François Bayrou ayant pour premier objectif de rester au pouvoir, l’équilibrisme politique le guide forcément : son budget doit complaire à Bruxelles, au centre macronien, à la droite étatiste, tout en évitant la censure du PS et du RN. D’où une réduction des dépenses de pure apparence et une forte hausse d’impôts incluant une surtaxe des bénéfices des grandes entreprises. Bernard Arnaud, PDG de LVMH, a protesté. Selon lui, « pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ». Patrick Martin, président du MEDEF, lui a donné raison, et il n’est pas le seul, alors que, côté syndical, on a jugé ses paroles « indécentes ». Mais les uns n’ont pas semblé remettre en cause que cette surtaxe va dans le sens de la justice sociale, et les autres que la délocalisation serait une conséquence malheureuse de la politique fiscale et budgétaire, un dommage collatéral en somme. Or le problème est de ce fait très mal posé : la justice sociale n’est pas de surtaxer « les riches ». Quant aux délocalisations et à la désindustrialisation, elles ne sont pas un malheureux effet secondaire du budget français ou de la politique européenne, elles en sont le but.
Surcoût de l’énergie, charges géantes, surtaxe des bénéfices
En présentant les résultats en baisse de son groupe de luxe, LVMH, Bernard Arnault a dit : « Je reviens des USA et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays. Les impôts vont descendre à 15 %, les ateliers sont subventionnés dans une série d’Etats et le président encourage ça. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide. On voit qu’on s’apprête à augmenter de 40 % les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est incroyable. C’est la taxation du made in France. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! Je ne sais pas si c’est vraiment l’objectif du gouvernement, mais en tout cas il va l’atteindre s’il arrive au bout de ses plans. » Quelques jours plus tôt, Florent Menegaux, patron de Michelin, avait expliqué dans son audition au Sénat, avec des données simples, pourquoi l’Europe perd sa compétitivité : le coût de l’énergie y a quasi doublé en cinq ans quand il demeurait stable en Asie, et les charges salariales sont plus élevées de 80 % en France qu’au Canada. Ainsi la France ne représente-t-elle plus pour Michelin que 9 % du chiffre d’affaires mais 16 % des effectifs et des prélèvements fiscaux. Plus grave, la part de l’industrie était de 24 % dans le PIB français en 1980, avant Mitterrand, elle n’est plus aujourd’hui que de 11 %. Les grands patrons ont donc raison de dire que les surtaxes d’inspiration socialiste sont mauvaises pour l’activité économique.
Un discours politique et syndical lunaire sur le budget
A l’inverse, le discours de la gauche et des syndicats est lunaire. En jugeant « indécente » la déclaration de Bernard Arnault, Marylise Léon, patronne de la CFDT, se place sur le plan moral, comme si c’était le particulier qui refusait de participer à l’effort commun, et non le patron qui s’inquiétait de l’incidence d’une surtaxe des bénéfices sur la santé de ses entreprises. Avec toujours l’idée sous-jacente que la justice sociale, la « solidarité », consiste à « faire payer les riches ». Or, cela, c’est l’envie sociale. La justice sociale, elle, consiste à ce que chaque Français puisse vivre décemment de son travail (enfants, malades, et retraités exclus), ce qui suppose une économie qui tourne. C’est à dire une économie libérée de ses sur-normes, de ses surtaxes, de ses sur-redistributions, en somme de son socialisme. Si un gouvernement, quel que soit son chef et sa couleur, disait, on va supprimer la paperasserie, baisser les dépenses, supprimer les subventions inutiles ou nocives, réformer vraiment les retraites, abandonner la transition énergétique qui ruine entreprises et particuliers, et nettoyer l’immigration qui plombe la France, on vous demande en échange un coup de collier pour remettre les finances d’aplomb, le problème ainsi posé trouverait aisément une solution.
Le suicide économique, une politique systématique
Mais Bayrou a choisi la voie inverse. Ne toucher à rien ou presque, faire de la politique pour se maintenir. Dans ses rêves les plus fous, si le budget est adopté et qu’il est appliqué avec un plein succès (!), le déficit sera de 5, 6 %, ce qui veut dire que la dette s’accroitra, sans amélioration économique ni financière. Et cette dette énorme, à l’origine de tout le tintouin actuel, elle n’est pas venue de nulle part. Elle a été patiemment accumulée pour servir de fardeau fondateur au futur Etat européen. De même, les délocalisations et la désindustrialisation que les grands patrons présentent comme un effet indésirable d’une politique aveugle ont-elles été, elles aussi, sciemment provoquées. Patrick Martin, président du MEDEF, invoquant la « rationalité économique » estime que « ceux qui peuvent partir partent et ils ont raison ». Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies songe à transférer la cotation principale de son groupe à la bourse de New York. Quant à Laurent Wauquiez, il affirme qu’« on est en train de tuer l’activité économique dans notre pays, (…) on a le risque d’un suicide économique en Europe ».
Pourquoi le problème est-il posé maintenant ?
Sans aucun doute. Mais les budgets qu’il a votés, ou qu’il n’a pas censurés, depuis des années tendent à ce but. En particulier, la surtaxe sur les grandes entreprises prévue par le budget Bayrou figurait déjà dans le budget Barnier. Et c’est à bon droit que le ministre des Finances Eric Lombard s’étonne de la grogne des patrons : « Nous avons repris le texte de Michel Barnier. Pourquoi cette fronde ne s’est-elle pas exprimée au moment où le texte a été présenté ? » On ne saurait mieux dire que le budget projeté reprend les recettes étatistes, dirigistes et socialistes d’une classe politique française championne des prélèvements obligatoires, des dépenses publiques et des redistributions en tout genre. Cette politique est constante, volontaire, et se tient tant à l’échelon national qu’européen et mondial.
La politique verte moyen de transfert des richesses
Le niveau des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques de l’Europe unie ne cesse de s’élever depuis sa fondation. De même la dette publique dans le monde a-t-elle bondi depuis cinquante ans. Et les dépenses énormes causées par la lutte pour sauver la terre (transition énergétique) ou préserver les humains des pandémies (grippes aviaires, Ebola, SARS divers, COVID et « quoi qu’il en coûte ») sont le principal moteur de cette révolution économique. Ottmar Edenhofer, ancien coprésident du GIEC, ponte de l’Institut d’études environnementales Potsdam, annonçait dès 2010 : « Nous devons nous affranchir de l’illusion selon laquelle la politique internationale sur le climat est une politique environnementale. Cela n’a quasiment plus rien à voir avec une politique de l’environnement concernant des problèmes comme la déforestation ou le trou de la couche d’ozone. Nous redistribuons de facto la richesse mondiale par la politique climatique. »
Bien poser le problème pour comprendre la révolution
Et la diplomate costaricienne Christiana Figueres, patronne du PNUED, qui a préparé l’accord de Paris sur le climat, déclarait au sommet sur l’environnement à Doha en 2012 : « Il faut comprendre que ce qui se produit ici, non seulement à Doha mais dans le processus global du changement climatique, est une transformation complète de la structure économique mondiale. » Elle précisait : « Nous influençons les gouvernements, le secteur privé et la société civile pour réaliser la plus grande transformation jamais entreprise. La Révolution industrielle transforma également le monde, mais elle n’était pas guidée selon une perspective centralisée. Il s’agit ici d’une transformation centralisée parce que les gouvernements ont décidé d’écouter la science. C’est donc une transformation très, très différente, qui va considérablement modifier la vie de chacun sur la planète. »
La surtaxe des bénéfices entre dans une politique globale
Voilà qui ne souffre pas la moindre ambiguïté. Annoncée officiellement, confirmée à la fois par l’action des gouvernements européens et par les déclarations étonnées de notre actuel ministre des Finances, cette volonté de la caste dirigeante internationale est un peu contrecarrée par l’élection de Donald Trump : c’est parce qu’il revient des Etats-Unis que Bernard Arnault fait aujourd’hui les déclarations qu’il ne faisait pas hier. Mais ni lui ni le reste du grand patronat ne pose clairement le problème. Faisons lui crédit de ses intentions, qu’il n’envisage pas de délocaliser l’industrie du luxe, qu’il ait voulu mettre en garde Bayrou contre « des mesures contre-productives », imaginons que le Premier ministre fasse partiellement machine arrière. Cela sauvera (peut-être et momentanément) tel secteur mais ne modifiera pas la tendance : si les individus riches et les grosses entreprises le demeureront en s’adaptant, les pays riches s’appauvriront et les pauvres s’enrichiront. Cette redistribution permettra à la gouvernance mondiale de mieux les asservir. Les uns n’auront plus les moyens de leur souveraineté, les autres la rage de se révolter.