Le sénateur Durbin, pro-avortement, renonce au prix que devait lui remettre le cardinal Cupich. Sous l’impulsion de Léon XIV ?

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Cela fait maintenant plusieurs semaines que les médias catholiques américains conservateurs s’émeuvent de la décision du cardinal Blase Cupich de Chicago d’accorder une récompense honorifique au sénateur démocrate Dick Durbin (Illinois), partisan de l’avortement. Mais voilà que ledit sénateur a clos le débat, en décidant de refuser le « Lifetime Achievement Award » qui lui était proposé à l’occasion d’une célébration diocésaine le 5 novembre prochain baptisée « Keep Hope Alive » (« Garder vive l’espérance »). Fermez le ban ?

Cette affaire soulève de multiples questions, d’autant que Léon XIV est largement présenté depuis mardi comme ayant couvert la décision du cardinal Cupich d’honorer ce sénateur immigrationniste qui revendique sa foi catholique alors même qu’il la contredit à travers son engagement au cours de 40 ans d’activité politique, en faveur de l’avortement légal, après s’y être opposé, dans un premier temps, alors qu’il venait d’être élu en 1982 à la Chambre des Représentants. Durbin a aussitôt interprété cette déclaration comme un soutien effectif de Léon XIV à son égard.

 

Dick Durbin est favorable à l’avortement légal

Tout en se disant personnellement opposé à l’avortement, Durbin déclarait en 2005 avoir rapidement changé d’avis par rapport à son hostilité à la légalité de l’avortement, estimant que cette question relevait de la femme et de ses proches ainsi que de son médecin, et devait rester sur le plan de la conscience individuelle. Après le renversement de la décision Roe v. Wade, qui avait légalisé l’avortement au niveau fédéral, le même sénateur a plusieurs fois déclaré qu’il continuerait de travailler afin d’établir de manière légale le droit des femmes de faire leurs propres « choix reproductifs ».

Au cours de ces derniers quinze jours, une dizaine d’évêques américains, parmi lesquels 8 en exercice, ont, de manière peu habituelle au sein de la hiérarchie catholique, publiquement dénoncé le projet du cardinal archevêque de Chicago. Ce dernier, quant à lui, avait répété son intention de donner le prix au sénateur. Mgr Thomas Paprocki, évêque de Springfield, Illinois, avait ainsi dénoncé le « grave scandale » que causerait la remise du prix au sénateur.

C’est lors de sa visite hebdomadaire à Castel Gandolfo que le pape Léon XIV répondait mardi soir aux questions d’une journaliste d’EWTN, Valentina Di Donato, au sujet de l’initiative du cardinal. Sa réponse a été largement interprétée comme une approbation de la remise du prix honorifique à Dick Durbin, et ce malgré le fait que le Pape ait précisé qu’il n’était pas très au fait de la situation. Ce qui est clair, c’est qu’il n’a pas condamné purement et simplement l’idée qu’un prince de l’Eglise décide d’accorder une distinction pour l’ensemble de son œuvre, si l’on peut dire, à un homme politique connu pour son soutien à la légalité de l’avortement.

Cependant, sa réponse était ambiguë, relevant plutôt du refus de répondre.

 

La réponse de Léon XIV à une question sur Cupich

Voici in extenso ce qu’il a affirmé au débotté, comme on peut le voir dans cette vidéo mise en ligne par la journaliste :

« Je ne connais pas très bien ce cas particulier. Je pense qu’il est important d’examiner l’ensemble du travail accompli par un sénateur au cours de, si je ne me trompe pas, 40 ans de service au Sénat américain. Je comprends la difficulté et les tensions. Mais je pense, comme je l’ai déjà dit par le passé, qu’il est important d’examiner de nombreuses questions liées sur ce qu’est l’enseignement de l’Eglise.

« Quelqu’un qui dit être contre l’avortement mais en faveur de la peine de mort n’est pas vraiment pro-vie. Quelqu’un qui dit être contre l’avortement mais qui approuve le traitement inhumain des immigrants qui sont aux Etats-Unis, je ne sais pas si c’est pro-vie.

« Ce sont donc des questions très complexes. Je ne sais pas si quelqu’un détient toute la vérité à leur sujet, mais je demanderais avant tout qu’il y ait un plus grand respect mutuel et que nous cherchions ensemble, en tant qu’êtres humains et, dans ce cas, en tant que citoyens américains et citoyens de l’Etat de l’Illinois, ainsi qu’en tant que catholiques, à dire que nous devons être attentifs à toutes ces questions éthiques, et à trouver la voie à suivre en tant qu’Eglise. L’enseignement de l’Eglise sur chacune de ces questions est très clair. »

On notera d’abord que Léon XIV reprend à son compte la modification doctrinale, contraire à l’enseignement constant de l’Eglise, introduite par son prédécesseur François, qui a déclaré la peine de mort « inadmissible ». Le fait de contester que l’on puisse être « pro-vie » en étant favorable à la peine de mort est problématique.

 

Léon XIV relativise la question de l’avortement légal

Ensuite, Léon XIV dénonce « le traitement inhumain des immigrants » aux Etats-Unis, ce qui ne constitue pas en soi et matériellement une condamnation de la déportation des illégaux comme on a pu le lire ici ou là, ni même une critique de la manière dont les USA traitent généralement ou légalement les clandestins, mais bien un refus de « traitements inhumains », qui de fait ne seraient pas acceptables par définition. Il se trouve justement que le sénateur Dick Durbin est connu pour son soutien aux clandestins ; il a ainsi participé tout récemment à une initiative dénonçant des déportations illégales ou visant des immigrés qui n’ont jamais été condamnés pour un quelconque délit, lors d’opérations « massives » et « indiscriminées ».

Mais alors que le pape indique que les opposants à l’avortement devraient être au clair sur ces chapitres, il suggère aussi qu’il ne suffit pas de s’opposer à certaines politiques en cours si l’on soutient l’avortement légal, « l’enseignement de l’Eglise sur chacune de ces questions (étant) très clair ».

Que sa déclaration ait semé la confusion, qu’elle n’ait pas souligné la différence qu’il y a entre exécuter un coupable et à tuer un innocent, ou entre la maltraitance d’un clandestin et la mise à mort d’un enfant à naître, cela est manifeste. Objectivement, elle relativise la question de l’avortement.

Qu’il n’ait pas voulu contredire publiquement un cardinal n’est peut-être pas si étonnant alors qu’il cherche justement à rompre avec le style agressif du pontificat précédent.

D’aucuns se demandent aujourd’hui si la décision de Durbin de refuser le prix que Cupich insistait pour lui donner, à tel point qu’il était difficile d’espérer que ce dernier se dédise, n’ait pas fait pas justement suite à ce reproche en demi-teinte (trop) prudemment exprimé par le Pape. En tout cas l’objet même de la controverse a donc disparu.

 

Léon XIV et le Saint-Siège sont-ils intervenus contre le scandale ?

Selon The Pillar, généralement bien informé, la conférence des évêques des Etats-Unis (USCCB) a été inondée ces derniers jours de messages privés en provenance d’évêques, lui demandant de rappeler ses propres directives de 2004. Celles-ci affirment que « les institutions catholiques ne doivent pas honorer ceux qui agissent contrairement à nos principes moraux fondamentaux, et qu’ils ne doivent pas recevoir des prix, des honneurs, ou des invitations sur des plateformes laissant à penser que leurs actions soient soutenues ». Le média affirmait que certains responsables de l’USCCB envisageaient de publier un communiqué en ce sens, et citait des sources vaticanes et américaines affirmant que les responsables de l’USCCB avaient adressé une notification en ce sens à la nonciature apostolique à Washington.

The Pillar a déclaré, après le retrait de Durbin, que le nonce apostolique Christophe Pierre avait lui-même pressé Cupich de renoncer à la remise de prix. Vrai ou faux ? On sait combien l’Eglise sait être « discrète » en de telles matières sur le plan diplomatique. Mais cela voudrait dire que le Saint-Siège est bel et bien intervenu pour empêcher le scandale d’avoir lieu.

Mais même si le sénateur lui-même affirme ne pas avoir agi en réaction aux propos de Léon XIV, sa décision est intervenue cinq heures après ceux-ci, alors qu’il était peu probable que Cupich lui-même fasse marche arrière.

 

Jeanne Smits