C’est une nouvelle homélie programmatique qu’a prononcée le pape François en la basilique Saint-Pierre lors de la messe avec les nouveaux cardinaux, invitant l’Eglise à « réintégrer ce qui est exclu » en méditant l’attitude du Christ face aux pécheurs et aux lépreux. Il a demandé aux chrétiens de ne pas être une « caste » : une exhortation à l’ouverture où les médias voient un clair appel en vue du nouveau synode sur la famille qui se réunira à l’automne. Les médias ont aussitôt rappelé ses propos sur les homosexuels (« Qui suis-je pour juger ») et affirmé que le pape voulait trouver une « solution pour les divorcés remariés, actuellement interdits de sacrements », comme le dit l’AFP. En tout cas, le père canadien Thomas Rosica, porte-parole anglophone du Vatican, a tweeté : « Cette homélie devrait être le document de travail pour le synode des évêques sur la famille. »
Elle mérite donc une particulière attention. Et quelques précisions.
La compassion consiste elle à réintégrer les exclus
Le pape François met en évidence la « compassion » de Jésus qui le pousse à « agir concrètement » pour « réintégrer celui qui est exclu », et qui contraste avec « l’exclusion » propre à la loi de Moïse qui fait exclure les lépreux de la communauté pour « sauver les bien-portants ».
Et le pape poursuit: « Intégration : Jésus révolutionne et secoue avec force cette mentalité enfermée dans la peur et autolimitée par les préjugés. (…) Jésus, nouveau Moïse, a voulu guérir le lépreux, il a voulu le toucher, il a voulu le réintégrer dans la communauté, sans “s’autolimiter” dans les préjugés ; sans s’adapter à la mentalité dominante des gens ; sans se préoccuper du tout de la contagion. » Sans craindre de « scandaliser » certains… Certains que scandalise « même une guérison ».
On a tôt fait d’établir un parallèle avec le débat actuel autour de la communion aux divorcés « remariés », voulue semble-t-il par le pape (c’est en tout cas ce qu’affirment ses promoteurs) et dénoncée par les tenants de la doctrine traditionnelle. Où vouloir préserver l’enseignement de l’Eglise devient sécheresse des « docteurs de la loi ».
Le pape François veut-il un synode d’ouverture ?
Il manque à cette analyse un élément essentiel : Jésus, au contraire de Moïse, avait le pouvoir divin de guérir, de purifier, de rétablir dans la santé physique mais surtout dans l’innocence en lavant la faute originelle et en pardonnant les péchés regrettés. Pour sauver, « réintégrer l’exclu », il faut un pouvoir qu’Il a en effet laissé à l’Eglise et que celle-ci a le devoir d’exercer pour attirer tout homme au Christ et le rendre capable du bonheur éternel.
Pour autant l’Eglise conserve toujours le devoir de protéger ses enfants face au « scandale » : au scandale vrai qu’est l’incitation à faire le mal et à le nommer bien, à lui trouver des excuses plutôt qu’à le pardonner. Dans son homélie le pape dénonce le « zèle aveugle de ceux qui étaient prêts à lapider sans pitié » la pécheresse. Mais sans rappeler ces mots de Notre-Seigneur, « Va et ne pêche plus ».
C’est tout le paradoxe du pape François : il rappelle avec force combien l’Eglise doit se soucier de ceux qui souffrent et surtout de ceux qui s’éloignent du bien – en risquant la condamnation éternelle ! – mais en donnant à ceux qui voudraient édulcorer son enseignement l’impression qu’ils sont dans la bonne voie parce qu’ils refusent d’« exclure ».
Confusion entre réintégration et pardon…
Il y a là une confusion qui n’est juste ni pour les uns, ceux qui risquent de se sentir confortés dans leur « ouverture » qui tend moins à rectifier ce qui est tordu qu’à justifier l’injustifiable, ni pour les autres : ceux qui désirent tout autant la conversion des pécheurs et qui les aiment, mais en désignant clairement le péché.
Jésus sauve la femme adultère : « Et Jésus n’a pas peur de ce type de scandale ! Il ne pense pas aux personnes fermées qui se scandalisent même pour une guérison, qui se scandalisent face à n’importe quelle ouverture, à n’importe quel pas qui n’entre pas dans leurs schémas mentaux et spirituels, à n’importe quelle caresse ou tendresse qui ne correspond pas à leurs habitudes de pensée et à leur pureté rituelle. Il a voulu intégrer les exclus, sauver ceux qui sont en dehors du campement », dit le pape François. Mais est-ce vraiment par « pureté rituelle » que les Pharisiens d’aujourd’hui rappellent l’« exclusion » de la communion des personnes qui contredisent de manière institutionnalisée la vérité du mariage ?
Les cardinaux de nouveau pris à partie par le pape François
Et même l’excommunication n’est-elle pas dans certains cas un devoir ? « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. Que s’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et s’il refuse d’écouter même la communauté, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain », dit Jésus lui-même, comme le rapporte saint Matthieu…
Le pape François ne dit pas le contraire : « intégrer l’exclu » ne veut pas dire n’importe quoi. « Cela ne veut pas dire sous-évaluer les dangers ou faire entrer les loups dans le troupeau, mais accueillir le fils prodigue repenti ; guérir avec détermination et courage les blessures du péché ; se retrousser les manches et ne pas rester regarder passivement la souffrance du monde. La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement ; de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un cœur sincère. »
Hélas, dans le contexte actuel, le monde comprend cela d’une manière extérieure, sous le rapport de l’accueil ou du rejet dans une communauté « horizontale », holistique, et non du pouvoir inouï de l’Eglise de laver les fautes – qui passe parfois par l’« exclusion » médicinale dont le but est précisément de montrer à celui qui en a besoin où se trouve la vraie porte de la vie éternelle.