Il y deux textes en un seul dans la Lettre apostolique In Unitate Fidei (« Dans l’unité de la foi ») publiée par Léon XIV à quelques jours de son voyage en Turquie et au Liban, où à partir de jeudi il célébrera les 1.700 ans du Concile de Nicée. Au cœur de ce document, un beau rappel sur le Credo focalise l’attention sur l’importance de l’exactitude de l’expression de la foi trinitaire. Mais en contre-point, il y cet appel à l’œcuménisme qui semble vouloir opérer une unification de la foi sur le fondement du symbole de Nicée, d’une manière à la fois peu précise et réductrice, car que faire alors de tous les développements de la doctrine et des dogmes proclamés par l’Eglise catholique ? Le pape la considère-t-il comme l’unique Eglise du Christ, celle en dehors de laquelle il n’y a point de salut ?
Il y a là un paradoxe, pour le moins, puisque justement le concile de Nicée, premier concile œcuménique de l’histoire convoqué par Constantin face aux progrès de la négation de la filiation divine de Jésus-Christ, consubstantiel au Père, avait pour objet de mettre en évidence et de combattre le rejet d’une part de la vérité qui exclut son auteur de la communion ecclésiale.
Léon XIV montre que « la profession de foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu » est « le cœur de la foi chrétienne ». Il rappelle longuement la mobilisation contre l’hérésie d’Arius, ce prêtre égyptien selon lequel « Jésus n’est pas vraiment le Fils de Dieu, bien qu’il ne soit pas une simple créature ; il serait un être intermédiaire entre le Dieu inaccessible et nous » ; il avait un temps, soutenait Arius, où le Fils « n’était pas ».
In unitate fidei de Léon XIV parle plus d’œcuménisme que de foi
« Mais Dieu n’abandonne pas son Eglise, il suscite toujours des hommes et des femmes courageux, des témoins de la foi et des pasteurs qui guident son peuple et lui indiquent le chemin de l’Evangile », commente Léon XIV, montrant comment le concile de Nicée procéda : « Pour exprimer la vérité de la foi, le Concile utilisa deux mots, “substance” (ousia) et “de la même substance” (homooúsios), qui ne se trouvent pas dans l’Ecriture. Ce faisant, il n’a pas voulu remplacer les affirmations bibliques par la philosophie grecque. Au contraire, le Concile utilisa ces termes pour affirmer clairement la foi biblique en la distinguant de l’erreur hellénisante d’Arius. L’accusation d’hellénisation ne s’applique donc pas aux Pères de Nicée, mais à la fausse doctrine d’Arius et de ses disciples. »
Et de rappeler l’exemple de saints comme Irénée de Lyon qui ont préparé l’expression de cette vérité sur le Christ, vrai Dieu et vrai homme, dont une fausse doctrine (le concile de Nicée s’en était aussi « éloigné »), affirmait qu’il avait pris un corps « comme une enveloppe extérieure » mais sans prendre l’« âme humaine dotée d’intelligence et de libre arbitre ». Léon XIV ajoute : « Le Fils de Dieu s’est fait homme – explique saint Athanase – afin que nous, les hommes, puissions être divinisés. »
On retiendra tout particulièrement ce passage d’In unitate fidei qui contredit le naturalisme omniprésent à notre époque : « La divinisation n’a rien à voir avec l’autodéification de l’homme. Au contraire, la divinisation nous préserve de la tentation primordiale de vouloir être comme Dieu (cf. Gn 3, 5). Ce que le Christ est par nature, nous le devenons par grâce. Par l’œuvre de la rédemption, Dieu a non seulement restauré notre dignité humaine comme image de Dieu, mais Celui qui nous a créés de manière merveilleuse nous a rendus participants, d’une manière plus admirable encore, de sa nature divine (cf. 2 P 1, 4). »
Léon XIV fait un lien entre œcuménisme et écologie
Mais il n’est guère question des péchés des hommes, de la rédemption qui se fait par l’Eglise catholique en dehors de laquelle il n’y a pas de salut car c’est uniquement par elle que les hommes peuvent être sauvés de la mort éternelle qui est le lot de notre nature déchue.
Au contraire, dans une certaine mesure la Lettre rend même l’Eglise responsable du manque d’unité, et non le rejet de la loi et de la vérité de Dieu : « Des guerres ont été menées, des personnes ont été tuées, persécutées et discriminées au nom de Dieu. Au lieu d’annoncer un Dieu miséricordieux, on a parlé d’un Dieu vengeur qui inspire la terreur et punit. »
Elle arrive même à faire un clin d’œil à Laudato si’ : « Dieu est-Il pour moi le Dieu vivant, proche dans chaque situation, le Père vers qui je me tourne avec une confiance filiale ? Est-il le Créateur à qui je dois tout ce que je suis et tout ce que j’ai, celui dont je peux trouver les traces dans chaque créature ? Suis-je disposé à partager les biens de la terre, qui appartiennent à tous, de manière juste et équitable ? Comment est-ce que je traite la création, qui est l’œuvre de ses mains ? Est-ce que j’en fais usage avec révérence et gratitude, ou est-ce que je l’exploite, la détruis, au lieu de la préserver et de la cultiver comme la maison commune de l’humanité ? »
Quel rapport avec l’œcuménisme ? Eh bien, l’écologie est considérée comme un moyen de convergence des chrétiens depuis un bon moment déjà…
Nicée comme facilitateur œcuménique
Et le concile de Nicée, dans la 12e section d’In unitate fidei, est présenté comme le grand facilitateur œcuménique.
Le baptême – qui imprime sa marque trinitaire dans l’âme de chaque chrétien dès lors qu’il est baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit en faisant ce que veut faire l’Eglise – est un mot clef de cette section :
« Même si la pleine unité visible avec les Eglises orthodoxes et orthodoxes orientales et avec les communautés ecclésiales issues de la Réforme ne nous a pas encore été donnée, le dialogue œcuménique nous a conduits, sur la base du baptême unique et du Credo de Nicée-Constantinople, à reconnaître nos frères et sœurs en Jésus-Christ dans les frères et sœurs des autres Eglises et communautés ecclésiales et à redécouvrir la communauté unique et universelle des disciples du Christ dans le monde entier. En effet, nous partageons la foi en un seul et unique Dieu, Père de tous les hommes, nous confessons ensemble l’unique Seigneur et vrai Fils de Dieu Jésus-Christ et l’unique Esprit-Saint. »
La Lettre poursuit, imaginant en quelque sorte une unité appuyée sur le symbole de Nicée :
« Dans un monde divisé et déchiré par nombre de conflits, l’unique Communauté chrétienne universelle peut être un signe de paix et un instrument de réconciliation, contribuant de manière décisive à un engagement mondial en faveur de la paix. »
Mais la foi n’est pas au service de la paix ici-bas ; mais du salut éternel. Certes In unitate fidei évoque alors le martyre de tant de chrétiens, témoignage sans équivoque de l’amour et de la fidélité au Christ et de la foi en la récompense du ciel : « Saint Jean-Paul II nous a rappelé en particulier le témoignage des nombreux martyrs chrétiens issus de toutes les Eglises et Communautés ecclésiales : leur mémoire nous unit et nous incite à être des témoins et des artisans de paix dans le monde. »
Léon XIV poursuit : « Nous devons marcher ensemble pour parvenir à l’unité et à la réconciliation entre tous les chrétiens. Le Credo de Nicée peut être la base et le critère de référence de ce cheminement. Il nous propose en effet un modèle de véritable unité dans la diversité légitime. Unité dans la Trinité, Trinité dans l’Unité, car l’unité sans multiplicité est tyrannie, la multiplicité sans unité est désagrégation. La dynamique trinitaire n’est pas dualiste, comme un aut-aut exclusif, mais un lien engageant, un et-et : le Saint-Esprit est le lien d’unité que nous adorons avec le Père et le Fils. »
Le vaticaniste Aldo Maria Valli commente : « Il s’agit là d’une profonde méconnaissance du mystère de la Trinité. La vie intérieure de Dieu n’est pas un modèle sociologique du pluralisme. L’unité de Dieu n’est pas “tyrannique”, et les Personnes divines ne servent pas de métaphore théologique pour équilibrer la diversité et l’autorité centralisée. La théologie classique limite strictement les analogies impliquant la Trinité afin d’éviter précisément ce type de réinterprétation symbolique ou politique. En invoquant la “dynamique” trinitaire pour justifier une ecclésiologie horizontale de la diversité, le texte compromet une fois de plus la clarté métaphysique et projette des préoccupations modernes sur le mystère divin. »
In unitate fidei et l’Eglise catholique
Aussitôt après ces paroles sur la « dynamique trinitaire », le pape poursuit ; sans préciser s’il parle de la doctrine de la Sainte Trinité ou d’autres vérités professées par les catholiques : « Nous devons donc laisser derrière nous les controverses théologiques qui ont perdu leur raison d’être pour acquérir une pensée commune et, plus encore, une prière commune au Saint-Esprit, afin qu’il nous rassemble tous dans une seule foi et un seul amour. » Ce flou sur ce qu’il nous faudrait « laisser derrière nous » et donc, logiquement, abandonner, est profondément gênant dans un texte de cette nature.
Pour arriver à cette unité, Léon XIV place son espoir en Dieu, et appelle : « Viens, Amour du Père et du Fils, pour nous rassembler dans l’unique troupeau du Christ. » Mais il compte aussi sur la « marche ensemble », le « cheminement » des chrétiens avec le Credo de Nicée comme une sorte de facilitateur : il « peut être la base et le critère de référence de ce cheminement » vers la « réconciliation entre tous les chrétiens », écrit le pape, assurant qu’il « nous propose en effet un modèle de véritable unité dans la diversité légitime ». Or justement, le concile de Nicée lui-même ne cherchait pas à ménager la diversité, mais à proclamer la vérité.
« Il s’agit d’un défi théologique et, plus encore, d’un défi spirituel, qui exige le repentir et la conversion de tous », conclut le pape. Or s’il est vrai que tout chrétien, pauvre pécheur, doit se repentir et a besoin de conversion, l’Eglise, elle, est sainte, et même « une, sainte, catholique et apostolique ». Quand elle accueille les Uniates qui acceptèrent le dogme sur le purgatoire et sur l’Esprit Saint, ou encore les Grecs Melkites dispensés au contraire de réciter le mot « Filioque » dans le Credo, elle décide en fonction de l’adhésion à la vérité et de ce qu’elle juge opportun.
Mais voilà belle lurette que tout cela est sous le boisseau. In unitate fidei s’inscrit dans cet oubli.
Comment « construire » l’« unité » avec des Eglises qui rejettent les dogmes eucharistiques, ou les dogmes mariaux, ou des disciplines sacramentelles (comme les Eglises orthodoxes qui autorisent le remariage) ? Sur le plus petit commun dénominateur de Nicée-Constantinople ? Les « pères conciliaires » de ce temps-là en auraient été tout ébaubis.











