Poutine s’apprête à fêter le « Jour de la Victoire » sous l’ombre de Staline

 

Un « Reichstag » grandeur nature, des drapeaux soviétiques et des invités de choix, venant de tous les coins communistes, crypto-communistes ou anciennement communistes du globe : telle sera la célébration à Moscou du « Jour de la Victoire » le vendredi 9 mai, qui s’annonce fortement axée sur l’affirmation de la puissance militaire… même si la Russie de Poutine est en guerre avec l’Ukraine qu’elle a envahie il y a plus de trois ans, sans avoir pu ou voulu emporter. De Xi Jinping au Cubain castriste Miguel Díaz-Canel, le gratin « rouge » vient commémorer le 80e anniversaire de la victoire sur le nazisme.

Et une vérité, on peut le dire sans craindre de se tromper, ne sera pas dite : « Le communisme tuait avant que le nazisme ne tue, il tuait pendant que le nazisme tuait, et il n’a cessé de tuer alors que le nazisme ne tuait plus. »

La phrase est de Soljénitsyne, mais il est clair que Vladimir Poutine préfère recouvrir cette réalité sanglante d’un manteau discret pour mieux assumer l’héritage de Staline. Il est vrai que Poutine avait boudé les fêtes des 100 ans de la Révolution d’Octobre en 2017, allant même jusqu’à dire qu’il n’y avait rien à célébrer, déclarant devant des universitaires : « Nous constatons à quel point les résultats sont équivoques, combien les conséquences, négatives et positives, sont entremêlées. N’aurait-il pas été possible de suivre une évolution progressive plutôt que d’en passer par une révolution ? Ne pouvions-nous pas aller de l’avant de façon graduelle et continue plutôt qu’au prix de la destruction de notre Etat et de la perte de millions de vies humaines ? » Mais Staline, ça passe. Poutine aussi est un roi du « en même temps ».

 

Pour le Jour de la Victoire, on rejoue la prise du Reichstag

La réplique du Parlement allemand conçue pour servir de décor à un son et lumière qui se jouera pendant tout le mois de mai dans un parc d’attractions moscovite, puis à un film patriotique dont le tournage démarrera ensuite, permettra de revivre sa prise par les troupes soviétiques en 1945 et le moment où le drapeau rouge a flotté sur le bâtiment entouré de gravats, portant les stigmates d’innombrables coups de feu et encerclé d’une trentaine de véhicules militaires, le tout reconstitué d’après des photographies d’époque. Le but de l’opération : « créer un environnement de réalisme, d’immersion complète », a expliqué le directeur du projet, Igor Ugolnikov.

La prise du Reichstag sert depuis longtemps d’icône du patriotisme russe face auquel l’ennemi est d’une certaine manière forcément nazi. C’est l’accusation aujourd’hui brandie face à l’Ukraine… On dit que les médias proches du Kremlin expliquent volontiers le soutien de l’Europe à cette dernière par l’« amertume » qui la ronge d’avoir « perdu » la Seconde Guerre mondiale…

C’est en tout cas une nouvelle occasion pour la Russie de passer sous silence le pacte Molotov-von Ribbentrop par lequel l’Union soviétique s’était sans état d’âme alliée avec l’Allemagne hitlérienne.

 

Poutine, la mémoire de Staline et l’objectif Eurasie

Pour le reste, les alliances de l’URSS de jadis se retrouveront en la personne des invités au Défilé de la Victoire, vendredi prochain. Xi Jinping, déjà nommé, est à la tête du plus grand pays ouvertement communiste au monde. Comme l’écrivait Alexandre Douguine il y a un mois, envisageant le changement intervenu du fait de l’élection de Trump :

« Il est temps de commencer à parler sérieusement de la redistribution des zones d’influence et des intérêts des Etats-civilisations souverains. Et, soit dit en passant, tous ces Etats ont beaucoup plus de points communs que de différences. Il ne s’agit donc clairement pas d’échanger une alliance avec la Chine contre une alliance avec l’Amérique. Ceux qui supposent naïvement cela ne comprennent ni Poutine ni Xi Jinping.

« Nous ne pouvons donc pas être en désaccord avec la Chine ; nous avons des valeurs communes, des intérêts communs et une stratégie commune : la Grande Eurasie. Tout cela n’est sujet à aucun échange, n’est pas à vendre, tout comme notre Victoire et nos intérêts nationaux ne sont pas à vendre… Trump a encore beaucoup à comprendre sur le monde multipolaire. Nous et la Chine vivons dans ce monde, nous l’avons créé et nous le construisons. »

C’est bien au nom de ce monde multipolaire et comme ses représentants qu’afflueront à Moscou, ces jours-ci des leaders de pays historiquement proches de la Russie, en tout cas au temps de l’URSS : Miguel Díaz-Canel, nous l’avons dit, mais encore Alexandre Loukachenko, qui dirige son Etat-frère, la Biélorussie ; et aussi le président chaviste du Venezuela, Nicolás Maduro, qui a si bien contribué à renforcer la misère socialiste dans son pays…

 

Le Défilé de la Victoire alors que l’enlisement en Ukraine continue

Luiz Inácio Lula da Silva fait le voyage depuis le Brésil. Viendront aussi les chefs d’Etat ou représentants du Burkina Faso, de l’Azerbaïdjan, de la Palestine, du Tadjikistan, du Turkménistan, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de l’Ouzbékistan et de l’Arménie (pas rancunière). Et celui du Vietnam, ce dernier pays ayant envoyé un groupe de 80 officiers et soldats, présents sur le sol russe depuis le 24 avril pour s’entraîner sept jours sur sept en vue de participer au défilé militaire du 9 mai.

Du côté européen, le président serbe Alexandre Vučić et le Premier ministre slovaque Robert Fico feront aussi le voyage.

Badra Gounba, président de la république de l’Abkhazie – république qui s’est séparée de la Géorgie en 1992 et qui n’est guère reconnue que par la Russie, le Nicaragua, le Venezuela, Nauru, les Tuvalu, le Vanuatu et (jusqu’à plus ample informé) la Syrie – aura aussi sa place de chef d’Etat lors des festivités. Tout comme Milorad Dodik, président de la Républika Srpska, entité serbe de la Bosnie-Herzégovine qui s’apprête à quitter la fédération bosniaque sous contrôle de 55 pays garants des accords de paix de Dayton de 1995 qui avaient partitionné cette ex-république fédérale yougoslave – Dodik est toujours le bienvenu en Russie.

De son côté, le président hongrois Viktor Orban a décidé de ne pas faire le voyage de Moscou. « Cela n’aurait aucun sens que la Hongrie participe à ces célébrations, et ce même si les pays d’Europe occidentale devaient maintenir de bonnes relations avec la Russie, puisque la fin de la Seconde Guerre mondiale a supposé pour elle une dure défaite », a-t-il expliqué.

Défaite qui s’est soldée, en 1949, par la mise en place d’une république populaire dirigée par un Hongrois, certes, mais stalinien convaincu : Matyas Rakosi avait entamé la soviétisation du pays dès 1945. La Hongrie, au moins, se souvient de ce que la victoire soviétique n’a pas été une victoire pour ceux que les accords de Yalta (ou plutôt d’autres, antérieurs) a jeté dans les bras du communisme.

 

Jeanne Smits