Incroyable mais vrai, le représentant permanent de l’Arabie saoudite auprès de l’ONU, Faisal bin Hassan Trad, arrivé à Genève il y a seulement un an, est en train de faire campagne pour être le prochain candidat du groupe Asie pour la présidence du Conseil de droits de l’homme, dont le renouvellement doit avoir lieu en fin d’année. Une décision qui, si elle est légale – c’est là le plus drôle – fait encourir au Conseil un discrédit notable, au su de la haute idée que se fait l’Arabie saoudite des droits de l’homme et met mal à l’aise les Occidentaux tout à leurs affaires commerciales et financières avec Riyad…
La règle des rotations veut en effet que le prochain président soit issu de ce groupe qui comprend treize pays (Arabie saoudite, Bangladesh, Chine, Émirats arabes unis, Inde, Indonésie, Japon, Kazakhstan, Maldives, Pakistan, République de Corée, Qatar et Vietnam). Et rien ne s’y oppose : l’Arabie saoudite est membre à part entière, élue pour trois ans renouvelables par l’Assemblée générale de l’ONU.
D’autant que, jusque-là, le Conseil s’est davantage penché sur le conflit israélo-palestinien que sur d’autres dossiers pourtant emblématiques de mépris des droits de l’homme et la Conférence islamique y tient une forte influence. L’essai saoudien n’est pas illogique.
Le Conseil des droits de l’homme dirigé par l’Arabie saoudite ?
Et pourtant, l’Arabie saoudite était, en 1948, l’un des huit pays à ne pas signer la Déclaration universelle des droits de l’homme – elle lui préféra, en 1990, « la déclaration des droits de l’homme en islam » qui prend « la charia comme seule source de référence ».
Il lui faudrait avec cette présidence, « promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales »… Difficile pour un régime saoudien qui exécute à tour de bras – 60 décapitations publiques ces derniers mois – entretient une forte inégalité entre les hommes et les femmes, rejette toute liberté d’expression et ne reconnaît pour toute religion que l’islam… sans parler de ces neuf millions de travailleurs immigrés employés dans des conditions sur lesquelles les Occidentaux ferment les yeux.
Alors les ONG crient au loup, de Human Rights Watch à Amnesty International qui brandit le cas du bloggeur Raef Badaoui condamné à mille coups de fouet tous les vendredis…
Mais les gouvernements détournent la tête. Car c’est « un jeu politique » qu’ils sont les premiers à jouer. Comment, d’ailleurs, l’Arabie saoudite en est arrivée à faire partie de ce Conseil ? Comme l’avait estimé un docteur en sciences politiques et relations internationales parisien, « le vote ne se fait pas au regard de la situation des droits de l’homme, mais sur des considérations politiques et économiques. S’opposer à l’élection de la Chine ou ne pas lui accorder son vote (pourtant secret), par exemple, c’est prendre le risque de perdre des marchés ». Idem évidemment pour l’Arabie saoudite.
Les Occidentaux soignent leurs relations…
Il suffit d’apprécier les dernières rodomontades occidentales. Les relations commerciales et financières survivent fort bien aux petits reproches sur les manquements droits-de-l’hommistes des saoudiens.
Laurent Fabius a annoncé, tout fier, après la visite de la semaine dernière de Hollande à Riyad, que pas moins de vingt projets différents étaient en discussion, dans les secteurs de l’armement, de l’aéronautique civil mais aussi de l’énergie. Des projets estimés « à plusieurs dizaines de milliards d’euros »… « Notre partenariat passe à la vitesse supérieure » a -t-il déclaré.
Outre-Atlantique, Barack Obama a profité, mercredi, du sommet réunissant le Conseil de coopération du Golfe pour louer, à grands renforts de mots, « la solidité des liens » qui unissait les États-Unis à Riyad. Des liens quelque peu mis à mal depuis deux ans du fait du rapprochement avec l’Iran : les pays du Golfe, ces vieux alliés des États-Unis, sont inquiets de la nouvelle diplomatie américaine à l’égard de Téhéran, symbolisée par les accords de Lausanne sur le nucléaire. D’autre part, ils sont moins indispensables aux États-Unis qui exploitent pour leurs besoins énergétiques leur propre gaz de schiste… Néanmoins l’Arabie saoudite continue à leur acheter des milliards de dollars d’armement et sert une face de leur politique au Moyen-Orient.
Ainsi, tout ce petit monde se rend bien compte de l’incongruité que cette nomination représenterait. Mais le scandale n’est rien au vu des impératifs économiques et géopolitiques. Sur ces derniers, l’indignation idéologique ne prend jamais le pas – entre principes et pratiques, le grand écart est une gymnastique coutumière.