Quel contraste ! Oui, quel contraste entre la messe d’obsèques du pape François et celle de n’importe quelle messe des funérailles selon le rite latin traditionnel… Et celle d’un pape, alors ! Le contraste est visuel bien sûr, il suffit de regarder quelque vidéo des obsèques de Pie XII en 1958 – et de l’extraordinaire procession à travers Rome qui la précéda, pour voir à quel point les cérémonies catholiques des funérailles pontificales ont été vidées de leur solennité. Mais au-delà de cette pompe abandonnée, et même rejetée, qu’on peut regretter ou pas, le choix de la « simplification » de la messe elle-même révèle en cette occasion l’immensité de la perte subie.
Comment ne pas faire la comparaison avec la terrible mais si consolante liturgie des défunts selon le rite traditionnel ?
En suivant pas à pas la messe d’enterrement du pape François samedi matin, je me suis dit que les messes traditionnelles solennelles célébrées pour les obsèques de mon père et ma belle-mère, la première dans un petit village breton, la seconde dans une grosse paroisse parisienne, furent autrement plus belles. Plus viriles. Plus riches. Plus apaisantes, aussi.
La messe des funérailles du pape François sans le Dies irae
Ornements, chants grégoriens, prières et gestes partageaient une commune sacralité qui est propre au rite tridentin – tant combattu et honni sous ou plutôt par le pontificat qui vient de s’achever.
Certes, la messe des obsèques du pape François fut une cérémonie digne, célébrée en latin (mais pas avec le canon romain qui est le plus proche de celui la messe traditionnelle, comme ce fut le cas pour Jean-Paul II), sans les inventions que l’on constate si souvent dans les messes « réformées » selon la liturgie de l’après-concile Vatican 2. Mais il y fut très peu question du pardon des péchés de cet homme confié à la miséricorde divine, pas même dans les oraisons propres (il était encore présent dans l’une des oraisons de la messe pour Jean-Paul II). Et l’alléluia retentit, puisqu’il n’est plus omis dans les messes des défunts du nouveau rite : tout un symbole.
Pour le pape François, on n’aura pas chanté le splendide et terrible Dies irae, tout de colère et de cendres, de malédiction et de feu éternel, de jugement et de supplication, et qui s’achève pourtant sur cet appel réconfortant au doux Jésus : Pie Jesu Domine, dona eis requiem. « Que tant de peine ne soit pas inutile », proclame la magnifique séquence de Thomas de Celano, rappelant que le Christ a été crucifié pour nous arracher à la damnation éternelle : n’aurions-nous donc plus besoin des mérites de sa Passion pour obtenir la grâce du salut, puisqu’on ne chante plus le châtiment et le pardon ?
L’impression qui se dégageait des funérailles du pape, pour tout habitué des obsèques traditionnelles, était finalement la platitude, une certaine banalité, comme si on avait gommé tout ce que la mort a d’alarmant, et le jugement de redoutable. Disparue aussi, la grandeur infinie de la miséricorde divine, dévaluée par cette même banalité.
On a pourtant chanté le si consolant In paradisum (« Que les anges vous emmènent au paradis, qu’à votre arrivée les martyrs vous accueillent et qu’ils vous introduisent dans la cité sainte… ») mais sans le Dies irae, ne perd-il pas de sa force ?
Le pape François, santo subito ?
Au demeurant, dans son homélie, le cardinal Re, tout en rappelant que le pape François a toujours demandé qu’on priât pour lui, et au terme de louanges appuyées, lança cette invitation : « Cher Pape François, nous te demandons maintenant de prier pour nous et que, du ciel, tu bénisses l’Eglise, bénisses Rome, bénisses le monde entier. » Santo subito.
Pauvre François. C’est justement de nos prières qu’il a besoin, comme tout homme au seuil de l’éternité.
C’est finalement la prière de supplication de la liturgie des défunts inchangée de rite byzantin qui, une fois la messe achevée, a rappelé cette dimension de crainte et de confiance qui jadis, et magnifiquement, irriguait aussi les obsèques selon le rite latin traditionnel. Chantée par le patriarche grec-catholique melkite Joseph Absi, elle implore « Dieu, ami des hommes » de pardonner les péchés de son serviteur, car « nul vivant n’est sans péché ; vous seul êtes sans péché, votre justice est éternelle et votre parole est vérité » (ici, à partir de 2 h 18 mn).
Et voilà que me reviennent en mémoire les mots que nous dit un défunt prêtre melkite, qui venait d’assister aux obsèques d’un confrère dans le rite rénové de Paul VI : « C’est une liturgie qui tue les vivants. »
Oui, une liturgie pauvre : l’« Eglise des pauvres » a bradé sa richesse qui était d’abord pour Dieu, mais aussi pour ses enfants que sont tous les baptisés.
Requiescat in pace.