Le silence s’achète, la duperie s’organise. L’on apprend ces derniers jours que la commandante de police en charge de l’affaire Kerviel entre 2008 et 2012, a fait début avril une déposition dans les bureaux d’un juge d’instruction, pour expliquer les dysfonctionnements rencontrés dans ses enquêtes et surtout exposer sa conviction intime selon laquelle le coupable présumé n’est pas le bon… Une « affaire Société générale » est peut-être en train de voir le jour. De l’UMP au PS, les politiques se dépêchent de s’offusquer et de réclamer une révision du procès…
Se retrouve ainsi sous les feux des media, ce dossier aux grosses ficelles pourtant largement occultées par la justice – qui n’a jamais remis en cause la version défendue par la banque, à savoir que le trader risque-tout, Jérôme Kerviel, aurait perdu sur les marchés la coquette somme de 4,9 milliards d’euros, sans en avoir informé sa direction.
« L’activité de Jérôme Kerviel était connue » selon la commandante de police
Nathalie Le Roy a été auditionnée le 9 avril dans le cadre de la plainte contre X ouverte en juin 2014 pour escroquerie au jugement, faux et usage de faux. Elle aurait apporté le témoignage d’un ancien salarié de la Société générale, opérant au sein de l’entité « risques opérationnels », selon lequel « l’activité de Jérôme Kerviel était connue » et que lui-même en avait alerté, en avril 2007, la directrice adjointe de cette entité ainsi que d’autres membres de la banque, notamment par le biais d’un message électronique « avec une tête de mort pour attirer leur attention ».
Nathalie Le Roy n’a jamais réussi à obtenir de la Société Générale les échanges électroniques entre Mme Dumas et le salarié…
« A l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier. Je ne me suis jamais manifestée pour ne pas interférer dans le cours de la justice, mais j’avoue que ma convocation aujourd’hui m’apporte un soulagement. Je me suis très longtemps remise en question. »
Une enquête à charge, « instrumentalisée » par la Société générale ?
Elle raconte comment la banque lui choisissait les personnes à interroger, comment elle leur fournissait elle-même les documents car l’équipe policière n’avait pas de matériel informatique d’investigation personnel – hallucinant pour une affaire pareille. Une équipe dont les moyens et les effectifs étaient limités. Elle-même qui la dirigeait n’avait, lorsqu’elle a été saisie de l’affaire en janvier 2008, « aucune connaissance boursière »… La personne ad hoc ?
Par deux fois, Jérôme Kerviel a été condamné par la justice pour abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse dans les systèmes informatiques : cinq ans d’emprisonnement dont trois ferme. Il y a un an, la Cour de cassation a cassé le volet civil de la décision, qui attribuait 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la banque. Un nouveau procès civil doit se tenir du 20 au 22 janvier 2016 pour établir la répartition des responsabilités dans cette perte, la banque ayant reconnu avoir failli sur le plan des contrôles.
Kerviel, lui, a toujours affirmé que la Société générale savait les risques qu’il prenait.
Qui est le vrai grand méchant ?
Que répond aujourd’hui la banque à cette brutale remise en question ? Qu’elle s’étonne ! « L’affaire liée aux agissements frauduleux de Jérôme Kerviel remonte maintenant à plus de sept ans et a fait l’objet de plusieurs décisions de justice qui ont toutes reconnu la culpabilité pénale exclusive de Jérôme Kerviel ». Et alors ?!
On se souvient du mot de Rachida Dati, alors, ministre de la justice, qui avait qualifié Kerviel de « terroriste ». Les traders ne sont certes pas de blancs agneaux, mais le système de pouvoir bancaire qui les commande est, lui, un terrorisme à part entière – qui était arrivé dans cette histoire à faire gober à tout un chacun son statut de pauvre victime ignorante. Et la justice de Sarkozy avait fermé les yeux. Celle d’aujourd’hui – qui n’aurait pas fait mieux – va sans doute être contrainte à les rouvrir.