoncer le « fait colonial » et le « racisme » imputables à la France selon elle, après la déclaration de Fabien Roussel. Mais il est encore plus intéressant d’écouter le maire écologiste de Grenoble Eric Piolle et Mathilde Panot de LFI montrer du doigt le « sous-investissement massif de l’Etat », qui serait la cause principale de la catastrophe. Or, de quoi parle-t-on ? De 2011 (après la départementalisation) à 2019 (avant le Covid), le PIB de Mayotte a augmenté de 7,5 % par an, un chiffre dont la métropole n’aurait pas osé rêver. Le secteur public y tenait une grosse part (60 % du PIB). La « consommation des administrations publiques » y était de 5.800 euros par habitant, soit moins qu’en Métropole (8.300), mais en hausse marquée depuis la départementalisation. Il n’y a donc pas de « sous-investissement massif », mais une montée en puissance des dépenses publiques qui coûtent cher à la France et dont l’effet est dilué dans la masse des immigrés clandestins. Là aussi, on retrouve la principale cause politique des conséquences catastrophiques du cyclone Chido. Pour faire pleurer Margot, et insister sur la responsabilité de la France, l’extrême-gauche en chœur insiste sur un chiffre : 77 % de la population de Mayotte vivrait sous le « seuil d’extrême pauvreté ». Ne chipotons pas cette donnée, tout en notant qu’elle aussi découle de l’immigration, qui détourne les dépenses de la France, et notons au passage une réponse de Mathilde Panot à Apolline de Malherbe : selon elle le niveau de vie serait malgré cela « 9 fois plus élevé » à Mayotte qu’aux Comores, ce que l’on veut bien croire et qui justifierait selon elle, qui rendrait inéluctable, l’invasion de Mayotte par les Comores.
Quand les extrêmes-gauches accumulent les contradictions
Voilà une information intéressante. D’une part elle suppose, elle affirme, même, que la cause de l’immigration massive que subissent les pays (relativement) riches est une immigration de subsistance, de prédation, une immigration intéressée. Ce qui est en contradiction avec le discours de la gauche en métropole. De l’autre, elle donne pleinement raison à Bruno Retailleau sur l’« occupation clandestine » de Mayotte par les Comoriens. Quel que soit le statut juridique des papiers d’identité, la faim va continuer à attirer les Comoriens à Mayotte. Ce qui est en contradiction totale avec l’invitation faite à l’Etat à rattraper son prétendu retard d’investissement à Mayotte, rattrapage qui ne ferait qu’accroître l’invasion comorienne et rendre encore moins solubles les questions de survie posées à l’île.
Une catastrophe « prévisible » dans le discours révolutionnaire
Un dernier nid de contradictions gît dans l’argumentation qui lie le climat à la catastrophe de Mayotte. Tant Piolle que Panot et Rousseau ont estimé que la France est responsable de l’effroyable catastrophe nommée Chido parce qu’avec les autres pays riches elle a causé le réchauffement climatique qui lui-même a engendré Chido. Piolle a été le plus revendicatif et moralisateur, intimant aux riches d’aider les pauvres qui sont « les plus touchés » et n’ont « aucune responsabilité » (reprenant ainsi l’antienne de la récente COP29), et Rousseau la plus mirobolante : pour elle, le cyclone était « prévisible » (sic !) parce que le « réchauffement climatique » rend les phénomènes extrêmes « de plus en plus fréquents et intenses ». Or, nos lecteurs savent qu’il n’en est rien, de sérieuses études le montrent. On voit ainsi que toutes les imprécations et revendications de l’extrême-gauche ne servent qu’un discours qui veut imposer la révolution en jouant sur l’affect.
Le barycentre, point d’équilibre et centre de gravité du système
Quant à la droite, ou prétendue telle, tout en observant la manœuvre, elle n’en dénonce pas les fondements. Tout le monde continue à croire, ou faire semblant de croire, au réchauffement du climat par l’homme, sans oser sortir de ses contradictions pour prendre la question à bras le corps. Reste que les paroles de Bruno Retailleau, sans doute à usage de la prochaine présidentielle et qui laissent prévoir sa prochaine éviction, servent quand même à mettre celle-ci sur la table. La catastrophe de Mayotte aura au moins servi à cela, et à manifester au grand jour les nombreuses contradictions de tous les courants politiques sans exception. C’est pourquoi j’ai choisi le mot barycentre, car, son nom l’indique, il est, au centre de ces tensions, leur point d’équilibre, et de plus son étymologie exprime le poids, la pesanteur, dans le système dont il est le barycentre.