Vote de confiance de Bayrou : tous en scène pour la grande comédie

 

Après avoir esquissé brièvement son projet de budget 2026 en juillet et constaté durant les vacances que ses principales dispositions déplaisaient aux Français de toute condition et de tout âge, et aux divers partis politiques, le Premier ministre François Bayrou a décidé d’engager la responsabilité du gouvernement en demandant la confiance de l’Assemblée nationale par un vote le 8 septembre. Il la présente comme nécessaire pour résoudre la « question centrale » de « la maîtrise de nos finances ». Bien sûr, LFI, les écologistes et le Rassemblement national voteront contre pour écarter un projet qui provoquerait la « souffrance » du peuple. Le Parti socialiste quant à lui, après avoir hésité, juge par la voix d’Olivier Faure « inimaginable » de voter la confiance. Voilà qui semble indiquer l’échec de François Bayrou, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, évoquant l’hypothèse d’une « dissolution » de l’Assemblée. En somme, sur la scène du théâtre politique, chacun joue la comédie : Bayrou celle de la dignité du dirigeant impopulaire attaché à réduire la dette face aux démagogues ; l’opposition la plus visible celle du courage face à un budget dangereux. Mais la réalité est moins simple : chacun n’a que son intérêt politique en tête.

 

Bayrou joue la comédie du Commandeur de la Dette

Voyons d’abord Bayrou. Ses ministres jugent sa demande de confiance « courageuse » et « démocratique ». Même Jean-Luc Mélenchon la trouve « digne ». Le Premier ministre a donc réussi à se construire l’image qu’il souhaitait. En parlant de choses sérieuses qui intéressent tous les Français. Lors de sa conférence de presse, il a parlé surtout du « danger immédiat » que fait peser sur la France sa dette : « Les sommes que nous devons rembourser chaque année ont inexorablement augmenté dans l’indifférence générale. (…) La charge de la dette va devenir cette année le budget le plus important de la Nation. (…) Et ça va croître chaque année. » Mieux, il a rappelé que les partis au pouvoir depuis des décennies ont choisi une mauvaise dette : « Il aurait pu y avoir une dette utile. (…) Nous n’avons pas choisi l’investissement mais pour l’essentiel pendant des décennies les dépenses courantes. » Et d’en détailler quelques-unes : « Cette dette colossale a été année après année consommée en dépenses courantes et protection de nos concitoyens. Je pense au covid, aux retraités pour quelques 600 milliards, aux consommateurs en TVA réduites, aux fonctionnaires en salaires, aux assurés sociaux massivement, aux entreprises en baisses de charges. »

 

Malgré sa mise en scène il a prouvé sa confiance dans le système

Arrêtons-nous un instant sur cette liste, car les choses qui y figurent et celles qui n’y figurent pas établissent clairement que la pose prise par Bayrou, à la Mendès-France, l’homme d’Etat qui fait son devoir même quand c’est impopulaire, n’est qu’une comédie. Pour plusieurs raisons. D’abord, mettre sur le même pied le paiement des retraites (qui ne dépendent pas de l’Etat et sont dues par contrat) avec la dépense arbitraire (« quoi qu’il en coûte ») liée à un exercice national et international d’ingénierie sociale est une absurdité et une malhonnêteté. Ensuite, les baisses de charges aux entreprises ne sont pas à proprement parler des dépenses mais un manque à gagner qui, judicieusement réparti, pourrait être un investissement. Ensuite encore, une grande, une immense absente figure dans l’énumération de Bayrou, l’immigration, qui coûte, de toutes les manières, « un pognon de dingue » à la France. Enfin, le projet de budget qu’il a esquissé en juillet est à la fois provocateur et inutile : provocateur, par exemple, par la suppression ridicule et mal perçue de deux jours de congé, inutile parce que, s’il coupe dans les revenus des Français et alourdit leurs impôts, il ne tape pas où il faudrait, les dépenses de l’Etat, les subventions nocives, et la charge de l’immigration-invasion. On peut ajouter que le Premier ministre a soutenu Macron sans discontinuer et a participé constamment au système qui a creusé la dette. Autrement dit, Bayrou joue la comédie de la rigueur mais continue la politique de l’arc-en-ciel.

 

Aucune confiance dans la scène du héro incompris

C’est pourquoi on peut donner raison à Marine Tondelier, patronne des écolos, pour qui Bayrou veut « partir en héros incompris » et « cette demande d’un vote de confiance, c’est une démission ». Il ne veut pas subir la lente agonie du gouvernement Barnier l’an dernier, suspendu aux motions de censure, préférant s’en aller en beauté. Et Thomas Ménagé, député RN, peut assurer : « Sauf surprise, on sait que c’est plié. » Mais jetons un œil sur la surprise envisagée. Le RN, LFI, ECOS et l’UDR pèsent tous ensemble 259 voix, il en manque 19 pour atteindre la majorité absolue. Mais il a des absences possibles, des rhumes de cerveaux, des taxis ratés. De l’autre côté, EPR, DR, DEM, HOR totalisent 210 voix. Et si l’on fait l’addition de LIOT, GDR et des Non-inscrits, cela donne 51 voix. Or, du côté de la majorité présidentielle, on appelle au « dialogue » sur le texte proposé, et la méthode, d’ici au 8 septembre. On peut penser que les tractations vont être chaudes et un vote serré n’est nullement à exclure. Tout dépendra en fait du Parti socialiste. Or, si le chef du groupe à l’Assemblée, Boris Vallaud, a annoncé un vote contre la confiance, le patron du PS, Olivier Faure dit seulement qu’il n’y aura pas de vote « pour ». C’est tout différent.

 

Le vote Bayrou : ceux qui craindront de perdre

Voyons maintenant les partis un par un pour comprendre leur position et leur vote éventuel. LIOT, groupe hétérogène et clientéliste, GDR, autre groupe hétérogène et clientéliste dominé par le PC, les Non-inscrits, et le PS, ont tous bénéficié lors des élections législatives de 2024, de la consigne dite « républicaine » de faire barrage au RN. Or, ni Retailleau, ni Wauquiez, qui visent la présidentielle de 2027, ne peuvent se permettre aujourd’hui de réitérer cette consigne. Donc, les groupes susdits, même si la gauche y domine, n’ont pas intérêt à la dissolution. Le PC risque en particulier d’y perdre l’un des derniers piliers de son pouvoir, son groupe politique. Le groupe ECOS risque lui aussi de perdre des plumes, mais il doit écarter Bayrou dont le budget, c’est sa seule vertu, sacrifie moins au délire écologiste que celui de Michel Barnier naguère. Et il passera sans doute, pour sauver les meubles, accord avec LFI de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier, habitué des motions de censure, entend profiter de la colère populaire qu’il a nourrie en soutenant le blocage du 10 septembre et tente de la porter au rouge en demandant la destitution d’Emmanuel Macron, personnage qui attise la rage des Français. Il espère être le grand gagnant de l’épisode et peut-être même la relative « diabolisation » qu’il vient de subir jouera-t-elle en sa faveur, les plus machiavéliques craignant que toute la séquence mise en scène depuis la dissolution de 2024 n’ait eu pour effet que la mise en orbite de l’extrême gauche comme principal opposant. 

 

Le vote va refléter la confiance de chacun dans ses propres intérêts

On peut donc avoir le 8 septembre, après palabres républicaines, un vote beaucoup plus équilibré qu’on ne croit entre le grand rassemblement des carpes et des lapins modérés unis par leur intérêt électoral contre les exagérés de tout poil unis par leurs ambitions. Le RN quant à lui paraît jouer sur le velours, car tout indique que, si dissolution il y avait, le barrage républicain qui l’entrave ne fonctionnerait pas, étant donne l’image négative qui discrédite LFI, même à gauche. D’ailleurs, sa position critique de ces derniers mois semble aussi la plus raisonnable, et pourrait entraîner l’adhésion, si ses contrepropositions de budget, à part le point central de l’immigration, n’étaient souvent fantaisistes et aussi dépensières que celles des autres acteurs en scène. C’est le point fort de la comédie de Bayrou : il pose les bonnes questions sans y donner de bonnes réponses, mais celles de ses opposants ne sont pas toujours meilleures.

 

Pauline Mille