Le concept de la Singularité, qui pose que l’homme sera un jour dépassé par les machines et pourra abandonner son corps à la technologie pour devenir immortel, captive de nombreux scientifiques de la Silicon Valley et d’ailleurs. Mais il est une question qui demeure obscure, c’est la manière dont les religions réagiraient en face d’une telle situation, et comment elles réagissent déjà au concept même de Singularité qui est comme une forme matérialiste de « l’Enlèvement », annoncé par les protestants et décrivant la montée aux cieux de ceux qui seront en vie à la fin des temps.
Le 18e congrès pour la science et la vie qui s’est tenue dans une université catholique de Madrid en juillet 2013 a abouti à une déclaration très ferme, appuyée sur la doctrine catholique, à propos de ce rêve transhumaniste. Elle a dénoncé cette tendance à vouloir améliorer les formes de vie non humaines comme dévalorisant la vie humaine elle-même.
Mais la plupart des religions n’ont pas pris le temps de commenter le concept de Singularité. Pourtant, les adeptes de cette dernière ont un projet pour la faire accepter par les religions.
Pour ce qui est des religions monothéistes, qui sont sans doute les plus méfiantes à l’égard d’une telle ambition, l’idée serait de semer le doute sur l’interprétation de la création de l’homme par Dieu à son image, doué de raison et d’une âme immortelle…
Les adeptes de la Singularité voudraient remettre en cause l’idée de l’homme créé à l’image de Dieu
Mais si la Singularité parvenait à créer des machines apparemment « intelligentes », capables de raisonnement et d’imagination, comment croire plus longtemps que la capacité de raisonnement constitue l’image de Dieu dans l’homme ? Comment croire plus longtemps, par ailleurs, que les hommes sont des créations uniques de Dieu ?
Il existe aujourd’hui des Mormons et des chrétiens qui s’affirment transhumanistes, et qui prétendent qu’il n’y a aucune opposition entre leur foi et les affirmations transhumanistes. Pour les Mormons, la Singularité ne pose aucun problème puisqu’ils pensent qu’ils sont « progressivement transformés en êtres immortels ». Cette transformation passe par la transfiguration puis la résurrection.
La première étape permet, grâce à un changement physique et spirituel, d’entrer en présence de Dieu, la seconde étape permet de se libérer totalement de son corps, à l’image de Dieu. Pour ces Mormons, le changement peut se faire par le biais de la technologie.
Pour ce qui est des « chrétiens » transhumanistes, c’est le pasteur presbytérien Christopher Benek qui explique le procédé : « je pense que le concept de Singularité oblige les hommes à considérer qu’ils sont spéciaux, non pas parce qu’ils sont les créatures les plus intelligentes de la création, mais parce qu’ils sont aimés et chéris de Dieu ».
Mieux encore : éviter la mort physique permettrait aux chrétiens d’attendre patiemment le retour du Christ…
Les religions monothéistes incompatibles avec le concept transhumaniste à cause de l’âme
Les adeptes de la Singularité s’inquiètent ensuite nettement moins des religions orientales à qui le concept devrait poser beaucoup moins de problèmes.
Plusieurs bouddhistes éminents, et le Dalaï Lama lui-même d’ailleurs, ont soutenu des projets en relation avec la Singularité. Cela ne leur pose aucun problème puisque selon leur croyance, l’âme n’est pas personnelle…
Pour les hindous, l’« âme » ne permet pas de comprendre qui l’on est, à moins de parvenir à la réalité ultime qui se réalise dans le « brahman ». Ils acceptent aussi sans difficulté qu’une intelligence puisse prendre possession d’une machine, ou qu’une machine prenne possession de l’homme : il s’agirait simplement d’une âme qui change de « corps ».
Le concept même de Singularité demeure nécessairement théorique : de même que l’« Enlèvement » annoncé par les protestants, elle ne sera confirmée empiriquement qu’une fois réalisée. On est mieux inspiré de s’en tenir à l’essentiel : la vie n’appartient qu’à Dieu puisque lui seul insuffle une âme immortelle.