Marine Le Pen a appris la mort de son père dans l’avion qui la ramenait de Mayotte, et n’a pas voulu annuler l’entretien qu’elle devait donner au JDD, malgré le deuil : les deux sujets, la mort de son « papa » et la situation dans l’île du canal de Mozambique qui a choisi la France voilà cinquante ans, se mêlent dans sa première déclaration politique et personnelle d’orpheline et d’héritière du Rassemblement national. S’y dessine de façon frappante une façon de concevoir la France et la politique très proche de celle de son premier mentor. Comme lui elle oppose la « vérité officielle » à la « réalité du terrain » (il opposait « version médiatique » et « vérité immédiatique »), préférant sa relation personnelle, prolongée, avec les habitants, aux bilans transmis aux ministères. De même voit-elle dans la catastrophe provoquée par l’immigration à Mayotte une préfiguration des menaces qui pèsent sur la métropole, dont l’île de l’Océan Indien devient ainsi le microcosme. Une conviction qui tranche sur l’optimisme verbal du pouvoir.
Le Pen dénonce une opération « Potemkine » à Mayotte
Pour Marine Le Pen, les visites de MM. Macron, Bayrou et Valls, quelles que soient leurs « bonnes intentions, relèvent de l’illusion ». Elle a utilisé le mot « village Potemkine », du nom du favori de la tsarine Catherine II qui lui faisait visiter des décors idylliques pour l’intoxiquer sur la réalité de l’empire. Marine Le Pen, à Mayotte dont elle est une familière (on l’y appelle Mariama), a choisi de visiter le terrain, où ni l’eau courante, ni l’eau potable, ni le chlore pour désinfecter, ni l’électricité n’étaient rétablis. Autrement, dit-elle, « je n’aurais jamais pu mesurer, depuis la métropole, avec les informations qu’on me donnait, la gravité de la situation que j’ai constatée sur place ». Et cette réalité, c’est une nouvelle géographie de Mayotte : « Chido, en shimahorais, signifie “miroir”. Et c’est exactement ça. L’île a été comme passée sous un chalumeau géant. Toute la végétation a été rasée, ce qui a révélé une réalité jusque-là dissimulée : Mayotte est mitée de bidonvilles, partout. Avant, ces bidonvilles étaient cachés par la végétation. Maintenant, on voit l’ampleur du problème. »
Coller à la réalité du terrain contre le microcosme politique
Cette description est significative : Marine Le Pen tient de son père une mentalité plus proche de celle du reporter que de l’homme politique traditionnel, ce qui ne la retient pas de tirer de ses observations des conclusions terribles : « Cela nous ramène au grand mensonge concernant Mayotte : le nombre réel de personnes présentes sur l’île. Cela fait des années que j’alerte sur ce sujet. Il y a au moins 500.000 habitants, probablement plus, mais les services publics continuent d’affirmer qu’il y en a 320.000. Or, on ne mène pas les mêmes politiques publiques si l’on pense qu’il y a 320.000 personnes ou 500 à 600.000. Aujourd’hui, la situation à Mayotte est catastrophique. »
La vérité : Mayotte entre immigration, pillages et survie
Elle confirme aussi les premiers reportages à Mayotte sur les bidonvilles qui sont déjà presque entièrement reconstruits : « J’ajoute un point crucial : avec la chute des arbres – arbres à pain, cocotiers, etc. – qui constituaient une base de nourriture pour les clandestins, en dix jours, il n’y avait plus rien de consommable. Que se passe-t-il alors ? On assiste à une flambée de pillages, qui touche une population déjà démunie. Les pillages visent à récupérer de quoi manger, des biens d’usage courant, ou des matériaux à revendre pour survivre. » Et elle livre brut le témoignage d’un petit entrepreneur qui lui a raconté : « J’avais 12.000 poules dans un grand hangar en tôle. Chido a pris toute la tôle et a tué 8.000 de mes poules. Dans les trois jours qui ont suivi, les 4.000 autres ont été volées. Puis les clandestins sont revenus, masqués et armés, pour démonter la charpente et l’utiliser pour reconstruire les bidonvilles. » En prime, ils ont déplacé la limite des propriétés et lui ont rabioté cinq mètres. Il s’agit aussi « d’une véritable lutte territoriale ».
En France, la caste politique fuit la vérité
La question de fond, pour Marine Le Pen, c’est le mensonge administratif et politique, du plus bas au plus haut niveau, le déni général. Interrogée sur Emmanuel Macron, elle répond : « Je ne suis même pas sûre qu’il mente. Je crois qu’il répercute simplement les mensonges qu’on lui transmet. Car tout le monde ment. Le problème, c’est que personne ne cherche la vérité. » Et ce n’est pas un hasard si ce déni se retrouve partout : « Reconnaître la réalité de l’immigration clandestine, c’est accepter la responsabilité de cette situation, ce que les politiques refusent de faire. Et surtout, cela les confronterait immédiatement à la question suivante : “Qu’allez-vous faire ?” Or, ils ne veulent pas qu’on leur pose cette question. » Pourtant, la catastrophe de Mayotte, aussi terrible soit-elle, pourrait être l’occasion de « comprendre que Mayotte, c’est notre futur. Les mécanismes en cours là-bas sont extrêmement révélateurs et méritent d’être analysés ». Faute d’analyser ce microcosme de la France souffrante qui s’étale sous leurs yeux, politiques et médias continuent à ne rien comprendre non plus à ce qui se passe en métropole.
Pour Mayotte la France doit durcir sa politique envers les Comores
La chronique signée par Retailleau, Valls et Lecornu réclamant plus de « fermeté migratoire » ne changera rien car les mesurettes qu’ils préconisent sont « dérisoires face à la gravité de la situation ». Il faut d’urgence que la Marine nationale intercepte « les kwassa-kwassa » qui transportent les clandestins venus des Comores pour « stopper ce flot permanent ». Et que, par la voie diplomatique on organise la rémigration de ceux qui sont à Mayotte : « Les Comores doivent comprendre que si elles ne reprennent pas leurs ressortissants, il n’y aura plus un centime d’aide, plus un visa, même pour leurs dirigeants. Il faut aller plus loin : envisager des déchéances de nationalité pour les dirigeants comoriens ayant la double nationalité et examiner les biens qu’ils détiennent en France. » Enfin, surtout, pour l’avenir, il faut arrêter les pompes aspirantes : « Couper tout ce qui rend Mayotte attractive. Comprenez bien : même ruinée, dévastée, détruite, Mayotte continue d’attirer les clandestins. Dès le lendemain du cyclone, les kwassa-kwassa recommençaient à arriver. Donc la question est claire : qu’est-ce qui les fait venir ? Ce n’est pas l’opulence de Mayotte, mais la perspective de la nationalité. Voilà le problème : la régularisation, la naissance sur le territoire, la naturalisation. Il faut couper ces trois points. »
Mayotte est le microcosme où la France lit son avenir
Marine Le Pen répète ces évidences héritées de son père sans effet de voix, et pour elle « ces mesures devraient s’appliquer à l’ensemble du pays, pas seulement à Mayotte ». Car le microcosme mahorais est, de ce point de vue, un laboratoire du déclin ou du sursaut français. Et aujourd’hui les citoyens français de Mayotte ont le même ressenti que les citoyens de France métropolitaine. Le gouvernement mène avec les bidonvilles et les clandestins la même politique de la ville qu’il mène depuis Bernard Tapie dans les quartiers abusivement qualifiés de « populaires ». Et Marine Le Pen explique : « Le sentiment des Mahorais, que je me dois de rapporter, est clair : l’ensemble des aides mises en œuvre a été concentré sur les bidonvilles, car les pouvoirs publics considèrent leurs habitants comme les plus démunis. Cela crée un sentiment d’injustice terrible parmi les Mahorais. » Alors, des possibilités de développement, gaz, agriculture, tourisme, existent là-bas, dont nul ne sait si Marine Le Pen, chouchoute électorale du lieu, saurait les mettre en œuvre. Mais, reprenant la méthode de son père dans ses meilleurs moments, elle a entrepris de dire tout haut ce dont le système politico-médiatique hésite à parler tout bas. Espérons que la France en fera un meilleur (et plus prompt) usage qu’elle n’en a fait des vaticinations du voyant de la Trinité.