La chanteuse Lady Gaga vous paraît peut-être présenter un intérêt limité, mais ce n’est pas l’avis d’innombrables jeunes fans – et moins jeunes – qui se massent dans ses concerts à travers le monde en déboursant au passage d’importantes sommes d’argent pour avoir ce privilège. Elle était ces derniers jours à Londres et arrive à Paris fin novembre pour quatre représentations qui seront donnés à guichets fermés à l’Accor Arena, à raison de quelque 40.000 spectateurs par soirée, pour des tarifs allant de 67 à 220 euros la place. Entre cela et la « merch » – les produits dérivés – une entreprise commerciale qui marche, mais sur fond d’imagerie et de références démoniaques.
Et c’est cela qui retient notre attention. Bien au-delà du clin d’œil, c’est tout un décor qui met l’enfer au premier plan. Les paroles des chansons – même les plus douces, non sans harmonie – semblent obsédées par la mort, le péché, la transgression, le contrôle de l’être humain depuis l’intérieur, la tentation. Garden of Eden voit Lady Gaga proposer, sans beaucoup d’ambiguïté, une relation sexuelle illicite, en promettant : « Je te promets de t’emmener au jardin de l’Eden… Pomme empoisonnée, prends-en une bouchée ! »
Lady Gaga et ses acolytes démoniaques
Se prendrait-elle pour le diable ? C’est fou tout de même, tous ces artistes qui gagnent des millions et qui choisissent des iconographies infernales en se déguisant en démons entourés de crânes, de cadavres et de zombies, comme le fait d’ailleurs Lady Gaga dans sa tournée en cours. A croire que c’est la clef du succès.
Et s’enchaînent des chansons comme Abracadabra où la mise en scène fait croire que l’artiste toute en rouge et en griffes chante au-dessus d’âmes damnées en cage, ou encore Bloody Mary, qui fait référence à Marie-Madeleine au pied de la Croix, avec de nombreuses références religieuses détournées. Tout cela s’entoure souvent d’un discours qui prétend montrer une lutte contre le mal. Mais visuellement, c’est bien lui qui est glorifié. Par rapport à ce que l’on pouvait voir sur les chaînes de musique il y a 20 ou 30 ans, et qui choquait déjà, on est passé dans une autre dimension. C’est d’autant plus frappant qu’aujourd’hui, il ne s’agit pas du tout de quelque chose de marginal, comme le montre la taille des audiences qu’attirent de tels spectacles. Parmi les chansons interprétées par Lady Gaga au cours de son Mayhem Ball Tour, bon nombre sont d’ailleurs devenues des hits qui s’infligent à vos oreilles dans toutes sortes d’environnements.
Le titre de la tournée est celui du dernier album sorti par la popstar au début de cette année, Mayhem. Cela veut dire en anglais quelque chose comme chaos ; à l’origine, à la fin du Moyen Age, c’était le crime qui consiste à estropier sa victime en la privant de l’usage d’un membre ou d’une partie du corps considérée nécessaire à la capacité de se battre. Le mot a donné le verbe anglais contemporain, « to maim », mutiler. Charmant !
Le Mayhem Ball Tour à guichets fermés à Paris
Le scénario du spectacle joue sur la classique opposition du bien et du mal. On a d’un côté Lady Gaga en rouge, représentant le mal et les ténèbres, de l’autre la même en blanc, supposément « angélique, blonde et innocente » comme s’en réjouit un critique du Telegraph qui a vu le spectacle à Londres. Pour mieux en appuyer le côté gnostique, la confrontation aboutit à une danse exécutée dans une réunion de ces deux forces qui s’opposent, sur fond d’harmonie symbolique : Lady Gaga la blanche dans les bras d’un danseur portant ses habits rouges.
Pourquoi ? En fait, c’est simple. Satan se prend pour l’égal de Dieu, et il faut donc bien les montrer sur le même plan.
« Nous avons eu droit à Gaga dansant dans un bac à sable avec des squelettes, rampant à travers l’œil d’un crâne géant et descendant une rivière de glace carbonique à bord d’une gondole. Des danseurs infernaux apparaissaient dans le public sous un globe oculaire flottant », approuve encore le critique du Telegraph visiblement épaté par la « virtuosité » de la mise en scène.
C’est donc cela, la culture populaire de ce premier quart du XXIe siècle ? Ce ne serait pas si grave si le fait d’appeler les démons, de les convoquer sur scène n’était pas si facilement suivi d’effet. Tous les exorcistes mettent en garde contre le fait d’ouvrir la porte à Satan, car celui-ci ne demande qu’à se faire inviter, promettant, en menteur qu’il est, monts et merveilles à celui qui fait commerce avec lui.
Et qui a tout à y perdre.