50 milliards de dollars (soit cinq fois le PIB du pays), 50.000 ouvriers, 5 ans de travaux… A quelques centaines de kilomètres de celui de Panama, et quelque cent ans plus tard, le Nicaragua se lance dans la construction d’un nouveau canal interocéanique, un dossier aussi vieux que celui de Panama, mais demeuré jusqu’ici à l’état de projet.
Lundi dernier, à l’embouchure du fleuve Brito, sur la côte Pacifique sud, le Nicaragua a donc lancé cet important chantier. Qu’on y songe : d’une profondeur de 30 mètres, et d’une largeur de 230 à 530 mètres, ce canal devrait mesurer 278 kilomètres de long, soit trois fois plus que celui de son concurrent de Panama. Il devrait ainsi permettre le passage de bateaux atteignant jusqu’à 400.000 tonnes, et à des porte-conteneurs mesurant jusqu’à 450 mètres de long.
Selon le projet, ce canal traversera le lac Cocibolca, puis les forêts tropicales et une quarantaine d’agglomérations, avant d’aboutir à l’embouchure de la Punta Gorda, côté Caraïbes. Il s’accompagnera, en outre, de la construction de deux ports en eau profonde, d’une voie ferrée, d’un oléoduc, de zones franches et d’un aéroport.
Le Nicaragua et la pauvreté
Sans oublier qu’il devrait ravir une part des 5% du commerce maritime mondial qui transite actuellement par le seul canal de Panama. On comprend que le président Daniel Ortega y voit le moyen de faire de son pays la nation la plus riche d’Amérique centrale, alors qu’il est actuellement le deuxième plus pauvre de la région…
C’est donc à tout le moins pour lui l’espoir de sortir, aussi rapidement que possible, son pays de cette pauvreté qui touche 45% de la population.
Pour autant, la population, justement, ne semble pas partager cet espoir. Depuis des mois, les manifestations se multiplient, tant de la part des paysans menacés d’expropriation, que de celle d’associations inquiètes du risque de catastrophe écologique. Le tracé du chantier, malgré le secret qui l’entoure plus ou moins, menace en effet de déplacer 30.000 paysans et indigènes Ramas et Nahuas. Un des responsables paysans le clame haut et fort : « Ce que nous voulons ? Le départ des Chinois. Le président Ortega est un capitaliste sauvage qui veut nous ruiner. » Dans le milieu, malgré les démentis des forces de l’ordre, on parle déjà de morts…
Sans oublier, d’autre part, la menace qui pèse sur certaines espèces locales, dont le requin-bouledogue, qui vivent dans ou à proximité du lac Cocibolca, deuxième plus grande étendue d’eau douce d’Amérique latine (8.624 kilomètres carrés), que l’eau salée pourrait vernir perturber.
Un canal de richesses
Et puis il y a la question chinoise, qui inquiète bien au-delà de l’Amérique centrale et latine, et jusqu’à Washington, qui considère effectivement la région comme une chasse gardée. Car le projet est mené par le groupe chinois « HK Nicaragua Development Investment » du milliardaire chinois Wang Jing, qui semble avoir fait fortune grâce à sa société de télécommunications Xinwe.
Nul doute donc que les Etats-Unis jouent sur la fureur populaire, comme sur l’opposition d’une certaine élite. Telle celle de Victor Tirado, un ancien commandant sandiniste, pour qui « Ortega a trahi son peuple en le bradant à des Chinois pour en tirer lui-même de juteux bénéfices ».
Le Nicaragua pourrait ainsi devenir le théâtre d’une nouvelle guerre économique impliquant l’Empire du Milieu.