Le choix de Hans Joachim (dit John) Schellnhuber pour participer à la présentation de Laudato si’ jeudi au Vatican, à la tribune aux cotés du cardinal Turkson et du patriarche orthodoxe Bartholomée, a fait couler beaucoup d’encre dans la presse anglo-saxonne. Le directeur de l’Institut de l’impact climatique de Potsdam – qui vient également d’être nommé à l’Académie pontificale des sciences – est accusé d’être partisan de la dépopulation massive de la planète. Si cette accusation repose sur un malentendu, elle masque une autre réalité, tout aussi inquiétante : Schellnhuber est un mondialiste du climat, partisan d’une autorité globale dotée de pouvoirs pour empêcher le réchauffement.
Bombardé expert du climat pour le Vatican – il l’est déjà pour l’Allemagne – Hans Joachim Schellnhuber avait déclaré lors d’un entretien en 2009 que si la terre devait se réchauffer de 5 degrés à force pour l’homme de continuer d’émettre des quantités « non soutenables » de gaz à effet de serre, la population mondiale serait « dévastée ». « D’une manière très cynique, c’est un triomphe pour la science car nous avons enfin stabilisé quelque chose : à savoir l’estimation de la capacité porteuse de la planète, à savoir moins d’un milliard de personnes », affirmait-il.
Hans Joachim Schellnhuber rejette l’idée de la dépopulation
Cette affirmation a été interprétée comme l’expression d’un vœu : travailler à réduire la population mondiale. Schellnhuber poursuivait en affirmant qu’à cette température, « il n’y aurait plus de fluctuations, nous pouvons en être à assez sûrs ». « Quelle triomphe ! Mais d’un autre côté, souhaitons-nous cette alternative ? Je crois que nous pouvons faire mieux, bien mieux », ajoutait-il.
Dans le New Catholic Register de vendredi, Hans Schellnhuber a expliqué à Edward Pentin qu’il n’est nullement partisan de la dépopulation. Sans se prononcer sur le caractère éthique du contrôle de la population, il affirme que ce n’est pas la « dynamique de la population » qui est la racine du « changement climatique » : ainsi, les émissions per capita des Africains « ne contribuent quasiment pas au réchauffement global ». « Donc si vous êtes capable, par un changement de comportement, et c’est cela qui se trouve dans l’encyclique, de modifier les émissions des riches de seulement 10 %, cela est bien plus efficace que n’importe quelle stratégie de population que vous puissiez mettre en œuvre. »
Et il dénonce l’échec de la plus grande « expérimentation de l’histoire » en la matière : la politique de l’enfant unique en Chine. « Avec cela, ils vont avoir à payer à travers de multiples problèmes parce qu’elle va complètement ruiner leur développement démographique. » Le contrôle de la population, affirme-t-il, est le moyen mis en avant par ceux qui « veulent simplement l’inaction sur le plan du climat », et qui interdisent à l’Eglise catholique de s’exprimer parce qu’elle n’est pas prête « sur le plan de la démographie et de la population, sur la santé reproductive, etc. »
“Laudato si’” veut lutter contre le réchauffement climatique sans contrôle de la population
Le raisonnement est donc le suivant : l’Eglise catholique n’est pas écoutée sur le plan de la lutte contre le réchauffement climatique, parce qu’elle ne participe pas à un certain discours sur le contrôle de la population. Or elle a quelque chose à dire de plus efficace : les comportements individuels et collectifs pour modérer la consommation dans les pays riches vont permettre d’éviter une dépopulation massive qui causerait de facto un réchauffement.
Manière subtile de convaincre ? De faire avaler la pilule ? De fait, l’encyclique Laudato si’, dans son paragraphe 50, affirme : « Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde différent, certains se contentent seulement de proposer une réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les pays en développement ne manquent pas, conditionnant des aides économiques à certaines politiques de “santé reproductive”. Mais “s’il est vrai que la répartition inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire.” »
Hans Joachim Schellnhuber, principal conseiller du pape François pour “Laudato si’”
On retrouve là le discours de Schellnhuber, qui a été, il faut le dire, le principal conseiller scientifique du pape pour la rédaction de Laudato si’.
Il proteste encore, dans son entretien au New Catholic Register, contre l’idée de la dépopulation. Rappelant les fausses prédictions de Paul Ehrlich dans The Population Bomb qui annonçait en 1968 la famine massive et une mortalité sans précédent dès les années 1970 et 1980, il explique : « J’ai toujours rejeté cela. J’ai dit que le problème du climat est complètement indépendant de celui de la population. Si vous voulez réduire la population humaine, alors il y a des moyens merveilleux : améliorez l’éducation des jeunes filles et des femmes. Alors la transition démographique sera un peu plus rapide et, comme l’a dit le cardinal Turkson, vous améliorerez le capital humain et il en résultera l’émancipation de beaucoup de personnes sur terre. Alors je soutiens l’idée d’une bonne éducation, et c’est la seule voie de stratégie de la population que je suis prêt à soutenir. » Rendons à César ce qui lui appartient, cette idée est défendue par les organisations internationales.
Ici une question se pose : puisqu’il est malgré tout déclaré que la réduction de la population est une bonne chose, on se pose la question de savoir comment y parvenir. Toutes les grandes institutions internationales sont favorables au contrôle de la population par la diffusion de la contraception volontaire. Laudato si’ n’évoque pas une seule fois cette réalité, et ne rappelle pas l’enseignement de Humanae vitae sur la question. Est-ce l’autre pilule – la vraie – qu’il s’agit de faire avaler ?
“Laudato si’” et la contraception
Son paragraphe 50, cité plus haut, se poursuit en ces termes : « Mais : de toute façon, il est certain qu’il faut prêter attention au déséquilibre de la distribution de la population sur le territoire, tant au niveau national qu’au niveau global, parce que l’augmentation de la consommation conduirait à des situations régionales complexes, à cause des combinaisons de problèmes liés à la pollution environnementale, au transport, au traitement des déchets, à la perte de ressources et à la qualité de vie, entre autres. » Manière de dire qu’il peut être légitime d’intervenir sur la population.
De son côté, Hans Joachim Schellnhuber voit la contraception comme une manière souhaitable de peser sur l’évolution démographique – cette « transition démographique un peu plus rapide » qu’il appele de ses vœux. Il l’écrivait dans son livre Earth System Analyses for Sustainability : parmi les solutions pour le développement durable qu’il évoque en conclusion de son livre, il cite « la production de contraceptifs humains de longue durée ». Ceux-là mêmes qui sont actuellement diffusés par les organisations internationales et les ONG, et promus mondialement par les médias. Dans le contexte de l’arrivée du prochain synode sur la famille, où se constate de la part d’un lobby qui se trouve à l’intérieur de l’Eglise une évidente volonté de revenir sur Humanae vitae et son rejet de toute contraception « artificielle », on voit une sorte de trame commune.
Schellnhuber fait partie du Club de Rome qui milite pour la dépopulation
Schellnhuber fait d’ailleurs toujours partie du Club de Rome qui dès sa fondation en 1968 prônait le contrôle de la population et dont le livre, Limits of Growth (« Les limites de la croissance ») a servi de point de départ pour les politiques mondiales de diffusion de la contraception et de l’avortement.
L’affolement du monde catholique par le discours alarmiste de Laudato si’ sur le climat faciliterait cette évolution. Il sert une deuxième cause : celle de la mise en place d’une autorité globale dont Schellnhuber est chaud partisan et qui est décrite dans l’encyclique en des termes qui rappellent ceux du scientifique allemand dans ses écrits et déclarations publiques passées.
Schellnhuber évoquait en 2013 dans humansandnature.org son « rêve éveillé » pour régler la question du climat.
« Permettez-moi d’achever cette courte contribution par un rêve éveillé à propos des institutions clef qui pourraient assurer l’avènement d’une version plus sophistiquée – et donc plus appropriée – de la notion habituelle du “gouvernement mondial”. La démocratie globale pourrait s’organiser autour de trois activités pivotales, à savoir une Constitution de la Terre, un Conseil global, et une Cour planétaire. Je ne peux pas les exposer ici en détail, mais j’indiquerai au moins que :
• La Constitution de la Terre transcenderait la Charte des Nations unies et identifierait les premiers principes qui guident l’humanité dans sa quête de liberté, de dignité, de sécurité et de durabilité ;
• Le Conseil global serait une assemblée d’individus directement élus par toutes les personnes sur la Terre, où l’éligibilité ne serait pas soumise à des contraintes de quotas géographiques, religieuses ou culturelles ; et
• La Cour planétaire serait un corps législatif transitoire ouvert aux appels de chacun, spécialement en rapport avec les violations de la Constitution de la Terre.
Afin d’accorder le système obstiné de la gouvernance nationale avec les institutions globales, un certain pourcentage des sièges parlementaires nationaux devrait être réservé aux “Global Ombudspeople” (médiateurs globaux). Leur premier mandat consisteraient à assurer que les premiers principes humanitaires ébauchés plus haut soient respectés, l’intérêt des futures générations n’étant pas la moindre de leurs préoccupations. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une extension de la démocratie dans l’espace et dans le temps. »
Le mondialisme de “Laudato si’” est celui de Schellnhuber
Est-ce dans cet esprit que Laudato si’ réclame la « maturation des institutions internationales », cette « autorité politique mondiale » (déjà évoquée par Benoît XVI dans Caritas in veritate mais dans un contexte où le rôle de l’Eglise comme gardienne de la Vérité était très clairement affirmé, au contraire de Laudato si’) ? Deux paragraphes plus haut, le n° 173 affirme :
« Des accords internationaux sont urgents, qui soient respectés pour intervenir de manière efficace. Les relations entre les États doivent sauvegarder la souveraineté de chacun, mais aussi établir des chemins consensuels pour éviter des catastrophes locales qui finiraient par toucher tout le monde. Il manque de cadres régulateurs généraux qui imposent des obligations, et qui empêchent des agissements intolérables, comme le fait que certains pays puissants transfèrent dans d’autres pays des déchets et des industries hautement polluants. »
La « décroissance » prônée dans le paragraphe 193 se lit également comme un écho aux idées de Schellnhuber qui réclame une modération de la consommation afin de réduire les émissions de CO2.
Schellnhuber réclame la décroissance par la coercition
Comme la décroissance est nécessairement impopulaire auprès de ceux qui sont invités à s’appauvrir, Schellnhuber a suggéré en 2014 lors d’une inteview avec Pierre Baigorry que les politiques doivent utiliser la « coercition » afin de passer outre à la résistance au changement : « Nous avons besoin d’une sorte de Gandhi du climat », disait-il.
A quoi Laudato si’ répond, dans son article 178 : « Le drame de l’“immédiateté” politique, soutenue aussi par des populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire une croissance à court terme. Répondant à des intérêts électoraux, les gouvernements ne prennent pas facilement le risque de mécontenter la population avec des mesures qui peuvent affecter le niveau de consommation ou mettre en péril les investissements étrangers. La myopie de la logique du pouvoir ralentit l’intégration de l’agenda environnemental aux vues larges dans l’agenda public des gouvernements. On oublie ainsi que “le temps est supérieur à l’espace”, que nous sommes toujours plus féconds quand nous nous préoccupons plus d’élaborer des processus que de nous emparer des espaces de pouvoir. La grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long terme. Il est très difficile pour le pouvoir politique d’assumer ce devoir dans un projet de Nation. »
Pour que la chose soit faisable il faut donc que la pression vienne d’en bas. On lit cela au paragraphe 181 :
« La continuité est indispensable parce que les politiques relatives au changement climatique et à la sauvegarde de l’environnement ne peuvent pas changer chaque fois que change un gouvernement. Les résultats demandent beaucoup de temps et supposent des coûts immédiats, avec des effets qui ne seront pas visibles au cours du mandat du gouvernement concerné. C’est pourquoi sans la pression de la population et des institutions, des résistances interviendront toujours, plus encore quand il y aura des urgences à affronter. Qu’un homme politique assume ces responsabilités avec les coûts que cela implique, ne répond pas à la logique d’efficacité et d’immédiateté de l’économie ni à celle de la politique actuelle ; mais s’il ose le faire, cela le conduira à reconnaître la dignité que Dieu lui a donnée comme homme, et il laissera dans l’histoire un témoignage de généreuse responsabilité. »
L’objectif de l’encyclique Laudato si’ s’inscrit dans cette entreprise de « conversion écologique » (les termes y sont, en tête de chapitre) : obtenir, au nom de la religion, la mobilisation des 1,2 milliard de catholiques en faveur de cette décroissance.
“Laudato si’” : et où est Dieu, dans tout ça ? Partout !
Mais ce n’est pas dans un esprit de sacrifice chrétien, qui ordonne la renonciation aux biens de ce monde à l’« unique nécessaire », le vrai Dieu, à travers le respect de ses Commandements. Laudato si’ évoque le bien horizontal de la planète, certes en tant que Création de Dieu, mais dans le contexte d’une « spiritualité écologique » qui s’affirme en tant que telle.
Dès le paragraphe 9, l’encyclique cite le patriarche Bartholomée : « Nous chrétiens, en outre, nous sommes appelés à “accepter le monde comme sacrement de communion, comme manière de partager avec Dieu et avec le prochain à une échelle globale. C’est notre humble conviction que le divin et l’humain se rencontrent même dans les plus petits détails du vêtement sans coutures de la création de Dieu, jusque dans l’infime grain de poussière de notre planète”. »
Le sacrement de communion, nous le connaissons : c’est l’Eucharistie par laquelle le Christ vit en nous et nous en Lui. Loin de tout relent de panthéisme…
La présence du patriarche orthodoxe dans l’encyclique et dans la cérémonie de présentation était-elle dictée par ce genre déclarations. Pour ce qui est de Schellnhuber – lui l’athée – il a répondu à une question de Zenit lui demandant de décrire de manière « empirique la puissance de la collaboration de différentes religions collaborant pour aider l’environnement » :
« OK, je vais poser la question dans l’autre sens. Je crois en effet que le (processus) œcuménique – cette idée – est en réalité renforcée par le regard sur l’environnement. Alors vous pouvez demander ce que les initiatives interreligieuses font pour l’environnement. Mais je mettrais la question à l’envers : que vont faire l’environnement et la prise à bras-le-corps des problèmes environnementaux pour les relations interreligieuses, et je suis sûr que tout cela rapprochera les différentes religions. »
L’environnement au service du syncrétisme religieux ? Voilà, pour le coup, une réponse sans ambiguïté.