Le pape François a annoncé dimanche à l’Angelus la nomination de vingt nouveaux cardinaux qui recevront leur chapeau au prochain consistoire, le 14 février à Rome. Fidèle à sa nouvelle « tradition » qui est de rompre avec les traditions établies à Rome, le pape a choisi de privilégier les « périphéries » de l’Eglise : évêques de diocèses lointains, dans les pays en développement ou symbolique des problèmes à la mode. Un seul membre de la curie sera élevé à la pourpre : le Français Dominique Mamberti, qui a remplacé le cardinal Burke à la tête du Tribunal suprême de la Signature apostolique. Dans l’ensemble, les nominations sont à l’image des préoccupations de François et traduisent une volonté de façonner le collège cardinalice à cette image.
Numériquement, d’abord. Avec quinze nouveaux cardinaux électeurs créés à cette occasion par François, ajoutés au seize qu’il a déjà nommés, le collège comptera quelque 25% de cardinaux de son choix. Des cardinaux nommés par Jean-Paul II, il en reste 34, et 60 du pontificat de Benoît XVI. Voilà qui commence à peser.
Les « périphéries » plutôt que les traditions
Mais là où ses prédécesseurs respectaient les usages bien établis, privilégiant les nominations d’évêques de sièges traditionnellement « cardinalables », François est allé chercher ailleurs. Seul le patriarche de Lisbonne, Mgr Macario do Nascimento Clemente, bénéficie d’une nomination « normale ».
Même les évêques italiens nommés – ils ne sont que deux – n’étaient pas attendus. Sandro Magister signale sur son blog que Mgr Edoardo Menichelli, évêque d’Ancône, fut longtemps secrétaire du cardinal Silvestrini, qui n’est pas un ratzinguérien… Il a participé au synode extraordinaire sur la famille où il avait été appelé par le pape François et s’est montré dans le presse évasif sur les questions des divorcés « remariés » et des homosexuels, reprenant les paroles du pape : « Qui suis-je pour juger ? » Mgr Francesco Montenegro, évêque d’Agrigente, a sous sa juridiction l’île de Lampedusa où le pape François s’était rendu pour dire sa préoccupation à l’égard des immigrés clandestins qui y échouent en nombre. Encore une « périphérie »… Mais de celles qui sont très « proches du pape François », comme le note La Croix.
De même en Espagne, les sièges traditionnellement cardinalices ont été ignorés et c’est l’évêque de Valladolid – certes président de la conférence épiscopale – qui a été nommé. Mgr Ricardo Blazquez Pérez est un homme discret, semble-t-il plutôt conservateur, s’étant opposé à l’avortement et au « mariage » des couples de même sexe. Mais il n’a pas de visibilité particulière.
Les nouveaux cardinaux du Tiers-Monde
Les pays des « périphéries » sont à l’honneur, même si le pape François a pris soin de faire savoir que la nomination des cardinaux ne valait pas « promotion ». Des évêques du bout du monde : Vietnam, Myanmar, Thaïlande, le Cap Vert, et même l’île Tonga qui avec 15.000 catholiques (16% de la population) peut être considérée comme marginale. L’île n’est même pas « directement menacée par la montée des eaux » à la faveur du « réchauffement climatique », selon le site du ministère des Affaires étrangères de France : c’est une des raisons que les observateurs avaient cru trouver à la nomination de son évêque, Soane Patita Paini Mafi : né en 1961, il sera le benjamin des cardinaux.
Marqués davantage, dans l’ensemble, par les préoccupations sociales que par l’attachement à des questions doctrinales ou liturgiques, les nouveaux cardinaux vont peser aussi dans l’affaire du synode sur la famille qui continue d’évoluer et dont le dénouement aura lieu à l’automne prochain. Sandro Magister note ainsi que le choix de Mgr John Atcherley Dew, archevêque de Wellington en Nouvelle-Zélande – plutôt que celui, plus logique, du successeur du cardinal Pell, connu pour être comme lui « conservateur » sur les questions de morale sexuelle et familiale – consacre un partisan de la communion pour les divorcés « remariés ».
Le pape François nomme des partisans du “Qui suis-je pour juger ?”
En Amérique du Sud, la nomination de l’archevêque de Montevideo, Mgr Daniel Sturla, vient-il « récompenser » un discours également plus « ouvert » sur ces questions ? La presse uruguayenne soulignait en février dernier que son discours était « surprenant » en comparaison de celui de son prédécesseur, Mgr Nicolas Cotugno : Mgr Sturla, l’un des cinq salésiens du nouveau collège cardinalice, était présenté comme en « syntonie » avec le pape François. Il a chaleureusement salué l’« austérité » du président José Mujica, ancien militant révolutionnaire tupamaro, souligné le fait qu’il avait des « amis homosexuels », promis de baptiser les enfants des couples homosexuels : « Personne ne peut leur refuser le baptême parce qu’ils ont deux papas ou deux mamans… » « Nous avons tous évolué par rapport à l’homosexualité… En ce sens la société a évolué de manière positive, parce que l’on comprend, et il est vrai qu’il y a des personnes qui pour diverses raisons ont des caractéristiques personnelles ou des goûts ou une orientation sexuelle diverse par rapport à la majorité ». Après la légalisation de l’avortement en Uruguay, il a déclaré : « L’approbation de l’avortement, c’est fait ; maintenant il faut guérir les blessures de la société. » Il est aussi connu pour ne pas s’opposer à la légalisation de la marijuana.
La nomination de Berhaneyesus Demerew Souraphiel, archevêque d’Addis Abeba en Ethiopie, est intéressante, quant à elle, du point de vue des relations avec l’islam. Ce prélat n’a pas hésité à dénoncer les difficultés rencontrées par les chrétiens et les catholiques de son pays, avec l’émigration massive des Ethiopiennes vers les pays arabes où elles sont coupées de leurs racines et de leur foi. Il vise également le « prosélytisme » musulman et des conversions « achetées » avec les aides versées aux chrétiens qui acceptent d’apostasier pour embrasser l’islam.
Le pape François a de nouveau confirmé que ces vingt nominations sont les siennes, qu’il gouverne seul, qu’il entend imposer sa marque personnelle de manière extrêmement forte.