Soyons honnêtes, ce n’est pas ce qu’il dit dans son entretien à Libération à qui il a confié les raisons de son prochain départ en septembre. Le dessinateur Luz parle de « qui-vive paranoïaque » et de « qui-vive médiatique »… quelque chose de « trop lourd à porter » dont il se déleste. Échec face à une épreuve humaine un peu hors-norme – l’actualité ne l’intéresse plus, il n’arrive plus à dessiner. Échec aussi face à ce « poison de l’argent » qui coule désormais dans les veines apparentes de l’hebdo couvert d’or… De cela, il ne parle pas. Alors que c’est précisément ce qui est en train d’étouffer Charlie Hebdo, victime des attentats de Paris en janvier dernier. Une seconde victoire des terroristes ?
Luz quitte Charlie
De toute façon, rien ne va au journal. Les tensions sont là qui s’avivent. La journaliste Zineb El Rhazou, menacée de mort, qui s’est vu rappeler la semaine dernière « les obligations de son contrat de travail » s’est même dite « choquée et scandalisée » par les méthodes de son employeur…
Sur la gouvernance, la rédaction s’est profondément divisée. Fin mars, quinze salariés contestataires (sur vingt) ont à nouveau réclamé via une tribune parue dans Le Monde « une refondation de Charlie Hebdo ». Ils savent qu’une « nouvelle formule » se prépare et qu’ils n’en font pas partie.
« Nous refusons que le journal, devenu une proie tentante, fasse l’objet de manipulations politiques et/ou financières, nous refusons qu’une poignée d’individus en prenne le contrôle, total ou partiel, dans le mépris absolu de ceux qui le fabriquent et de ceux qui le soutiennent ». Et de réclamer « une forme de société coopérative », où chaque salarié aurait droit à des parts sociales.
Mais voilà, le journal a recueilli des millions d’euros en dons et ventes depuis l’attentat… « Comment échapper au poison des millions qui, par des chiffres de vente hors normes, mais aussi par les dons et les abonnements, sont tombés dans les poches de Charlie ? » Une vérité pour tous…
« Le poison de l’argent »
Pour le moment, le capital est uniquement détenu par le dessinateur Riss, nouveau directeur de la publication, blessé à l’épaule lors de l’attaque (40 %), les parents de l’ancien directeur de la rédaction, Charb, (40 %), et le directeur financier Eric Portheault (20 %).
Riss a renvoyé cette question de l’ouverture du capital à septembre – sans commentaire. Et il s’est empressé d’éclaircir l’histoire du « poison » par un communiqué aux volontés de transparence : « La marge brute réalisée sur les ventes du Journal depuis les attentats de janvier est estimée à environ 12 millions d’euros à ce jour, avant impôts sur les sociétés (33,33 %). Les associés rappellent en outre leur engagement absolu à ne percevoir aucun dividende sur ces sommes. Concernant les dons, auxquels le journal a intégralement renoncé en faveur des victimes, le total des sommes recueillies auprès de plus de 36.000 donateurs venant de 84 pays différents, est d’environ 4,3 millions d’euros. »
Le fameux chiffre des « trente millions d’euros » qui circulait depuis février, a tout d’un coup disparu…
Oui, il y a du rififi. L’argent change les cœurs, les idées ne lui résistent guère, surtout celles de gauche – la cohabitation se fait très bien. Nul doute que l’ancien Charlie Hebdo va disparaître ; on ne le regrettera pas, mais on n’appréciera sans doute pas davantage le nouveau.