C’est l’opération « Saudi cables ». Vendredi, le site-lanceur d’alertes WikiLeaks, avec à sa tête son fondateur, le bien connu Julien Assange, réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres depuis trois ans, a publié 61.000 documents diplomatiques en provenance directe du ministère des Affaires étrangères d’Arabie Saoudite. Et ce n’est que la première partie des 500.000 prévus… Notes administratives, communications politiques, factures officieuses, chèques de « remerciement », les dessous du pouvoir se dévoilent et ceux de l’Arabie saoudite, qui joint au totalitarisme religieux wahhabite un luxe financier indéniablement attractif – il le fut pour les États-Unis – sont particulièrement intéressants en ces temps de remaniement géopolitique moyen-oriental.
61.000 documents : les nouvelles révélations WikiLeaks
Évidemment, l’Arabie saoudite a mis en garde contre ces « documents qui pourraient être des faux » – seulement ? Pour Julian Assange, l’affaire est toute autre : « Saudi Cables a mis en lumière une dictature qui devient de plus en plus imprévisible. Cette année, elle a non seulement célébré sa 100e décapitation, elle est aussi devenue une menace pour ses voisins ainsi que pour elle-même ».
Que ressortir de cette pléthore de documents pas encore tous exploités et parfois difficiles à lire ? Il y a les « scoops » classiques comme ce million d’euros que doit une des princesses à une compagnie de taxis de luxe en Suisse… on devine une nouvelle fois le train de vie de la famille royale et des politiques au pouvoir – mais rien de bien nouveau.
Contrôle des médias et des partis politiques : la neutralisation par le dollar
Plus intéressant : la méthode saoudienne face aux médias, nationaux et internationaux. Il faut « neutraliser » lit-on dans les câbles…. « Neutraliser » ou « contraindre ». A coups d’espèces sonnantes et trébuchantes, l’Arabie saoudite s’achète à ses frais une efficiente et impressionnante couverture médiatique. Comptez 2.000 $ annuels pour un petit organe régional, mais des millions de dollars pour la chaîne de télévision d’extrême-droite libanaise MTV…. En échange, un article pour la fête nationale saoudienne, ou le silence pour la énième exécution capitale à Riyad. L’influence est toute politique ; certains diffuseurs se sont vus demander de retirer des chaînes iraniennes de leurs offres d’abonnements. Et elle va jusqu’à toucher des pays comme le Canada ou l’Australie…
Plus grave : le financement de certains partis politiques au Moyen-Orient, en particulier au Liban. Des documents révèlent l’implication de certains responsables politiques réclamant des subsides à l’Arabie saoudite en échange de leur loyauté à sa ligne. Préoccupée par les printemps arabes, le pays de l’or noir aurait même tenté de négocier, avec les Frères musulmans d’Égypte, la liberté de l’ancien président Hosni Moubarak contre la somme de « 10 milliards de dollars »…
L’Arabie saoudite contre l’Iran : un rapprochement en vue avec la Russie
Ce qui est surtout criant, c’est la volonté inquiète de l’Arabie saoudite de conserver sa place dans le remaniement étasunien au Moyen-Orient, face à l’importance croissante accordée désormais à l’Iran, son ennemi de toujours. Dans les bonnes grâces des États-Unis depuis des décennies, le pays s’est en effet vu « rétrogradé » via ce nouvel accord nucléaire iranien : son intérêt pétrolier est devenu moindre et surtout l’administration Obama a modifié ses propres plans. Les révélations de WikiLeaks n’inquiéteront d’ailleurs pas outre mesure l’allié historique, les États-Unis, qui ont d’ores et déjà pris leurs distances…
On lit aussi, dans les documents publiés, d’autres indices de rapprochements extrêmement nouveaux dans ce Moyen-Orient en plein bouleversement. Notamment avec Israël : un groupe d’étudiants saoudiens et d’un certain nombre d’autres États du Golfe auraient été reçus à l’ambassade d’Israël aux États-Unis dans le cadre d’un programme éducatif international. Si Tel-Aviv et Riyad n’entretiennent aucune relation diplomatique, la menace hégémonique iranienne pourrait pragmatiquement faire coïncider certains de leurs intérêts.
Surtout, l’Arabie Saoudite ne détourne plus le regard de la Russie, pourtant alliée de son meilleur ennemi, l’Iran. WikiLeaks dévoile, entre autres, le jeu de report de voix organisé entre les deux pays pour gagner leur place respective au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à l’élection de 2013. Une entente en bonne et due forme que corrobore la récente et fructueuse venue au Forum économique de Saint-Pétersbourg d’une grosse délégation saoudienne. De nombreux accords économiques et pétroliers y ont été signés, avalisant une nouvelle ère diplomatique entre les deux pays, opposés autrefois via les États-Unis, et ceci sans que la Russie change quoi que ce soit à son soutien syrien.
Plus que jamais : pas de manichéisme…