Aux Pays-Bas, en Belgique, au Canada et en Espagne, il est possible de donner ses organes après son euthanasie : ce qui fait déjà se mélanger deux actes diamétralement opposés et suscite, même chez les pro-euthanasie, nombre de questionnements éthiques. Mais il fallait s’attendre à ce que le dossier avance encore d’un pas : pourquoi pas avant ? Pourquoi ne pas prélever les organes des patients avant qu’ils soient euthanasiés, c’est-à-dire encore vivants, se demandent des médecins canadiens ? Le fait que la personne soit vivante augmente considérablement la chance de conservation et de transplantation des organes. Et, après tout, argumentent-ils, cela ne changera rien à l’état final du patient qui voulait mourir et qui mourra…
Dans un monde aussi gangrené par la culture de mort et l’utilitarisme, il est logique qu’une telle suggestion survienne. Mais la différence est majeure, puisque c’est alors en raison du prélèvement d’organes que la mort adviendra. On prend une vie pour en faire continuer une autre – de quel droit ? On imagine tous les débordements possibles.
L’euthanasie aux prises avec le prélèvement d’organes : une suite logique
C’est le site en ligne conservateur The Federalist qui l’a rapporté le 8 janvier : les défenseurs de la liberté médicale à tout crin sont en train de lier ad nauseam « l’aide médicale à mourir » (AMM) et le prélèvement d’organes.
D’abord parce que c’est un formidable vivier d’organes disponible et facile d’accès : depuis que le Canada a légalisé l’euthanasie en 2016, le nombre de Canadiens ayant recours à l’AMM pour se suicider a considérablement augmenté, le critère de la mort « raisonnablement prévisible » ayant sauté ; et au Québec par exemple, où les médecins sont tenus d’informer les personnes requérant l’euthanasie qu’elles peuvent aussi donner leur organes, ces dernières ont fini par représenter 14 % de tous les donneurs d’organes en 2022, selon une étude du Canadian Medical Association Journal.
Cela intéresse aussi les partisans de telles récoltes parce que les organes seraient au meilleur de leur « fraîcheur » s’ils pouvaient être prélevés avant l’euthanasie, car le sang et l’oxygène continueraient de circuler dans les organes vitaux jusqu’au moment du prélèvement, sans qu’on attende les fameuses 5 minutes imposée après l’arrêt de la circulation sanguine (arrêt cardiaque) pour déclarer la personne décédée.
Pour ce faire, les « patients » seraient transportés, « en toute connaissance de cause » nous dit-on, vers une salle d’opération, endormis sous anesthésie générale et leurs organes, y compris le cœur et les poumons, seraient retirés. La mort suivrait l’ablation du cœur battant. L’acte de don d’organes lui-même serait donc la raison du décès – et non une injection mortelle ou une dose de barbituriques prescrite par un médecin qui mettrait fin à la vie.
« La règle du donneur décédé est-elle vraiment pertinente ? » (Rob Sibbald)
Lors d’un Forum sur les soins intensifs au Canada en novembre 2018, un certain Rob Sibbald qui codirige l’unité canadienne du réseau international de la chaire UNESCO de « bioéthique » – ce qui en dit long sur la corruption intellectuelle de telles institution – avait déclaré tout de go : « La meilleure utilisation de mes organes, si je dois bénéficier d’une mort médicalement assistée, pourrait ne pas être de me tuer d’abord puis de récupérer mes organes, mais de faire en sorte que mon mode de mort – tel que nous considérons médicalement la mort aujourd’hui – soit de récupérer mes organes. »
D’autres médecins canadiens ont publiquement adopté ce qu’ils appellent hypocritement la « mort par don ». Certains se protègent même derrière « le pur altruisme » supposé des malades, comme le note cette étude de 2021, qui voudraient donner sûrement autant d’organes que possible, dans les meilleures conditions possibles ! Belle aubaine pour masquer l’atteinte grave portée à la vie…
Seulement demeurent deux entraves à cette terrifique perspective, au Canada : « la règle du donneur décédé » qui est la norme éthique et juridique selon laquelle le prélèvement d’organes vitaux ne peut être la cause du décès d’un donneur et ne peut donc avoir lieu qu’après le décès de celui-ci. Le prélèvement d’organes sur des patients encore vivants nécessiterait également une modification du Code criminel du Canada, qui définit l’aide médicale à mourir comme l’administration d’une « substance » par un prestataire qualifié : tuer un patient en prélevant ses organes ne serait pas qualifié d’AMM.
Mais pour Rob Sibbald, il faut remettre tout cela en question. Selon The Federalist, l’« éthicien » a semblé sous-entendre que les médecins devraient prendre cette décision eux-mêmes, en demandant pardon plutôt qu’une permission… les tribunaux finiraient bien par trancher en faveur des médecins !
Tuer des patients contribuera-t-il à financer le système de santé public du Canada ?
En tout logique dénuée de toute morale, ce serait une réponse formidable à la pénurie d’organes qui sévit partout et en particulier au Canada, où, en décembre 2022, plus de 3.700 patients étaient en attente d’une transplantation… A l’échelle de l’Europe, on estimait à 150.000 le nombre de patients en attente de greffe en 2022, et 19 personnes y sont mortes chaque jour de cette même année, faute d’en avoir obtenu une. Les progrès de la science permettant d’autant plus, chaque jour davantage, cette pratique, l’enjeu financier est évidemment considérable.
On imagine donc les pressions potentielles, alors qu’il y en déjà tant dans ces pays qui ont lié euthanasie et prélèvement d’organes. Un handicapé, Roger Foley, racontait au Federalist qu’à quatre reprises, on l’avait pressé d’accepter l’euthanasie : pour lui, l’AMM est une pratique nécessairement « glissante ». Une autre femme, handicapée, résumait : « Ils nous refusent littéralement des soins de santé et nous offrent l’AMM à la place. » Même le groupe de défense des libertés civiles qui a été à l’origine de la dépénalisation de l’AMM au Canada s’inquiète, rapportait le National Post le 19 décembre dernier !
On se dirige réellement vers l’élimination systématisée des faibles, des malades, des personnes âgées et vulnérables. Mais que sera-ce quand le prélèvement d’organes sera rendu possible sur des êtres encore vivants ? Il s’ensuivrait une nouvelle définition de la mort : un peu comme le fœtus, de par le droit à l’avortement, ne doit son existence en tant qu’être humain qu’au projet parental, l’état de mort du « malade » dans le cadre de l’AMM ne devrait plus sa réalité qu’à un projet : bien que vivant, il est déjà mort parce qu’on a choisi de ne pas le réanimer. Autant donc s’en servir.