Cardinal Manuel Fernandez : le titre « Marie Co-rédemptrice » n’est pas interdit dans la dévotion privée

Marie Co-rédemptrice dévotion privée
 

Ma consœur Diane Montagna, journaliste américaine accréditée auprès du Saint-Siège, a interpellé le cardinal Manuel Fernandez à la fin de sa conférence de presse sur le nouveau document du Dicastère pour la Doctrine de la foi, Una Caro, au sujet de la note précédente refusant à la Vierge Marie les titres de « Co-rédemptrice » et « Médiatrice de toutes grâces », jugés « toujours inopportun ». Au cours de leurs échanges, qu’elle rapporte intégralement, le cardinal a précisé qu’il n’est pas du tout interdit d’utiliser le titre « Marie Co-rédemptrice » pour la « dévotion privée », ce qui en toute logique veut dire qu’il n’est pas jugé faux, et même qu’il est exact (à condition de le comprendre selon les précisions de Mater Populi Fidelis : le cardinal parle du sens « traditionnel et subordonné » de l’expression. Elle ne doit plus être utilisée dans le cadre liturgique et officiel de l’Eglise, a-t-il précisé.

 

Le Cardinal Fernandez affirme qu’on peut honorer « Marie Co-rédemptrice » dans le cadre de la dévotion privée

Les commentaires de Diane Montagna et le dialogue qu’elle rappporte méritent d’être connus, puisqu’ils explicitent bien l’heureuse portée mais aussi les limites des déclarations du cardinal Fernandez ; je vous en propose donc ma traduction.

D’après les réponses du cardinal, il semblerait que la revendication du titre de Marie Co-rédemptrice demandée par les très douteuses apparitions de « Notre-Dame de tous les peuples » à Amsterdam et aujourd’hui répercutée par ses adeptes ait joué un rôle dans la publication de Mater Populi Fidelis, comme je l’avais subodoré en rédigeant mon article sur la note doctrinale. C’est bien sur ces phénomènes d’Amsterdam que le cardinal Ratzinger avait exprimé un « vote négatif ».

Ce texte de Diane Montagna a paru ici sur son compte Substack auquel il est possible de s’abonner pour soutenir son (remarquable) travail. – J.S.

 

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Le cardinal Fernández précise : « Co-rédemptrice » interdite dans les documents officiels du Vatican, autorisée dans la dévotion privée

 

ROME, 26 novembre 2025Trois semaines après que Mater Populi Fidelis a suscité un débat sur son affirmation selon laquelle le titre marial Co-redemptrice est « toujours inapproprié » [en français, “inopportun”], le préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi a précisé que cette phrase ne constituait pas un rejet catégorique du titre lui-même. Le cardinal a déclaré que le mot « toujours » s’applique uniquement à l’usage officiel de l’Eglise à partir de maintenant, et non à tous les contextes dans lesquels le titre pourrait être utilisé.

S’exprimant à la fin de la conférence de presse au Vatican mardi sur Una Caro, la nouvelle note doctrinale du DDF sur la monogamie, le cardinal Victor Manuel Fernández a déclaré que l’affirmation contenue dans MPF n° 22 – selon laquelle « il est toujours inopportun » d’utiliser le titre Co-rédemptrice pour définir la coopération de Marie – « n’a pas pour but de juger » les affirmations passées des saints, des docteurs et des papes, mais qu’« à partir de maintenant », il ne sera plus utilisé « ni dans la liturgie, c’est-à-dire dans les textes liturgiques, ni dans les documents officiels du Saint-Siège ».

Fernández a expliqué qu’à la suite de plusieurs décennies d’études théologiques – demandées initialement par Jean-Paul II et poursuivies par le cardinal Ratzinger – le Dicastère pour la Doctrine de la foi a conclu que ce titre ne devait plus apparaître dans les textes magistériels ou liturgiques, non pas parce que la doctrine qui le sous-tend a été rejetée, mais parce que le terme lui-même risque aujourd’hui d’être mal compris sur le plan pastoral. Il a fait valoir que Mater Populi Fidelis « conserve et explicite les aspects positifs » contenus dans le titre, à savoir « la coopération unique de Marie à l’œuvre de rédemption », affirmant que cette expression apparaît « 200 fois » dans le texte.

En réalité, l’expression « coopération unique » n’apparaît qu’une seule fois dans MPF ; le mot « unique » apparaît 29 fois, tandis que le terme analogue « singulier » apparaît six fois, y compris dans les notes de bas de page. En outre, les théologiens mariaux ont fait valoir que le problème principal de Mater Populi Fidelis est qu’il minimise et obscurcit la coopération active de Marie à l’œuvre de la Rédemption. En d’autres termes, la question n’est pas de savoir si le texte parle de la coopération unique de Marie, mais comment il exprime la nature de cette coopération.

Le cardinal Fernández a également souligné que la nouvelle restriction concernant le titre de « Co-rédemptrice » s’applique uniquement au langage officiel de l’Eglise. Les fidèles qui comprennent le sens traditionnel et clairement subordonné de ce terme ne sont pas invités à l’abandonner dans leur dévotion privée ou dans leurs discussions éclairées. Cette décision établit une norme pour les textes magistériels et liturgiques, et non pour la piété personnelle.

A la fin de notre échange, le cardinal a également déclaré que le Dicastère avait consulté « de très nombreux » mariologues et christologues lors de la préparation de Mater Populi Fidelis.

Mais cette assertion semble contredire les récentes déclarations du père Maurizio Gronchi, christologue et consultant auprès du DDF, qui a co-présenté le nouveau document aux côtés du cardinal Fernández le 4 novembre dernier. En réponse à ACI Prensa le 19 novembre, Gronchi a déclaré qu’« aucun mariologue n’avait pu être trouvé pour collaborer ». Il a noté que ni les membres de la faculté pontificale de théologie Marianum ni les membres de l’Académie pontificale internationale mariale (la PAMI en italien) n’avaient participé à la présentation à la Curie jésuite – un « silence » qui, selon lui, « peut être compris comme une dissidence ».

Selon ACI Prensa, le père Gronchi a souligné que la PAMI a toujours participé activement aux discussions concernant les définitions dogmatiques potentielles.

Tout en soulignant la légitimité du titre de Co-rédemptrice pour la dévotion personnelle, le cardinal Fernández n’a pas abordé son utilisation dans le débat théologique en cours. Cependant (…), le cardinal a souligné que son objectif n’était pas de « proposer des limites ».

Si l’Eglise catholique suit le précédent établi dans le développement des dogmes mariaux déjà existants, notamment celui de l’Immaculée Conception, la recherche théologique, le dialogue et le débat devraient naturellement se poursuivre. Comme l’a fait remarquer le père Salvatore Perrella dans une récente interview, même un document « controversé » tel que Mater Populi Fidelis peut être précieux, « car il suscite et alimente le débat ». Dans le cas présent, la note doctrinale ouvre le débat théologique et mariologique, en particulier à propos des différentes dimensions de la coopération unique de Marie à l’œuvre de la Rédemption.

Voici mon échange avec le cardinal Fernández, précédé par le n° 22 de Mater Populi Fidelis sur le titre de Co-rédemptrice.

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« Compte tenu de la nécessité d’expliquer le rôle subordonné de Marie au Christ dans l’œuvre de la Rédemption, l’utilisation du titre de Co-Rédemptrice pour définir la coopération de Marie est toujours inopportune. Ce titre risque d’obscurcir l’unique médiation salvifique du Christ et peut donc générer une confusion et un déséquilibre dans l’harmonie des vérités de la foi chrétienne, parce qu’“il n’y a de salut en personne d’autre”, car “il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés” (Ac 4, 12). Lorsqu’une expression nécessite des explications nombreuses et constantes, afin d’éviter qu’elle ne s’écarte d’un sens correct, elle ne rend pas service à la foi du Peuple de Dieu et devient gênante. Dans ce cas, elle n’aide pas à exalter Marie comme la première et la plus grande collaboratrice dans l’œuvre de la Rédemption et de la grâce, parce que le danger d’obscurcir la place exclusive de Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme pour notre salut, le seul capable d’offrir au Père un sacrifice d’une valeur infinie, ne serait pas un véritable honneur pour la Mère. En effet, en tant que “servante du Seigneur” (Lc 1, 38), elle nous indique le Christ et nous demande : “Tout ce qu’Il vous dira, faites-le” (Jn 2, 5). »

 

Diane Montagna : Eminence, Mater Populi Fedelis n° 22 dit, dans sa version originale en espagnol, qu’il est « siempre inoportuno » d’utiliser le titre « Co-rédemptrice » pour définir la coopération de Marie à l’œuvre de la Rédemption. Cela a été traduit en italien par « è sempre inappropriato ». De son côté, le texte anglais disait à l’origine qu’il serait « inapproprié » d’utiliser ce titre, mais il a ensuite été modifié pour dire « il est toujours inapproprié »…

Cardinal Fernández : Le traducteur a fait une traduction [anglaise] plus douce, mais il nous a ensuite dit : « Regardez, je n’en suis pas sûr », et cela a ensuite été modifié.

 

Mais pourquoi avez-vous utilisé le mot « toujours » [siempre], d’autant plus que les saints, les docteurs de l’Eglise et les papes ont utilisé le titre de « Corédemptrice », en particulier au cours du siècle dernier ? Que cherchez-vous à faire comprendre au clergé et aux fidèles en utilisant le mot « toujours » ?

Qu’à ce moment précis, après trente ans d’études au sein du dicastère, diverses interventions ont eu lieu à mesure que des questions se posaient. Le pape Jean-Paul II lui-même a demandé à Ratzinger d’étudier la question. Jusqu’à ce que cette étude soit terminée, le pape Jean-Paul II utilisait parfois le terme « Co-rédemptrice ». Après cette étude et la réponse de Ratzinger – que nous connaissons maintenant –, il ne l’a plus utilisé. Mais il a conservé les aspects positifs du contenu, c’est-à-dire la coopération unique de Marie à l’œuvre de rédemption.

Nous utilisons cette expression – « la coopération unique de Marie à l’œuvre de la rédemption » – je crois 200 fois dans le document, c’est-à-dire que nous avons conservé et explicité cet aspect positif dans le texte. Mais après l’étude menée par Ratzinger en réponse à Jean-Paul II, il ne l’a plus utilisée. Et puis, à d’autres moments, le Dicastère, sous Ratzinger et par la suite, a étudié le sujet parce qu’il était lié à certaines apparitions, etc. et le pape Ratzinger a clos [le dossier de] ces apparitions par un vote « négatif ». La même chose s’est produite par la suite.

Avec les apparitions, nous avons été, disons, un peu plus généreux. Nous essayons, même s’il y a des aspects qui peuvent prêter à confusion, de trouver les aspects positifs et de permettre la piété des fidèles. Cependant, sur cette question, après trente ans de travail du dicastère, le moment était venu de la rendre publique, et c’est ce que nous avons fait.

 

Oui, mais pourquoi avez-vous utilisé le terme « toujours » [siempre] ? Cela fait-il référence au passé, d’autant plus qu’il a été utilisé par les saints, les docteurs et le magistère ordinaire ?

Non, non, non. Cela fait référence au moment présent. Tout comme le pape Jean-Paul II lui-même l’a utilisé à un moment donné, puis a cessé de l’utiliser. Ce que nous croyons, c’est que, dans le fond, derrière ce mot, il y a des éléments qui peuvent être acceptés et qui continuent d’être défendus.

 

Donc, « toujours » signifie « dorénavant » ?

Dorénavant, certainement. Cela ne vise en aucun cas à juger le passé. Cela signifie « à partir de maintenant ». Et surtout, cela signifie que cette expression [« Co-rédemptrice »] ne sera utilisée ni dans la liturgie, c’est-à-dire dans les textes liturgiques, ni dans les documents officiels du Saint-Siège. Si l’on souhaite exprimer la coopération unique de Marie dans la Rédemption, on le fera d’une autre manière, mais pas avec cette expression, même dans les documents officiels.

C’est une chose connue, même si elle n’est peut-être pas très répandue. Si vous, avec votre groupe d’amis, croyez bien comprendre le sens véritable de cette expression, avez lu le document et voyez que ses aspects positifs y sont également affirmés, et que vous souhaitez exprimer précisément cela au sein de votre groupe de prière ou entre amis, vous pouvez utiliser ce titre, mais il ne sera pas utilisé officiellement, c’est-à-dire ni dans les textes liturgiques ni dans les documents officiels.

 

Merci beaucoup. Une dernière question : avez-vous (c’est-à-dire la DDF) consulté des mariologues en vue [de la rédaction de] Mater Populi Fidelis ?

Oui, beaucoup, beaucoup, ainsi que des théologiens spécialisés en christologie.

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Ce texte de Diane Montagna a paru ici sur son compte Substack auquel il est possible de s’abonner pour soutenir son (remarquable) travail.

 

Traduction par Jeanne Smits